Un mouvement pour un autre type de société

 | Par Terezinha Vicente

Source : Ciranda

Date de publication : 19 juin 2013

 
Traduction : Juliette Delattre pour Autres Brésils

Après avoir acquis gain de cause dans le sillage des énormes manifestations organisées à Sao Paulo et à Rio, le mouvement Passe Livre (qui revendique la gratuité des transports, NdT) pose plusieurs questions dans le débat politique.

 

L’exécutif des villes et des états fédéraux de São Paulo et de Rio ont annoncé aujourd’hui leur décision d’annuler l’augmentation des prix du ticket de bus. De nouvelles manifestations, célébrant cette victoire, sont prévues demain. Mais les manifestants n’entendent pas se reposer sur leurs lauriers. Les leaders reconnus du MPL (Movimento Passe Livre) ont déjà indiqué que la lutte continuait, pour la libération des prisonniers, contre la criminalisation des mouvements sociaux, et pour l’approfondissement du débat autour de la mobilité urbaine et des transports publics. Qu’en est-il des discussions au sujet de l’organisation de la Coupe du Monde, et des agissements de la Police Militaire ? Vont-elles se poursuivre ?

Le moment est opportun pour analyser les faits historiques et pour nous préparer aux nouvelles revendications qui ne manqueront pas d’apparaître, au vu de la détérioration des services publics au Brésil – à commencer par l’éducation et la santé, loin de garantir les droits fondamentaux des Brésiliens. Cette victoire (le retrait de la mesure visant à augmenter les prix des transports en commun, NDT) encouragera certainement la population des sans domicile, sans emplois, sans éducation, sans rien du tout.

Les décideurs n’ont-ils pas indiqué que c’est nous qui devrions prendre en charge le manque à gagner (induit par l’annulation de la mesure projetée, NDT) ? Pas question de mettre la main sur les profits générés par les entreprises privées. Pas question non plus de profiter du renouvellement des contrats de concessions privées (en charge des transports urbains, par délégation de service public, NDT), pour révoquer les entreprises qui ont réalisé le plus de profits.

 
Une contestation populaire croissante secoue l’ensemble du Brésil, capitales d’états et bourgades confondues, rassemblant des milliers et des milliers de manifestants. Partout, ce sont les mêmes mots d’ordre, les mêmes revendications ; internet a transformé nos modes de mobilisation. Cette après-midi, des manifestations sont prévues dans la Zone Est et la Zone Nord de la ville de São Paulo ; ce matin, des manifestations ont eu lieu dans la Zone Sud et dans l’ABC (région industrielle de l’état de São Paulo, reliant initialement les trois villes de Santo André - A - São Bernardo do Campo – B - et São Caetano do Sul - C, NDT).

Force est de constater, combien leurs injonctions font écho à celles du Printemps Arabe, où la suite à donner aux manifestations fait actuellement débat. Les manifestants (brésiliens, NDT) sont en pleine expérimentation de cette démocratie formelle, représentative mais qui est loin de nous représenter, cette démocratie détournée et discréditée ! Pendant ce temps, les manipulateurs de l’opinion publique s’activent, et la droite n’est pas en reste, la vigilance politique est de mise !
 
Quelle direction donner au mouvement ?
 
Le mouvement le plus important qui s’est tenu au Brésil ces dernières années pose problème. Ceux dont l’objectif est de détruire ou de voler les manifestants – c’est le cas d’indigents, de provocateurs infiltrés, de certains militants eux-mêmes, tenant ce type d’action en haute estime – constituent une infime partie des centaines de milliers de personnes mobilisées.

Il est question ici de l’étrange appui des oligopoles des moyens de communication, du glissement des discours de quelques-uns des principaux leaders de droite, et de certaines postures et discours qui se sont manifestés dans de nombreuses villes brésiliennes, lors de la grande marche du 17 juin dernier. Il est également fait référence à la thèse de la manipulation, que certains militants, notamment du PT (Parti des Travailleurs, NDT) ont commencé à propager, comme si le mouvement étudiant constituait l’occasion rêvée pour la droite d’organiser le renversement du gouvernement. S’il vous plaît…

 
Le leadership du mouvement fait débat, comme le révèlent la dispute des mots d’ordre, et des attitudes, dont certaines sont mises en avant au détriment d’autres. Au-delà d’un nationalisme de caricature, ils (les moyens de communications, NDT) tentent de consacrer le rejet des partis, une démarche complètement anti-démocratique et stérile puisqu’elle fait passer le désintérêt pour la politique pour un avancement.

