Réforme Politique : que faire après le plébiscite ?

 | Par Antonio Martins

Source  : Outras Palavras - 07/09/14
Traduction pour Autres Brésils  : Piera SIMON-CHAIX (Relecture : Magali JEANCLER)

Comme si cela ne suffisait pas, le divorce entre le journalisme à l’ancienne et les mobilisations et inquiétudes de la société a refait surface cette semaine. Des centaines de milliers de Brésiliens ont voté, avec des bulletins imprimés ou par internet, au cours d’un plébiscite informel sur la nécessité d’une Réforme Politique. Par capilarité, la consultation s’est vite étendue dans tout le pays. Elle a été préparée durant des mois, grâce à des débats, des formations de militants, d’une large diffusion de textes didactiques, d’une soigneuse préparation logistique. Cependant, ce fait peu commun (et qui a donné lieu à d’innombrables histoires savoureuses) a été solennellement ignoré par les journaux et les télévisions - ceux-là même qui parlent de politique comme d’un « cas de police ». C’est comme s’il existait une limite à la critique des institutions et du pouvoir. Elles doivent être jugulées à chaque fois qu’il y aurait risque de voir surgir une alternative démocratisante...

Comme les informations ont été bloquées, des doutes ont émergé. Est-ce que le plébiscite de cette semaine a une valeur légale ? Sera-t-il envoyé au Législatif ? Y aura-t-il vraiment une [Assemblée] Constituante sur le système politique ? Comment agir en sa faveur ?

L’historien José Antonio Moroni, l’un des coordinateurs de la Coalition pour la Réforme Politique Démocratique et membre de l’Institut d’Études Socio-économiques (Inesc), a passé ces derniers jours à réfléchir à ces questions. Il considère cette consultation comme un tournant. Désormais, la critique du système politique actuel a gagné la rue. Peut-être est-il possible de mettre en œuvre une stratégie élaborée en silence, durant des années, par ceux qui ont dénoncé la confiscation de la démocratie par le pouvoir économique et affirmé la nécessité de sauver cette démocratie.

Pour ne pas en rester à une réforme de façade, la construction d’un nouveau système politique a besoin de questionner, au Brésil, des intérêts très puissants. Les formes de démocratie directe doivent être plus nombreuses et remettre en question le pouvoir quasi absolu des représentants du peuple, pour pouvoir prendre des décisions. Il faut en finir avec la soumission de l’écrasante majorité des parlementaires aux possesseurs de l’argent. Elle pourrait briser l’exclusivité des partis, en établissant le droit à des candidatures sans étiquette. Elle n’aura pas de succès si elle ne se confronte pas à des thèmes comme l’élitisme du pouvoir judiciaire et le contrôle des communications par une oligarchie de barons.

De tels changements ne peuvent être le fait des membres actuels du Législatif. Il faut secouer les institutions - en déclenchant, à un certain moment, une mobilisation si intense qu’elle obligerait à la convocation d’une Assemblée Constituante sur le Système Politique. C’est sur cette question que des centaines de milliers de Brésiliens se sont prononcés lors du plébiscite informel de la semaine dernière. Mais quand donc leur voix sera-t-elle entendue ? Et que faire en attendant ?

C’est là qu’intervient une sorte de phase intermédiaire de la campagne. La consultation du 1er au 7 septembre a lancé un processus. Dans les mois à venir, il se poursuivra en utilisant la pression sociale en faveur d’un Projet de Loi d’Initiative Populaire sur le même thème. Même si ce projet est plus limité que la Constituante, il est également susceptible de susciter l’enthousiasme. S’il est approuvé, il provoquera une petite révolution. Il interdira, par exemple, la cause principale de toute corruption - le transfert d’argent, par des entreprises, aux partis et aux hommes politiques. Il rendra obligatoire le recours au plébiscite ou au référendum pour des décisions importantes - parmi lesquelles l’aliénation (à travers des privatisations et des concessions) de biens importants de l’État [1]. Il établira des formes de démocratie directe via internet (les électeurs pourront adhérer électroniquement à de nouveaux projets de loi d’initiative populaire). Il réorganisera le système électoral.

