Ville et différence : les études sur l’érotisme et la diversité sexuelle et de genre au Brésil

Source : Marina Frúgoli / Couv : K. Penalba et M. Ishtar de Luca

Cet article examine la production anthropologique brésilienne qui s’intéresse spécifiquement au genre, à la sexualité et aux autres marqueurs sociaux de la différence, et apporte des contributions originales par un dialogue créatif avec l’anthropologie urbaine [1]. Il convient de signaler qu’à partir des années 1980, l’anthropologie au Brésil a connu une inflexion qui se caractérise par la multiplication des études consacrées à la compréhension des dynamiques à l’œuvre dans les villes du pays. Ces recherches ont commencé à prendre en compte les conflits et les changements sociaux pour donner une nouvelle visibilité à des acteurs tels que les femmes, les homosexuels, les Noirs, les habitants des favelas et des banlieues des grandes métropoles, etc. (Durham 1986).

La saine tension qui vit alors le jour entre le contexte politique de re-démocratisation du Brésil, où émergeaient de nouvelles versions des mouvements féministes, homosexuels et noirs, et la réflexion critique ancrée dans la meilleure tradition anthropologique a été à l’origine de travaux originaux sur les homosexualités et les expériences et contextes féminins. On doit cet état de fait à l’entrecroisement des débats afférents aux identités, aux systèmes de classification, à la politique, au marché et aux territorialités, configurant depuis lors un ensemble de questions toujours à l’ordre du jour dans nombre de recherches du domaine.

Cet entrecroisement a favorisé l’émergence d’un ensemble de travaux centrés sur la production articulée des différences, et plus spécifiquement celles de la sexualité et du genre, dans des contextes urbains où ces processus peuvent être abordés de manière particulièrement fructueuse. En outre, ces travaux ont permis de faire de l’articulation des différences un élément de première importance dans le processus de production de la ville. Il ne serait pas exagéré d’affirmer qu’avant même la montée en puissance du débat sur l’intersectionnalité dans le cadre des théories féministes et sociales, les recherches brésiliennes et, plus spécifiquement, en anthropologie avec leur mise en valeur significative de la production d’ethnographies en contextes urbains, constituaient déjà un apport important [2].

Au fil des années, la production anthropologique brésilienne sur le genre et la sexualité a connu une croissance exponentielle. Depuis le milieu des années 1990, on constate un nouvel élan marqué par la multiplication des groupes de recherche et la diversification thématique, ainsi que par la centralité acquise dans de nombreux travaux par la question de la sexualité. Ce processus s’inscrit dans la trajectoire de légitimation des notions d’« égalité de genre » et de « droits sexuels » dans l’agenda politique international, mais également dans la lignée des « actions positives axées sur la réduction des inégalités de genre, la lutte contre le racisme et l’homophobie, et les politiques en faveur de la jeunesse » (Facchini, Daniliauskas & Pilon 2013, 162).

C’est dans ce contexte qu’émergèrent les premières politiques publiques considérant les LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) comme sujets de droits, au-delà de la sphère de la santé publique. À partir du milieu des années 1990, les anciens « ghettos » se transformèrent peu à peu en une sorte de « niche de marché ». Ce coming out fut à l’origine de la multiplication des parades de la fierté homosexuelle, tandis que le mouvement LGBT mettait en œuvre des stratégies destinées à influencer politiquement le pouvoir exécutif et législatif (Facchini 2009). Finalement, à partir du milieu des années 2000, ce même mouvement commença à défendre ouvertement au niveau international la reconnaissance des « droits sexuels » en tant que droits de l’homme.

Après s’être tout d’abord consacré aux questions de genre et de sexualité sous l’angle de la santé publique, ce champ de recherche s’est progressivement ouvert à des questionnements plus larges. Dans ce cadre, on peut notamment souligner le dialogue croissant avec la littérature internationale des queer studies et des contributions théoriques de ce que l’on appelle aujourd’hui communément l’intersectionnalité.

Dans leur ébauche de la trajectoire du champ des études consacrées à la diversité sexuelle et de genre au Brésil, Simões et Carrara (2014) montrent qu’une part importante de la production se base sur des catégories comme celle des sociabilités en contexte urbain, ce que corroborent aussi les travaux de Facchini, França et Braz (2014). Les remarques de Simões et Carrara s’inscrivent d’une certaine manière dans la tendance qu’on peut identifier lors de l’apparition au Brésil des premières recherches inspirées des contributions de la sociologie et de l’anthropologie urbaines, qui établissent un lien entre, d’un côté, les villes et les territorialités et, de l’autre les moralités. Nous chercherons ici à retracer la trajectoire de ce dialogue en nous basant sur les travaux concernant la diversité sexuelle et de genre au Brésil, ce qui nous permettra de mettre en lumière les objets empiriques et les cadres analytiques mobilisés depuis les années 1960.

Parmi les principales transformations observées, on peut citer : 1) le passage d’études isolées centrées sur des contextes de loisirs ou sur les rapports intimes entre hommes homosexuels à une cartographie d’ensemble des établissements de loisirs et de sociabilité ; 2) les efforts renouvelés d’analyse des marqueurs sociaux de la différence ; 3) la diversification des objets empiriques et l’accent récemment mis sur les pratiques sociales liées à la sexualité, sans se référer nécessairement aux dichotomies entre hétéro/homosexualité ou entre masculinité et féminité, ainsi que la réflexion sur l’érotisme et l’ethnographie des pratiques sexuelles, ou encore des approches relatives au marché et au sexe qui ne sont plus exclusivement liées à la prostitution et à l’homosexualité.

Chacune de ces transformations sera ici abordée en prenant en considération les contextes dans lesquels elles s’inscrivent et les articulations entre études urbaines et études sur le genre et la sexualité.

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[1Il s’agit nécessairement d’un parcours partial et situé, étant donné que leurs auteures font également partie de cette tradition intellectuelle et que ce texte reflète d’une certaine manière les discussions qu’elles ont menées au cours de leurs trajectoires professionnelles.

[2Pour une théorisation consistante de l’intersectionnalité, à savoir l’articulation entre genre et autres marqueurs sociaux de la différence, consulter Avtar Brah (1996) et Anne McClintock (2010). Pour des études brésiliennes sur les perspectives intersectionnelles, voir Piscitelli (2008) et Moutinho (2014).

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