Une telle analyse est particulièrement problématique au moment où se forge l’une des plus importantes actions politiques qui se soit tenue au Brésil ces derniers temps. Pourquoi interdire les prises de position de partis dans les manifestations ? Parce que les partis, souhaitant faire entendre leur voix dans les protestations, sont des défenseurs historiques de la démocratie et des libertés de notre pays, et certains d’entre eux luttent depuis toujours contre le capitalisme. 

Certains manifestants portant des banderoles de partis de gauche ont été agressés par d’autres manifestants. Ceux qui s’opposent si fougueusement à la présence de militants ne peuvent qu’avoir honte des partis dont ils se réclament ! L’histoire racontée à grand renfort de vert et jaune (les couleurs du drapeau brésilien, NDT) et de l’hymne national tente de faire le rapprochement entre le mouvement actuel et le récent mouvement « Acorda Brasil » (Réveille-toi, Brésil), qui rassemblait des mécontents de tous bords, se disant apolitiques, commettant une confusion fréquente entre les mouvements apolitiques et ceux ne se réclamant d’aucun parti politique. Ce sont les mêmes qui voteront bientôt pour des partis réactionnaires (les prochaines élections présidentielles se tiendront en 2014, NDT).

 
Autonomie et partage

La division de la manifestation qui s’est tenue lundi dernier (le 17 juin, NDT) en trois itinéraires est tout à fait représentative des tiraillements que connaît actuellement le mouvement de protestation. D’un côté, le courant mené par le réseau de télécommunications de la Globo, rassemblé sur le Pont Octavio Frias de São Paulo, de l’autre, le courant représenté par le gouverneur (de l’état de São Paulo, NDT) dans son palais de Morumbi (un quartier cossu de São Paulo, NDT), tandis que l’Avenue Paulista regroupait les banquiers et leur notoriété.

Le refus de s’affilier à quelque parti que ce soit est inscrit dans la constitution du Movimento Passe Livre et des mouvements de jeunes qui émergent, et eux savent faire la différence avec l’apolitisme. Nombre de ces nouveaux militants refusent de se réclamer d’un parti politique, quel qu’il soit, car ils s’en défient. Ils n’ont plus confiance dans l’organisation politique et sociale forgée par le capitalisme – la démocratie et ses pouvoirs républicains.

 
Ils remettent cette Démocratie en question, celle-là même qui n’est jamais parvenue à la vraie démocratie, car les inégalités et l’exploitation constituent les fondements du capitalisme. De quelle liberté d’expression et de quel niveau de participation disposent les jeunes, quelle intégration peuvent espérer les individus qui constituent la société d’aujourd’hui ? Ils remettent en question le règne de la voiture individuelle au détriment des transports publics, ils remettent en question les règles du marché et de la financiarisation à tout-va, les mensonges des médias, l’hypocrisie et la violence, le consumérisme qui déshumanise les individus et détruit la planète. Malheureusement, les gouvernements successifs se sont laissés dominer par les corporations et les institutions, par la faute d’individus corrompus, d’extrémistes et des capitalistes eux-mêmes, avec leurs conglomérats / de banques, d’industries agricoles, d’entreprises de télécommunications etc.

Ce mouvements est d’un autre temps, il vise à construire une autre société, dans laquelle les personnes peuvent exister telles qu’elles sont, et dont l’appât du gain ne soit pas le soubassement. Cette jeunesse merveilleuse appelle de ses vœux des organisations non autoritaires, non corrompues ; elle s’organise elle-même horizontalement, ne dépend d’aucun financement institutionnel, ne se rassemble pas derrière une figure charismatique ; plusieurs jeunes se sont singularisés et se relaient au porte-voix du mouvement. Partage et solidarité sont les valeurs cardinales de cette nouvelle forme de faire de la politique et de vivre, des valeurs qui ont été expérimentées lors des mouvements d’occupation par les sans abris, par les sans terre, par ceux qui ont fait le choix du logement collectif et ceux qui ont fait partie du mouvement « Occupy » qui s’est récemment manifesté dans plusieurs métropoles du monde entier.

Ce sont des expériences, des points de vue nouveaux, des apprentissages. Les moyens de communication de masse ne gagnent rien à tenter de détourner le sens des mobilisations. Ils courent le risque de rater le moment historique que nous sommes en train de vivre : le partage de l’information entre les jeunes est permanent, des images et des vidéos transmettent instantanément les faits, et tout le monde sait que « la révolution ne sera pas télétransmise ».

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