Il est clair que de telles propositions de changements vont réveiller d’énormes résistances. Le système politique perdure parce qu’il est au service des puissants. Mais il y a déjà, pour ceux qui souhaitent débattre du sujet et lutter pour lui, bien plus que de bonnes intentions générales... Grâce à des années d’efforts de gens comme José Antonio Moroni, la Coalition pour une Réforme Politique Démocratique a élaboré en détail le Projet de Loi d’Initiative Populaire décrit plus haut. Il a produit, en plus de cela, un résumé, un abécédaire, un programme d’action, une bibliothèque et un journal. Il offre même des formulaires pour qui serait disposé à recueillir des signatures favorables au projet d’initiative populaire. 1,5 million sont nécessaires. Plus de 500 000 ont déjà été collectées et le plébiscite va certainement déclencher une nouvelle vague d’actions.

Les résultats numériques de la consultation informelle de cette semaine seront annoncés dans les jours à venir. Mais l’effet principal, à caractère politique, est clair. Il a remis au goût du jour, dans le programme brésilien, un thème indispensable à tout changement social approfondi. Il est d’ores et déjà possible d’agir en sa faveur. C’est ce que Moroni explique en détail, dans l’interview ci-dessous.

José Antonio Moroni : « Nous sommes arrivés à la limite. Nous avons besoin de créer de nouvelles institutions qui aient les capacités de mettre en œuvre les demandes populaires. Nous ne pouvons pas avoir peur - mais au contraire de l’audace. »

Quelle est la position de la société civile autour de cette consultation pour une réforme politique ?

Aujourd’hui, nous avons deux grandes stratégies politiques par rapport à la réforme du système politique. Une qui est l’Initiative Populaire de la réforme politique, qui a trait à une nouvelle réglementation des instruments de démocratie directe et de nouvelles normes du processus électoral. Ces changements, nous pouvons les effectuer par des projets de loi, ils ne nécessitent pas de changements constitutionnels.

Une autre stratégie est la convocation d’une Constituante exclusive et souveraine concernant le système politique. En organisant un plébiscite populaire, nous avons voulu attirer l’attention sur l’importance d’aller plus loin, en modifiant également les dispositifs constitutionnels qui régissent le système politique.

Ce sont deux axes différents qui sont complémentaires. L’un renvoie à un objectif de court terme, l’autre plutôt de moyen et long terme.

Procédons par étape. Quels sont les points spécifiques abordés par ce projet d’initiative populaire ? Qui les défend ? À quel stade en sont-ils ? Collecte de signatures ?

D’abord, il faut rappeler clairement que le projet d’initiative populaire ne peut proposer des changements d’ordre constitutionnel. Comme cela est exclu, notre projet se concentre sur deux axes principaux : étendre les possibilités de démocratie directe et combattre les profondes distorsions du système électoral.

En faveur de la démocratie directe, nous voulons transformer les dispositions de loi de l’article 14 de la Constitution, en étendant le rôle et l’importance des plébiscites, des référendums et des projets d’initiative populaire. Certaines décisions centrales pour le futur du pays - par exemple, la cession des ressources minières ou des sources d’énergie hydraulique de l’Union [Fédérale du Brésil] - ne pourraient être adoptées que par le biais de plébiscites ou de référendums.

En ce qui concerne les initiatives de loi issues de la société, nous proposons une simplification, avec la collecte de signatures via internet et un rite propre de procédure, au Congrès. Ces propositions doivent être examinées en priorité, au lieu de finir dans la fosse commune du processus législatif, comme c’est le cas aujourd’hui. Malheureusement, nous ne pouvons pas, pour l’instant, réduire le nombre d’initiatives nécessaires à la proposition de lois d’initiative populaire. Il en faut environ 1,5 million, mais c’est quelque chose qui est établi par la Constitution.

Le second axe de changements établis dans le projet se rapporte à la démocratie représentative. Nous voulons interdire aux entreprises de financer des partis ou des candidats, puisque nous savons qu’il s’agit d’un facteur évident de corruption. Au lieu de cela, nous proposons un système mixte, où les partis seraient financés par l’État et par des dons de personnes physiques, avec plafond.

Cette question est centrale, parce que nous ne pouvons pas penser à des campagnes extrêmement chères comme celles d’aujourd’hui, qui rendent immense la force du pouvoir économique. D’après notre proposition, il y aura un plafond maximal pour la contribution des citoyens aux campagnes et, en même temps, des limites pour les dépenses globales des partis.

