À Rio de Janeiro, un assassinat « pour l’exemple »

 | Par Armelle Enders

Le Brésil vient d’être le théâtre d’un assassinat qui a une forte dimension politique : non seulement parce que la victime est une jeune élue issue des favelas, mais surtout parce que l’attentat met en lumière la radicalisation d’une frange de l’électorat quelques mois avant les élections générales.

Rio de Janeiro, 14 mars 2018

Le 14 mars vers 21h30, la voiture de Marielle Franco, membre de l’Assemblée législative de la ville de Rio de Janeiro, a été la cible d’un attentat qui a toutes les apparences du professionnalisme. La jeune élue (38 ans), exécutée de quatre balles dans la tête, est décédée sur le coup, ainsi que son chauffeur, Anderson Pedro Gomes. La nouvelle, un coup de tonnerre à l’unisson de l’énorme orage qui s’abattait sur Rio cette nuit-là, a aussitôt plongé dans le deuil et la consternation une bonne partie de la population, bien au-delà des sympathisants du PSOL (Parti Socialisme et Liberté), la formation de gauche dans laquelle Marielle Franco militait.

Le lendemain, jour des obsèques des deux victimes, à Rio de Janeiro et aussi dans plusieurs grandes villes où des hommages avaient lieu, l’émotion était palpable et ne se dissipe pas, plus de dix jours après les faits. Pour bien des consciences, le choc est très comparable à celui provoqué en France par le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, polémiques incluses. Loin de provoquer un sursaut d’unanimité nationale, la mort de Marielle Franco fait au contraire ressortir les fractures politiques de la société brésilienne.

Un crime politique en pleine intervention militaire à Rio de Janeiro

L’attentat contre Marielle Franco survient dans une conjoncture très particulière. Depuis le 16 février, en effet,la sécurité publique de Rio de Janeiro est placée sous la responsabilité du général Walter de Souza Braga Netto et de l’armée fédérale et, non, comme la Constitution le prescrit, sous celle du gouverneur de l’État de Rio de Janeiro et de la gendarmerie (police militaire) régionale.

Cette mesure exceptionnelle a été décrétée par le président Michel Temer au prétexte que l’insécurité battait des records et qu’il fallait faire de l’ancienne capitale du Brésil un laboratoire pour le reste du pays. Plusieurs États, notamment dans le Nord et le Nord-Est, ont pourtant des taux d’homicides bien plus affolants que la ville-vitrine du Brésil.

Annoncée de manière solennelle et tonitruante, la décision présidentielle a surpris tout le monde, à commencer par le principal intéressé, le général Braga Netto. L’intervention ne s’appuie sur aucun plan d’action longuement mûri et le financement de l’opération donne lieu à divers cafouillages. L’intervention fédérale à Rio de Janeiro est le fruit d’une improvisation et d’une gesticulation purement politiciennes. Elle est, pour l’instant, absolument stérile sur le plan des résultats et entachée du plus grave meurtre politique commis récemment au Brésil.

Les calculs politiciens de Michel Temer

Jusqu’à la mort de Marielle Franco, Michel Temer pensait avoir réalisé un « coup de maître » avec l’intervention fédérale. Cerné par la justice pour des faits très graves, le « roi des coups » cherche à s’assurer une immunité durable et à échapper à l’impuissance du « canard boiteux » en fin de mandat. Temer fait planer l’hypothèse de sa candidature à sa propre succession en 2018, malgré des intentions de vote qui stagnent à 1 % et une impopularité historique dans les annales politiques brésiliennes.

En posant à l’homme fort qui défend les « bons citoyens » (« cidadões de bem ») contre les « bandits » et en s’appuyant sur l’armée, l’institution la moins discréditée selon les sondages, Temer s’efforce d’acquérir sur le terrain sécuritaire l’adhésion que l’économie ne lui a pas apportée et de glaner les quelques points qui lui permettraient d’exister dans la campagne qui s’annonce. La lutte contre la criminalité et ses modalités sont très clivantes dans cette période préélectorale au Brésil et préoccupe surtout la classe média (toute la bourgeoisie, de la petite à la grande).

Mais voilà que l’assassinat de Marielle Franco, au cœur d’une ville de Rio de Janeiro protégée par l’armée fédérale, semble un véritable camouflet adressé à celle-ci et résonne comme un message politico-mafieux adressé aux militants engagés dans la défense des droits humains comme l’était Marielle Franco.

Marielle Franco, une personnalité hors du commun

Née en 1979 dans la favela da Maré, l’une des plus dures de Rio de Janeiro, Marielle Franco évoquait sur sa page personnelle les événements qui avaient décidé de sa vocation.

Le premier est un fait divers tristement banal dans les favelas de Rio. Lorsque Marielle préparait le bac, l’une de ses condisciples avait été tuée par une balle perdue lors d’un affrontement entre trafiquants et policiers. Les victimes collatérales des échanges de tirs se comptent chaque année par centaines dans l’État de Rio de Janeiro. Sa maternité à l’âge de 19 ans était à l’origine, selon elle, de son engagement en faveur du droit les droits des femmes.

Marielle Franco était aussi l’incarnation d’une méritocratie et d’une ascension sociale qui semblaient possibles sous les gouvernements Lula et Dilma Rousseff. Boursière, elle avait pu faire des études supérieures et obtenir un master en administration publique dans une université fédérale.

Voir en ligne : The conversation

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