Un député dans la mire des milices

 | Par Kakie Roubaud

De notre correspondante à Rio de Janeiro.

Marcelo Freixo, député dans l’Etat de Rio de Janeiro (PSOL) et candidat à la Mairie est un homme menacé de mort. Son parcours de ce militant des droits de l’homme, médiateur dans les révoltes de prison, a inspiré le personnage central de Diogo Fraga dans le film à succès "Troupe d’Elite 2" et a fait de lui une légende. En 2008, il a présidé une Commission d’Investigation Parlementaire (CPI) sur l’action des milices dans la Cidade Maravilhosa (la Cité Merveilleuse comme les habitants de Rio appellent leur ville).

Quatre ans plus tard, escorté en permanence par six gardes du corps, ce professeur d’histoire, toujours menacé, présente sa candidature comme Maire de Rio. Les musiciens Chico Buarque et Caetano Veloso mais aussi de l’ancienne ministre de l’Environnement Marina Silva soutiennent sa candidature. Il explique le danger croissant que font peser ces groupes para -militaires sur les banlieues et sur la démocratie. Interview

K.R : Comment décrire les milices cariocas ?

Les Milices sont des Mafias implantées dans l’Etat de Rio de Janeiro. Elles existent depuis une dizaine d’années et sont composées d’agents de sécurité issus de la police, de l’armée, des prisons et des casernes de pompiers.... Ce sont des groupes criminels très bien organisés qui dominent plusieurs territoires. En 2008, année de la CPI il y avait 170 régions de Rio sous leur coupe. Aujourd’hui on estime qu’il y en a 300. Leur pouvoir économique est énorme . Le plus souvent, ils pratiquent le racket sur le commerce de gaz, le transport collectif en minibus et la télé câblée illégale. Quelques- uns font aussi du prêt à des taux élevés. Ce sont des activités très lucratives ! ».

K.R : Ces mafias ont-elles des relais dans les milieux politiques ?

« Oui. Leur pouvoir territorial s’est transformé en pouvoir électoral. Pour la première fois à Rio de Janeiro un groupe criminel s’apprête à prendre le pouvoir. Ils font élire des conseillers municipaux et des députés ; ils interfèrent dans les élections jusqu’au niveau fédéral. Ils sont extrêmement dangereux : c’est un embryon de mafia du type de ceux qui existent en Italie.

K.R : En quoi consiste la Commission d’ Enquête lancée en 2008 ?

Au second semestre de 2008, nous avons ouvert une Commission d’Enquête Parlementaire (CPI de son sigle en portugais). Après six mois d’enquête, notre rapport a été approuvé à l’unanimité par tous les parlementaires. Celui-ci mettait en cause 225 miliciens. Parmi eux se trouvaient un député et quelques conseillers municipaux. Nous avions établi une cartographie. On y montrait où se trouvaient les milices, qui ils étaient, comment ils fonctionnaient et quelles étaient leurs relations avec le pouvoir. C’était un rapport très didactique et son impact sur l’opinion publique a été énorme. Le regard collectif sur les milices a changé. Des réseaux ont été démantelés et pas mal de gens sont partis en prison...

K.R : Pourquoi dîtes-vous que l’opinion publique a changé ?

Parce que jusqu’à présent, l’opinion publique était de connivence avec eux. L’ancien Maire de Rio les qualifiait « d’auto -défenses communautaires » et le Maire actuel les citait comme preuve et exemple de « ce que les polices à Rio de Janeiro pouvaient faire ». Bref, tous ceux qui avaient un intérêt à ce que ces milices contrôlent le vote dans les quartiers populaires minimisaient en disant qu’elles étaient un « mal nécessaire » ! L’important, c’était d’éradiquer le trafic de drogue ; les miliciens faisaient ce sale boulot alors peu importait comment...

K.R : Ce rapport a-t-il été relayé par les médias ?

L’opinion publique s’est complètement retournée après qu’un couple de journalistes qui enquêtait sur un territoire aux mains des milices ait été torturé de façon barbare par des miliciens. C’est à ce moment seulement que la demande de CPI a pu être approuvée. J’avais fait la demande un an et demi plus tôt, début 2007 mais la Commission d’Enquête n’a été approuvée qu’à la mi- 2008 ! Auparavant, les milices étaient très influentes et elles avaient plus de pouvoir que nous à l’Assemblée. C’est seulement quand les deux journalistes ont été torturés que la pression des médias a enflé et que la CPI a pu être approuvée.


K.R : Que s’est-il passé avec ces deux journalistes ?

Ils travaillaient pour le journal O Dia et ils préparaient un sujet sur les milices dans la Favela du Batan - à titre symbolique, c’est aujourd’hui la seule favela de Milices qui a une Unité de Police Pacificatrice – (NDR – Les UPP sont des opérations militaires de reprise du territoire dans les favelas gangrenées par le trafic- Elles visent à restaurer l’état de droit) Ces journalistes s’étaient infiltrés parmi les habitants et ils vivaient avec eux pour mieux relater leur quotidien quand ils ont été démasqués par les Milices et torturés. Cet épisode a été repris dans "Troupe d’ Elite 2". Dans le film, ils meurent mais dans la vraie vie, ils s’en sont sortis et ils ont quitté le Brésil. Toute la presse a mis la pression et la Commission d’Enquête, au point mort depuis un an et demi, a pu être lancée.