Le projet propose également des changements dans les critères de répartition, entre les partis, des financements provenant de l’État. Nous ne pouvons pas maintenir des règles qui renforcent ceux qui sont déjà forts, et qui rendent certains partis immensément plus forts que d’autres.

Un autre aspect est celui du vote pour une liste transparente. Le vote de l’électeur ne doit favoriser que le parti et le candidat qu’il a choisi - différemment de ce qui a lieu aujourd’hui. Pour cela, les élections à la proportionnelle (pour les députés au niveau fédéral et national et des conseillers municipaux) auraient lieu en deux tours. Lors du premier, on choisit le parti ; au cours du second on vote pour les candidats de chaque liste de parti. Ces listes doivent avoir une parité de sexe et des critères d’inclusion des autres groupes sous-représentés - par exemple, la population noire, autochtone, homosexuelle, jeune, etc.

Où en est la collecte de signatures et qui cherche à mobiliser la société en faveur du projet ?

Le projet de loi d’initiative populaire a été formulé par une Coalition pour la Réforme Politique Démocratique et les Élections Propres. C’est un front regroupant plus de cent organisations - société civile et mouvements sociaux. On peut en retrouver la liste sur le site de la campagne : www.reformapolitica.org.br.

L’initiative a été lancée en septembre 2013. Nous avons déjà plus de 500 000 signatures. Nous sommes convaincus que le plébiscite va multiplier la mobilisation en faveur de la proposition. Il est possible d’accéder au texte complet du projet de loi, un abécédaire explicatif et un formulaire pour recueillir des signatures sur ce même site.

Si le projet d’initiative populaire a déjà prévu autant de changements, pourquoi une Constituante exclusive et souveraine sur le Système Politique est-elle importante ?

L’idée du plébiscite a surgi l’année passée, lorsque différents mouvements et organisations se sont réunis pour discuter de la signification des manifestations de juin. Selon notre lecture, elles ont révélé, pour l’essentiel, l’épuisement de l’actuel système politique - c’est à dire des formes traditionnelles de l’exercice du pouvoir. Nous comprenons que, pour changer cela, un processus plus ample de réformes structurelles est nécessaire. Pour cela, une Constituante exclusive et souveraine est nécessaire.

Le plébiscite du 1er au 7 septembre n’a pas de valeur légale, c’est clair - il n’a pas été organisé par la société comme un tout, par le biais de l’État, mais par les groupes qui revendiquent la Réforme Politique. Son rôle est mobilisateur et formateur. Il a été précédé de centaine de cours de formations de militants. Le processus a duré des mois, a mis le sujet à l’ordre du jour, a préparé, avec une connaissance et des arguments solides, des milliers de personnes, qui vont maintenant poursuivre la campagne.

Quelles questions seraient débattues dans la Constituante sur le Système Politique ?

Au-delà de toutes les questions soulevées dans le projet de l’Initiative Populaire, le renforcement de la souveraineté populaire, un nouveau système de représentation et des sujets directement en lien avec le pouvoir. Par exemple nous devons changer des logiques déterminées présentes dans la démocratisation de la Justice, la fin de l’oligarchie qui contrôle les Communications, l’organisation et l’attribution des Pouvoirs de l’État, la démocratisation de la terre, le droit à la Ville. Ainsi le plébiscite se place dans la perspective d’une échéance à plus long terme, en discutant des questions centrales que le système politique actuel, de par sa propre nature, n’accepte jamais de mettre sur le tapis.

Les manifestations de juin 2013 ont introduit un nouvel élément dans le discours politique. Au cours de nombreuses d’entre elles, ceux qui protestaient le faisaient contre les politiques en général, sans cibler précisément un parti ou des hommes politiques.C’est comme si les différences entre eux s’effaçaient. Qu’est-ce que cela révèle quant à la crise de la représentation au Brésil ?

Un élément préoccupant de la façon de faire de la politique au Brésil est justement le manque de différenciation entre les divers partis et hommes politiques. Cela jette un discrédit puisque si tout est équivalent, pourquoi me mobiliser, que soutenir, etc. Cela fait surgir une crise de la représentation, puisque si « tous sont pareils » et que notre société est divisée en groupes d’intérêts, c’est sûr que les gens ne se sentent pas représentés.

