« 30 millions d’affamés, ce n’est pas quelque chose de simple à résoudre »

 | Par Brasil de Fato

Dirigeante nationale du Mouvement des femmes paysannes (MMC), Michela Calaça parle des défis de la lutte contre la faim et des politiques d’aide à l’agroécologie, des questions posées par le développement régional et par la façon dont la région Nord-Est a traité la question.
Traduction : Roger Guilloux pour Autres Brésils
Relecture : Marion Daugeard

À la veille de l’investiture du Président élu, Luiz Inácio Lula da Silva, les projections se multiplient quant aux priorités du nouveau gouvernement, notamment en matière de lutte contre la faim et d’encouragement au développement de l’agriculture familiale, des thèmes qui ont été très présents lors de la campagne des élections de 2022.

Interview :
Brasil de Fato - Pernambuco : La lutte contre la faim est l’un des principaux défis auquel le Brésil doit faire face et notamment dans les régions du Nord et du Nord-Est qui présentent les indices d’insécurité alimentaire les plus élevés. Quels changements pouvons-nous attendre à ce sujet au cours de la période à venir ?

Michela Calaça : Il s’agit d’une question très complexe car elle implique la production, la distribution, la transformation des zones agricoles et l’accès à la terre. Mais je pense que nous sommes à un moment très heureux de notre conjoncture, malgré la crise économique et environnementale qui perdure. Nous venons d’élire un Président qui affirme que la faim au Brésil est absurde et qu’il fera de la lutte contre celle-ci une priorité de son gouvernement.

Avoir plus de 30 millions de personnes qui ne mangent pas à leur faim n’est pas quelque chose de simple à résoudre, cela ne se fera pas dans les 100 premiers jours du prochain gouvernement. Nous sommes dans ce moment d’espoir et les expériences que nous avons menées dans le Nord-Est vont être fondamentales pour affronter la faim dans l’ensemble du pays.

Le débat concernant notre système alimentaire a pris une certaine consistance au cours des trois dernières décennies. Et le développement de l’agroécologie est un sujet qui reprend de l’importance dans un contexte où beaucoup de gens ne mangent pas à leur faim au Brésil. Est-il possible aujourd’hui, de penser à la diffusion de ce mode de vie, d’agriculture et de travail ?

Nous faisons le pari que la transformation est possible car elle va au-delà du système de production. L’agroécologie est un mode de vie, une science et un mouvement en action. Donc, affronter la faim en écartant l’agroécologie, ce n’est pas mettre en place des actions structurantes, mais des actions qui peuvent être renversées par un simple coup d’État, par exemple. L’agroécologie va changer notre logique de production ainsi que cette relation entre ceux qui ont besoin de nourriture et ceux qui la produisent.

Nous voulons produire des aliments sains, sans pesticides, sans violence envers les femmes et sans racisme. Je pense qu’il est très important de rappeler que l’agroécologie vient du regard de l’académie sur diverses expériences, notamment celles des autochtones et des quilombolas [1]. Nous devons introduire ces changements dans notre façon de produire des aliments sains.

Michela Calaça est la dirigeante nationale du Mouvement des femmes paysannes (MMC) / Dossier personnel

Nous parlons d’une insécurité alimentaire qui s’est aggravée avec la pandémie de covid-19. Les femmes, pour la plupart noires et du Nord-Est, sont les plus touchées par cette situation, par le chômage et la pauvreté et en même temps par la surcharge de travail domestique. Quelles sont leurs principales revendications, que ce soit à la campagne ou en ville ?

Nous ne nous organisons pas pour avoir le droit de travailler, mais pour que le travail que nous faisons déjà, soit reconnu. Historiquement, ce travail assure la préservation de la biodiversité, d’un mode de production alimentaire plus diversifié, mais on l’a invisibilisé. Cela a un impact sur la vie des femmes de la campagne, et notamment sur leur manque d’autonomie financière ; c’est comme si tout ce qui était cultivé dans leurs unités de production ne relevait que du travail des hommes.

Et il y a également la question du rapport entre les femmes de la campagne et celles des villes et c’est ce que nous avons construit depuis quelques années, au sein du MMC. Nous nous sommes rendu compte de la nécessité de nous unir à un mouvement de femmes féministes de la ville.

En 2020, le Consortium Nordeste a été créé. Il s’agit d’un groupement politique et de gestion au niveau des États de la région. Comment évaluez-vous l’importance du Consortium pour le développement du Nordeste et pour faire avancer les questions dont nous discutons ?

Jusqu’au 31 décembre [2022], nous avions un Président qui est un ennemi de notre région. Avant le coup d’État de 2016, nous avions un débat sur le développement territorial au-delà des régions. Nous tentions d’observer ce que nous avons toujours appelé le développement régional sous l’angle d’un développement territorial et nous tentions d’aller de l’avant. Le Nordeste est une région diversifiée qui présente de nombreuses différences en termes de climat, de sol, de végétation, de population et de culture. Et alors que nous étions engagés dans ce processus, nous avons subi cette destitution [de la Présidente Dilma Rousseff] qui a mis fin aux politiques sociales et a redirigé les moyens vers le capital. Malheureusement, l’élection [de 2018] a éliminé le candidat principal [2] et celui qui a gagné est un fasciste, un génocidaire ou tout autre qualificatif de ce genre que vous pourriez lui donner.

Le Consortium Nordeste est une solution concrète apportée par des personnes engagées pour que notre région ne disparaisse pas, car si elle ne dépendait que de l’appui du gouvernement fédéral actuel, il nous serait très difficile bénéficier des politiques publiques en matière de santé, d’éducation, d’assistance sociale et bien d’autres formes d’aide. Avec le Consortium Nordeste nous dialoguons et nous avons des échanges sur les expériences de la région.

Edition : Vanessa Gonzaga

Voir en ligne : "30 milhões com fome não é algo simples de resolver”, diz dirigente do MMC

Crédit photo : Freepik Brasil -
Imagem de Freepik

[1Quilombo. Également appelé palenque, il désigne au Brésil une communauté organisée de descendants d’esclaves noirs.

[2Il s’agit de Lula. Il a été condamné quelques mois avant le début officiel de la campagne pour l’élection présidentielle. Un sondage réalisé fin août 2018 accordait 52% d’intentions de vote à Lula, 32% à Bolsonaro et 14% de votes blancs.

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