K.R : Votre vie a-t—elle changé ?

A partir de la CPI, j’ai commencé à revoir des menaces de mort et à me déplacer en voiture blindée. Je gérais ce risque-là avec les précautions d’usage jusqu’en août dernier quand la juge Patricia Accioly de Niteroi (NDR : la municipalité « jumelle » de Rio de Janeiro, de l’autre côté de la Baie de Guanabara) a été sauvagement assassinée par les milices. Cette juge a été abattue de plusieurs coups de feu par une arme de police, avec des munitions de la police et tout le monde a très bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un acte manqué mais bien d’un avertissement ! On ne pouvait plus douter une seule seconde que s’ils avaient été capables de tuer un juge, ils pouvaient très bien tuer un député.


K.R : Avez-vous reçu de nouvelles menaces ?

En octobre 2011, deux mois après l’exécution de la juge Patricia Accioly (NDR : elle s’apprêtait à inculper plusieurs miliciens), les menaces de mort à mon égard se sont accélérées. Au cours du seul mois d’octobre 2011, j’ai reçu 7 menaces précises. Des gens protégés par l’anonymat y expliquent de façon détaillée, les plans de la milice pour m’exécuter. Toutes ces dénonciations sont précises : il y a le nom du policier, le lieu où il se trouve, le groupe avec lequel il est, le jour... Bref, toute une série d’informations qui pourraient justifier l’ouverture d’une enquête. Ce sont les Services de Sécurité de l’Assemblée Législative de Rio qui me les transmettent. Pourtant à part les gardes du corps dont je bénéfice depuis 2008 - payés par l’Etat, une obligation - , je n’ai eu en ce mois d’octobre 2011 aucun contact à ce sujet avec le Gouvernement de Rio.

K.R : Sait-on la part de police impliquée dans ces mafias ?

Toute la police n’est pas mafieuse, loin de là. Pour mener à bien cette CPI, je me suis appuyé sur le travail merveilleux d’un très grand nombre de policiers. Jamais on n’aurait pu conclure ce travail sans leur patient travail d’infiltration, d’enquête et d’analyse. Il faut être conscient qu’il existe une guerre des polices, une lutte importante à l’intérieur même des services de sécurité contre ce cancer qui les ronge... Il n’en reste pas moins qu’à Rio, le crime organisé est un crime d’Etat.

K.R : Est-ce que Brasília pourrait légitimement intervenir ?

Le Gouvernement Fédéral n’a pas de pouvoir sur les polices régionales. Mais il a la main sur la législation en matière pénale. Une des propositions de la CPI était de définir le crime de « milice » et de le codifier. Mais depuis 2009, cette loi n’est toujours pas votée ! Le débat sur la démilitarisation des pompiers n’est pas non plus un débat régional mais bien national... Qu’est qui justifie que des pompiers ait un port d’arme ? L’Agence Nationale des Pétroles qui administre la distribution du gaz n’est pas une autorité régionale mais nationale ! Donc le pouvoir fédéral a tout à fait le pouvoir d’affronter les milices.

K.R : Peut-on imaginer des ramifications du crime au sommet de l’Etat ?

Comment expliquer qu’après cette CPI, un groupe criminel s’en sorte plus fort et plus menaçant que jamais ? L’histoire récente de Rio de Janeiro ne distingue pas crime, de police et de politique. Les trois sont liés. Les milices peuvent interférer dans des élections fédérales et sénatoriales. Mais c’est surtout dans la politique locale, avec les conseillers municipaux et les députés régionaux que les milices de Rio font commerce. Aux dernières élections municipales de 2008, c’est toute la Zone Ouest dominée par le clientélisme qui a basculé au bénéfice du maire actuel Eduardo Paes. Localement, leur poids politique est énorme. Au niveau fédéral, c’est surtout le manque de volonté politique qu’on peut déplorer.

K.B : Comment envisager alors les futurs grands évènements ?

Derrière l’organisation de ces Grands Evènements, il y a l’idée qu’il faut restaurer l’ordre. Or pour la Mairie et pour l’Etat de Rio, l’ordre c’est la fin du trafic. Pas la fin des milices ! Pourtant la milice est une mafia et cette mafia, comme le trafic, a deux bras : d’un côté le Service Social, de l’autre la Terreur ! Avant de menacer un député ou tuer un juge, combien d’anonymes ont été assassinés ? La carte des milices et celle des homicides est la même ! Partout où il y a un grand nombre de morts violentes, il y a les milices. Patricia Accioly enquêtait sur les morts « au cours d’actes de résistance » quand elle a été assassinée.

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