En juin, la présidente Dilma en est arrivée à parler non seulement de plébiscite mais aussi de Réforme Politique. Ces deux propositions ont été enterrées par le Congrès National - et c’en est resté là. Comment évaluez-vous l’attitude de Dilma alors, et le fait qu’elle n’a pas insisté sur la proposition ?

La proposition que nous soulevons aujourd’hui sur la Constituante contient des différences par rapport à celle qui a été soulevée par la présidente. Cette dernière se référait, basiquement, au système électoral. La nôtre concerne le système polique - c’est-dire, concerne toutes les relations de pouvoir. Même comme cela, la réaction contraire des médias, du STF et d’une grande partie du Congrès ne fait que démontrer la justesse de notre stratégie de consultation du peuple à propos de la convocation d’une Constituante exclusive et souveraine du système politique.

Après avoir vécu, durant une décennie, un processus de réduction de la pauvreté et une certaine redistribution des richesses, le Brésil semble paralysé politiquement. Il existe une conscience de ce que nous avons besoin de faire un pas en avant dans la conquête des droits - mais que nous n’avançons pas parce que cela exigerait de remettre en question des privilèges. De quelle façon l’actuel système politique protège-t-il de tels privilèges ?

Notre système politique est en même temps le reflet de l’inégalité et l’élément structurant des inégalités. En d’autres termes, ceux qui sont au sommet du système politiques sont ceux qui sont au sommet de la pyramide sociale. Le modèle qui consiste à redistribuer sans contrarier les intérêts est arrivé à ses limites. Dans ce qui nous attend, il n’y a plus de possibilité de « gouverner pour tous », surtout parce que dans une société comme la nôtre qui est basée sur l’inégalité, celui qui affirme être en train de gouverner pour tous est en train de mentir à quelqu’un.

La campagne pour la Réforme Politique cherche à sensibiliser la société au cours d’une année électorale, où les attentions sont en général dirigées vers le débat entre les candidats. Dans ces circonstances, comment donner une visibilité à un sujet qui exige une élaboration politique poussée ?

Le sujet de la réforme du système politique exige, oui, une élaboration puisqu’il s’agit d’une question complexe - et pour des questions complexes, il n’existe pas de réponses simples. Ces derniers temps, les processus électoraux ont éloigné le peuple de la discussion politique. C’est un paradoxe, mais les élections sont le moment où on discute le moins de politique. Nous pensons que le débat sur la réforme du système politique peut sauver le fait de faire de la politique au sens large, en créant de nouvelles formes de faire de la politique et avec de nouveaux sujets.

N’y a-t-il pas différents secteurs qui luttent pour un nouveau système politique et qui craignent la Constituante parce qu’ils jugent que nous vivons un scénario où les idées les plus conservatrices sont en train d’avancer ? Ils craignent que n’entrent dans le débat, au contraire, des sujets comme la réduction de la majorité pénale ou la peine de mort. Comment cela peut-il être évité ?

Nous évaluons que la société brésilienne se trouve à un croisement et a besoin de prendre une décision sur le chemin qu’elle va suivre. Nous sommes arrivés à la limite de nos institutions et nous avons besoin de créer de nouvelles institutions qui aient les capacités de mettre en œuvre les demandes populaires. Nous pensons que s’il y avait une plus grande égalité dans le débat politique, principalement dans la Constituante, nous aurions des conditions de sortir de ce croisement et d’opter pour la civilisation et pas pour la barbarie. Nous ne pouvons pas avoir peur - mais au contraire de l’audace.

Note de la traduction :
[1] Pour l’instant, c’est le Congrès National qui décide de la tenue d’un référendum (referendo) ou d’un plébiscite (plebiscito). Il s’agit de types de consultation populaire ayant lieu par vote secret direct, en réponse à une ou plusieurs questions. Lors d’un plébiscite, le citoyen est consulté par rapport à une loi qui n’a pas encore été approuvée ; lorsque la consultation a lieu après l’approbation de la loi au Congrès, il s’agit d’un référendum. Depuis l’indépendance en 1822, il n’a été fait que trois fois recourt à une consultation nationale, et une fois au niveau régional.

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