Au sein de l’Institut de Recherche, Droits et Mouvements Sociaux (IPDMS), qui a 10 ans cette année, le symbolisme des centenaires sera le sujet de notre séminaire national (qui aura lieu entre les 15 et 18 juin). Il est très opportun, d’ailleurs, de faire le bilan d’une décennie à la lumière d’une histoire de 200 ans.
Il s’agit de 200 ans d’indépendance, de 100 ans d’art moderne et encore de 100 ans de parti communiste. De plus, nous avons l’anniversaire des 100 ans de Leonel Brizola , de Dona Ivone Lara et de Darcy Ribeiro – icônes des intellectuels et de la culture brésilienne. Ce sont toutes des dates symboliques chargées d’un important potentiel de réflexion, y compris pour nous, juristes.
Le centenaire de la Semaine d’Art Moderne et le droit
La Semaine d’Art Moderne est la première des commémorations de 2022. Ayant eu lieu en février 1922, entre le 13 et le 17, dans la ville de São Paulo, elle a représenté un mouvement artistique innovateur très controversé mais palpitant. Ont brillé là Mario et Oswald de Andrade, Menotti del Picchia, Ronald de Carvalho et Graça Aranha (parmi les écrivains) ; Anita Malfatti, Di Cavalcanti et Victor Brecheret (parmi les plasticiens) ; Guiomar Novais et Heitor Villa-Lobos (parmi les musiciens), en dehors de tant d’autres noms. Son grand leg, comme le dirait Roberto Gomes, dans Crítica da razão tupiniquim (non traduit), a été de constituer “une première tentative d’indépendance culturelle réelle face à un passé européen et aux modèles étrangers”.
Les enseignements des “modernistes” brésiliens pourraient être nombreux – certains d’eux, comme Oswald de Andrade et Graça Aranha ayant une formation en droit – pour les juristes d’aujourd’hui, encore entravés par un colonialisme [1] fébrile. La tradition romaine, teutonique, lusitanienne, française, italienne, bretonne ou yankee – tout prévaut sur l’histoire (juridique) du Brésil, tant en pratique qu’en théorie. Il est possible que l’anthropophagie d’Oswald de Andrade ou le macunaismo de Mario de Andrade stimulent le droit. La déglutition des théories critiques allogènes (comment ne pas rappeler Miguel Pressburger jugeant les néologismes comme des options, des pluralismes et des “critiques du droit” ?) doit obséder les "trans-modernistes" de maintenant ; de même que doit les obséder la réinvention métaphorique de la culture juridique brésilienne (tâche anthropologico-juridique qui reste à faire). En définitive, opérer un virage décolonisateur contre la raison juridique dépendante.
Le centenaire du Parti communiste brésilien et le droit
En termes d’organisation populaire, la fondation du Parti communiste brésilien (PCB) lors du congrès ayant eu lieu entre les 25 et 27 mars 1922, à Niterói, a été un signe qui a permis un saut qualitatif à ne sous-estimer en aucun cas. Il a représenté l’inauguration d’un nouveau cycle d’organisation des classes populaires au Brésil, à partir de l’héritage laissé par des anarchistes, des antiesclavagistes et des anticolonialistes ; l’existence du Parti communiste brésilien a ouvert des horizons pour qu’une société de capitalisme dépendant puisse projeter son horizon socialiste. Avec l’objectif de surmonter les formes les plus néfastes d’exploitation et de domination, le Parti communiste brésilien a été précieux par les combats qu’il a menés, mais aussi pour avoir conditionné la possibilité de création de nombreuses autres organisations politiques, à gauche, à partir de la phase où le pays s’est de nouveau constitutionnalisé, dans les années 1980.
Son importance symbolique pour le droit n’est pas due seulement au fait que l’un de ses neuf fondateurs, en 1922, ait été un avocat – Cristiano Cordeiro (1895-1987). Plus que cela, le recueil historique des persécutions endurées – depuis les emprisonnements des années 1930, comme celui de Luís Carlos Prestes en cellule d’isolement, défendu par Sobral Pinto ; jusqu’à l’interdiction du parti en 1947 – ainsi que des innombrables conquêtes communistes de la constitution de 1946, grâce aux parlementaires du Parti communiste brésilien composés de noms comme Gregório Bezerra, Carlos Marighella , Jorge Amado, João Amazonas, Mauricio Grabois ou Prestes lui-même – imprègnent l’imaginaire d’un pays toujours objet de discours conservateurs ou même réactionnaires. Autrement dit, toute une dialectique à l’œuvre entre scénarios défensifs et actifs a marqué l’histoire récente de notre organisation populaire.
