Nous, exilés de la démocratie brésilienne

 | Par Bruno José Daniel Filho, Marilena Nakano

Brésiliens de naissance et de nationalité, nous avons obtenu le 27 novembre 2006 le statut de réfugiés politiques attribué par l’OFPRA – l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, qui a reconnu le danger de mort qui pèse sur nous dans notre pays. Cette situation peut sembler incompréhensible alors que le Brésil est unanimement considéré comme un pays démocratique, gouverné de surcroît par le Parti des Travailleurs (PT) et son leader historique Lula.

Nous avons pourtant dû quitter notre pays à cause d’incessantes menaces, persécutions et intimidations, provoquées par la lutte opiniâtre que nous menons pour connaître les raisons et les commanditaires de l’asssassinat de Celso Daniel, maire PT de la grande ville industrielle de Santo André, dans l’Etat de Sao Paulo. Celso Daniel, notre frère et beau-frère, a été assassiné il y a exactement 6 ans, en janvier 2002, alors qu’il coordonnait l’élaboration du programme électoral du PT pour la campagne présidentielle qui a débouché fin 2002 sur l’élection de Lula à la Présidence de la République.

<img1378|center>

Après une enquête bâclée, la police de l’Etat de São Paulo a conclu qu’il s’agissait d’un crime crapuleux, un simple enlèvement pour rançon qui aurait mal tourné. L’examen du dossier nous a convaincu du contraire, tant ses lacunes et ses contradictions étaient criantes. Nous avons alors demandé la réouverture de l’enquête, ce qui fut fait par le Ministère Public au second semestre 2002. Le magistrat a conclu que le crime avait été organisé pour faire taire Celso, qui voulait rompre avec les méthodes occultes de financement des campagnes électorales et leur détournement à des fins d’enrichissement personnel de collaborateurs.

Six ans après l’affaire n’est toujours pas réglée. On a cherché à couvrir les vraies raisons du crime. Quand un lien était évoqué entre l’assassinat de Celso et le financement occulte des campagnes électorales, des dirigeants du PT protestaient publiquement, soit-disant en défense de la mémoire de Celso, et les autorités entravaient la poursuite des investigations.

Seul le Ministère Public a pu poursuivre son enquête, avec compétence et indépendance, bien qu’il demeure naturellement, comme toute institution, hétérogène et perfectible. Nous souhaitons qu’il puisse maintenant terminer son travail pour dévoiler complètement les motifs, les commanditaires et les exécutants de l’assassinat.

Mais aujourd’hui toute l’enquête risque d’être réduite à néant. L’autonomie du Ministère Public, qu’il exerce dans la plénitude du rôle que lui a confié la Constitution de 1988, celui “d’avocat du peuple”, est gravement menacée. Est en cours en ce moment une procédure auprès du Tribunal Suprême Fédéral, la cour suprême de la justice brésilienne, à la demande de Sergio Gomes da Silva, dit “Sombra” (l’Ombre), désigné par le Ministère Public comme le principal suspect d’avoir ordonné le meurtre. Ce personnage demande l’annulation de la procédure, au motif que le Ministère Public n’aurait pas le droit de mener une enquête criminelle. Nous ne pouvons pas laisser passer cela. Le Tribunal Suprême ne doit pas retirer son droit d’investigation au Ministère Public, nécessaire au plein exercice de la citoyenneté. Dans un pays où les criminels vont très rarement en prison s’ils sont riches et puissants, une telle décision renforcerait à juste titre le sentiment d’impunité et d’injustice.

Aujourd’hui la dictature militaire n’est qu’un souvenir et le Brésil est une démocratie, même imparfaite. Mais les inégalités sont immenses, et le crime organisé renforce de façon inquiétante ses liens avec des membres de l’appareil d’Etat. Depuis presque deux ans nous tentons de reconstruire nos vies en France. Mais nous ne pouvons pas laisser le passé derrière nous comme s’il n’existait plus. Exilés de la démocratie brésilienne, nous continuons à nous intéresser à la situation de notre pays et en particulier à l’enquête sur l’assassinat de Celso. Car cette affaire illustre les liens entre le crime organisé, la collecte de fonds pour le financement des campagnes électorales et les actes anti-démocratiques de certains gouvernants, au niveau local, régional ou fédéral.

Six ans après la mort de Celso Daniel, se souvenir de lui signifie lutter pour le progrès des institutions démocratiques. Nous rendons aujourd’hui publique, au Brésil et en France, notre situation paradoxale de réfugiés dans l’espoir de soutenir l’action du Ministère Public brésilien et l’exigence de justice, afin que l’affaire soit jugée par un jury populaire. Nous ne pouvons pas abandonner un combat auquel tant de citoyens se consacrent, au Brésil comme ici en France : la préservation du lien entre éthique et politique.


Par Bruno José Daniel Filho et Marilena Nakano - janvier 2008


Suivez-nous

Newsletter

Abonnez-vous à la Newletter d’Autres Brésils
>
Entrez votre adresse mail ci-dessous pour vous abonner à notre lettre d’information.
Vous-pouvez vous désinscrire à tout moment envoyant un email à l’adresse suivante : sympa@listes.autresbresils.net, en précisant en sujet : unsubscribe infolettre.

La dernière newsletter

>>> Autres Brésils vous remercie chaleureusement !

Réseaux sociaux

Flux RSS

Abonnez-vous au flux RSS