Violence rurale, impunité et fédéralisation

 | Par Flávia Piovesan

<img32|left> L’armée se déploie à Anapu (PA), où la religieuse Dorothy Stang a été assassinée. L’arrestation de deux suspects doit apporter des informations sur l’appropriation illégale de terres dans la région, allant vers la fédéralisation du procès, c’est-à-dire le transfert de l’enquête et du jugement de la Justice de l’état vers la Justice fédérale.

L’assassinat brutal de la missionnaire Dorothy Stang, dans la zone rurale d’Anapu, dans l’état du Pará, le 12 février dernier, montre de façon emblématique le degré de la violence rurale dans le pays, alimentée par l’absence d’état de droit et par l’usage de la force arbitraire et sans crainte, le tout couvert par l’impunité.

Selon la Commission Pastorale de la Terre, dans la période allant de 1985 à 2003, sur 1003 crimes relatifs aux conflits pour la terre, tout juste 75 ont été jugés, ce qui correspond à moins de 7.5%. Sur un total de 1349 assassinats, seuls 64 hommes de main et 15 mandataires ont été condamnés. Ces chiffres révèlent le degré d’impunité et l’incapacité des institutions à résoudre les conflits.

Face à ce modèle d’impunité, il y a aujourd’hui 13 cas de violence rurale soumis à la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme (OEA), dont 6, soit 46%, ont également eu lieu dans l’état du Pará, y compris le « massacre de Eldorado de Carajás » où 19 travailleurs ruraux ont été assassinés par la police militaire, lors de la désobstruction d’une route le 17 avril 1996.

Sur les 146 policiers militaires jugés, seuls deux ont été condamnés et 144 relaxés. On distingue encore le cas de José Pereira, jeune travailleur rural assassiné alors qu’il tentait de fuir le régime d’esclave auquel il était soumis dans une propriété agricole du Pará, en 1989. Dans ce cas, il y a eu une solution amiable entre les pétitionnaires et l’état brésilien le 18 septembre 2003, comprenant le paiement d’une indemnisation pour la victime et la promesse de l’état d’adopter des mesures pour la prévention, la lutte et l’éradication du travail esclave.

Tous les cas de violence rurale portés sur la scène internationale contre le Brésil ont pour but de rompre la chape d’impunité qui sauve ceux qui perpétuent ces crimes, en cherchant la justice et le respect des droits de l’homme. C’est dans ce contexte que la réforme du pouvoir judiciaire, approuvée par l’amendement constitutionnel n° 45 du 8 décembre 2004, va introduire la « fédéralisation des crimes contre les droits de l’homme » (1). Présentée au départ comme un objectif du programme National pour les Droits de l’Homme, la fédéralisation de ces crimes est prévue dans l’article 109, paragraphe 5, dans les termes suivants :

« En cas de suspicion de violation grave des droits de l’homme, le Procureur général de la République, dans le but d’assurer l’exécution des obligations découlant des traités internationaux sur les Droits de l’Homme signés par le Brésil, pourra demander, auprès du tribunal de Grande Instance, à n’importe quelle phase de l’enquête ou du procès, le transfert des compétences vers la Justice fédérale. »

On espère que la fédéralisation sera un instrument pour une meilleure défense des droits de l’homme, en renforçant la lutte contre l’impunité. Dans les cas où les institutions locales montreraient des failles ou des oublis dans la protection des droits de l’homme, il sera possible de se tourner vers les instances fédérales, comme moyen d’augmenter la protection de ces droits.

La fédéralisation pourra également renforcer la responsabilité des diverses entités fédératives quant aux droits de l’homme, particulièrement dans les états, sous peine de voir leurs compétences transférées. De plus, la responsabilité de l’Union envers les droits de l’homme sera engagée au niveau interne afin de répondre à sa responsabilisation internationale croissante, dans la mesure où, sur la scène internationale, c’est l’Union qui est responsable en cas de violation des droits de l’homme, qu’elle s’est juridiquement engagée à protéger.

Toutefois, paradoxalement, avec le système jusqu’alors en vigueur, l’Union était en même temps responsable au niveau international et non responsable au niveau national, puisqu’elle n’avait pas la possibilité d’enquêter, d’intenter un procès et de condamner la violation dont elle pouvait être amenée à répondre sur le plan international.

Ainsi, la systématisation de la responsabilité nationale concernant les graves violations des droits de l’homme s’en trouvera améliorée, ce qui permettra de perfectionner le taux de réponses institutionnelles, dans les différentes instances fédératives. Il en résulte que, pour les états dont les institutions combattaient efficacement les violations, la fédéralisation n’aura aucune incidence majeure - elle ne fera qu’encourager l’importance de l’efficacité des réponses. En revanche pour les états dont les institutions se montraient défaillantes, l’hypothèse du transfert de compétences vers l’état fédéral est posée.

Que la fédéralisation des crimes contre les droits de l’homme puisse être l’instrument efficace pour combattre l’impunité dans les cas graves de violence rurale, affirmant ainsi l’état de droit et l’idée que la force du droit doit prévaloir sur le droit de la force.


Par Flávia Piovesan, envoyée spéciale pour l’agence Carta Maior - 21 février 2005

Flávia Piovesan est professeur de Droit constitutionnel et des Droits de l’Homme à la PUC-SP, professeur des Droits de l’Homme pour le 3ème cycle à l’université Pablo Olavide (Espagne), professeur invitée dans le programme des Droits de l’Homme à la Harvard Law School (1995-2000), membre du Conseil National de Défense des Droits de l’Homme et procureur de l’état de São Paulo.


(1) Selon le Procureur de la République Gustavo Nogami, le Ministère public fédéral suit l’enquête sur la mort de Dorothy Stang parce que le parquet doit demander la fédéralisation du procès. C’est pour cela, a expliqué Nogami, que les éléments relatifs aux processus d’appropriation illégale de terres dans la zone où a eu lieu le crime sont importants. S’il était prouvé qu’il s’agissait de terres fédérales, l’intérêt de l’Union pourrait être défini juridiquement plus facilement. « Il se peut qu’on rouvre des enquêtes concernant d’autres crimes », a dit Nogami à l’Agência Brasil dimanche dernier (20).


Traduction : Sandrine Lartoux pour Autres Brésils


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