Les centenaires d’intellectuels de la culture brésilienne et le droit
Comme si les grands événements collectifs de 1922 ne suffisaient pas, l’année a aussi généré et mis au monde des noms essentiels de la culture nationale. En janvier 1922, naissait Leonel Brizola, originaire du Rio Grande do Sul, homme politique de gauche nationaliste, à la trajectoire incomparable, qui a été remarqué par la Campagne pour la Légalité, en opposition au coup d’état parlementaire contre le président João Goulart, en 1961 , et par la défense de la résistance armée, contre le coup d’état de 1964 . Peu après en avril 1922, viendrait au monde Ivone Lara, infirmière et assistante sociale auprès de Nise da Silveira , militante de la cause pour la réforme psychiatrique, ou aussi Dona Ivone Lara, sambiste de première main et une des premières femmes à intégrer un groupe de compositeurs d’une école de samba (la pièce d’identité officielle de naissance de la sambista est de 1921, en raison d’un stratagème de sa mère pour l’enregistrer dans une école de samba traditionnelle de Rio). Par ailleurs, au mois d’octobre 1922, naissait Darcy Ribeiro et, avec lui, serait élaborée toute une histoire spécifique de l’intellectualisme brésilien, passant par l’anthropologie, l’indigénisme, la politique de l’éducation, la politique institutionnelle, la résistance à la dictature et une œuvre gigantesque de réinterprétation du Brésil intitulée Estudos de antropologia da civilização (non traduit) – dont la dernière partie a donné le livre O Povo brasileiro (1995, non traduit).
Aidés de ces intellectuels, nous apprenons – juristes ou non – à défendre la légalité contre les fauteurs de coups d’état et à résister avec les moyens que nous avons en mains contre les dictateurs, comme dans le cas de Brizola ; de même, à composer notre propre histoire (comme dans le scénario de la samba de l’Império Serrano , en 1965, nommée “Cinco bailes da história do Rio” par Dona Ivone) ; ou à lutter pour des réformes structurelles ; ou encore à réfléchir si nous vivons dans un pays autonome ou soumis à des intérêts distants, comme le fait Ribeiro avec sa théorisation sur, respectivement, “l’accélération évolutive” et “l’accélération historique” des peuples (cf son livre O processo civilizatório, de 1968 ).
Un tel ensemble de réflexions – légalité / résistance ; histoire authentique et réformes ; autonomie ou soumission – tombe à point pour penser à nouveau le droit, aujourd’hui. De même se joignent à cet ensemble les souvenirs de tant d’autres centenaires, icônes de notre culture, comme Jorge Amado, Bibi Ferreira, Tônia Carreiro, Paulo Autran, Décio Freitas, Dias Gomes, Luiz Bonfá, Teddy Vieira ou Gordurinha . L’espace manque pour rendre compte d’un tel patrimoine ! – et encore pour ne citer que les brésiliens.
Le bicentenaire de l’indépendance et le droit
Pour conclure, c’est peut-être cette date qui serait la plus importante : le 7 septembre 1822. À coup sûr, la plus contradictoire de toutes, celle qui instaurait, par les mains du prince régent, fils de la couronne portugaise, l’État-nation brésilien à l’aube du capitalisme industriel du 19ème siècle. Le futur Dom Pedro I, né et enterré à Queluz (Portugal), par la proclamation de la phrase de revendication “L’indépendance ou la mort !” remet pourtant en question la discussion sur la nationalité du Brésil, bien que, normalement, celle-ci soit absorbée dans le programme d’exploitation étrangère de ses élites.
Le défi actuel est la souveraineté nationale. La lutte contre les forces internationales qui manipulent la scène brésilienne, au gré de leurs intérêts économiques ou – comme nous l’avons vu ces dernières années – aussi au gré de leurs perspectives politiques –, se tient à l’ordre du jour. À l’intérieur du pays, de son côté, un projet vende-pátria incorpore les intérêts étrangers et appauvrit notre culture, désorganise notre peuple et cherche à désarmer notre résistance. Du point de vue juridique, il s’impose de raconter à nouveau une histoire emprisonnée par les prototypes de l’eurocentrisme et / ou de l’élite. Tout un cheminement de nos relations juridiques dépendantes doit encore être dévoilé.
Il faut manifester à voix haute l’aspiration à notre seconde indépendance, comme l’ont fait les socialistes latino-américains. La première, formelle. La seconde, pleine de charges démocratiques, populaires et, sans équivoque, nationales. Sans procéder par étapes, ni pour autant en copiant et en imitant. La libération nationale est un impératif, et les juristes ne peuvent lui tourner le dos. Main dans la main, les Abaporu et les Macunaíma ; Cavaleiros da Esperança et Guerrilheiros urbanos ; sambistes et anthropologues ; tous enfin doivent s’attribuer la responsabilité de la seconde indépendance. Que l’année 2022 soit une année-en-mouvement pour que, dans des assemblées populaires, le peuple brésilien avance en direction de cet horizon – et avec l’aide inhabituelle, rebelle, des juristes ! À l’intérieur et à l’extérieur, mais surtout à l’intérieur, de l’Institut de Recherche, Droits et Mouvements Sociaux (IPDMS).
Ricardo Prestes Pazello est professeur des cours de licence et maîtrise en Droit de l’Université fédérale du Paraná (UFPR) et chercheur de l’Institut de Recherche, Droits et Mouvements Sociaux (IPDMS).