PHOTO : PHILIPPE LIMA
Pour faire appliquer ces mesures de protection, l’état de Rio a mis en place il y a quatre mois la patrouille Maria da Penha [1], spécialisée dans les violences faites aux femmes. Constituée de 250 policiers volontaires, de sorte que chaque bataillon soit doté d’une équipe préférentiellement formée de deux agents de sexe opposé, la patrouille a pour objectif principal d’« éviter la récidive des violences faites aux femmes et le féminicide », comme l’explique la capitaine Claudia Moraes, une des responsables de cette initiative. Depuis l’origine, en août dernier, plus de 4000 femmes ont reçu de l’aide et près de 1400 se sont inscrites au programme d’accompagnement, dans une structure qui, si elle existait déjà dans d’autres états du Brésil, n’avait pas d’équivalent à Rio, bien qu’un grand nombre de cas de violence domestique y soit recensé.
D’après l’Institut Igarapé, qui se base sur des données publiques de sécurité, on note une hausse de 317% des cas de féminicide à Rio de Janeiro entre 2016 et 2018, et ce malgré l’autorisation de mesures de protection. « La loi Maria da Penha est considérée comme l’une des meilleures au monde en matière de protection des femmes, mais dans certains cas, nous voyons que la mesure de protection n’était pas efficace à 100% pour éviter une nouvelle agression », souligne Moraes, également diplômée en Sciences Sociales. Actuellement, près de 30% des cas pris en charge par le Service 190 dans l’état de Rio correspondent à des cas de violence domestique.
Seuls les agents ayant suivi un cours de 40 heures dirigé par des juges, des avocats et d’autres agents de police peuvent intégrer la patrouille qui offre un soutien aux femmes ainsi que des mesures de protection dispensées par un tribunal. Le bataillon le plus proche de la victime est prévenu et les policiers prennent un premier contact avec la femme ; si l’accompagnement est validé, ils organisent une première visite. Les agents ont deux questionnaires à leur disposition : un questionnaire d’accueil qui rend compte de l’aspect émotionnel et un questionnaire de risque qui évalue les possibilités de récidive d’une nouvelle agression et le degré de vulnérabilité de la victime. L’accompagnement est continu et réalisé par les agents en collaboration avec les services d’assistance sociale, explique Moraes, particulièrement attentive à l’aspect préventif du programme.
La patrouille Maria da Penha a été créée en partenariat avec le Tribunal de Justice de l’état de Rio de Janeiro qui a rendu public des informations spécifiques relatives aux procès des cas de violence domestique. « Nous avons organisé des réunions avec des membres de la société civile, de l’Exécutif et de différents secteurs de la société afin d’élaborer une étude qui, en tout, a duré deux ans », explique Tula Mello, juge des affaires criminelles. « A partir de là, nous avons monté un programme pilote dans la ville de Três Rios dans lequel nous avons constaté une baisse significative de récidive des cas d’agressions », ajoute-t-elle. Elle souligne également que les chiffres relatifs à l’efficacité du programme au niveau de l’état n’ont pas encore été répertoriés en raison du début récent de l’opération.
Néanmoins, Mello dresse un bilan des effets culturels qu’un déploiement policier réservé aux femmes peut avoir pour celles qui sont victimes d’agression. « Plus ces femmes se sentiront protégées, plus la société sera à l’aise pour dénoncer les cas de violence de cette nature, chose qui reste encore difficile », affirme la magistrate. « Un des types de violence est de nature psychologique ; il ne laisse pas de traces sur la peau mais il est aussi puissant et alimente la peur. A mesure que la victime sera au courant qu’il existe une loi lui offrant une mesure de protection et une patrouille spécifique, elle finira par se sentir plus sécurisée. »
Même avec des chiffres en cours d’évolution, l’obtention de données est une préoccupation du programme et il est déjà possible de dresser un profil des victimes durant ces quatre mois de fonctionnement. La majorité des femmes ayant bénéficié de ce programme sont noires ou de couleur et ont entre 25 et 39 ans. La plupart sont étudiantes, employées de maison ou femmes au foyer, avec un niveau d’études égal ou inférieur à celui du collège, selon un profil qui reflète des données nationales réunies par le Forum Brésilien de Sécurité Publique à partir des chiffres des Secrétariats d’Etats de Sécurité. « En principe, ceci souligne une condition mixte de pauvreté et d’un faible niveau d’études qui en dit long sur la vulnérabilité de ces victimes, ce qui ne peut pas être négligé », dit Claudia Moraes.
Combattre le machisme apparent et contribuer à la diminution de la violence faite aux femmes dès le début est ce qui a attiré l’attention de la psychologue Maria Luiza Cordeiro, coordinatrice du service de Psychologie de l’Hôpital de la Femme et membre du service d’état SOS Mulher (SOS Femme) qui soutient les victimes. Il existe, affirme-t-elle, une série de tabous qui font encore partie de la réalité de ces femmes et qui doivent être combattus au quotidien, comme par exemple la crainte que leur ex-compagnon soit emprisonné ou que leurs témoignages ne soient pas pris au sérieux. « Si la parole de la victime est mise en doute, celle-ci aura honte et aura du mal à se confier à nouveau. C’est pour cela qu’il est nécessaire de ne pas la juger et que, au contraire, un professionnel soit là pour lui dire qu’elle ne doit pas se sentir gênée par sa situation et que seul l’agresseur doit avoir honte. »