Tuile après tuile, le Mouvement des Sans Terre a construit la première école rurale dans l’état du Mato Grosso

 | Par José Coutinho Júnior

Source : MST - 06/05/2015
Traduction pour Autres Brésils : Zita FERNANDES
(Relecture : Anne-Laure BONVALOT)

Photographies : Heriberto Paredes

L’assentamento [1] Roseli Nunes peut être perçu comme un symbole de résistance de la Réforme Agraire dans l’Etat du Mato Grosso. Sa superficie de 7000 hectares abrite près de 325 familles ; la zone est entourée par de grands domaines agricoles appartenant à l’agro-business qui contaminent, souvent, la production des occupants avec leurs pesticides.

Le Mato Grosso est l’un des États qui concentre la plus grande partie des terres du Brésil. D’après le rapport publié en 2010, par le Forum National pour la Réforme Agraire et la Justice à la Campagne, 69% des zones rurales sont des domaines agricoles, dont la superficie dépasse les 3500 hectares.

Malgré tout, l’assentamento résiste et produit une grande diversité d’aliments, offrant ainsi des conditions de vie digne aux familles occupantes. Chaque centre de l’assentamento possède une zone sociale, où l’on construit des écoles, des églises, des centres médicaux.

Damião, l’un des habitants ayant participé à la construction de l’école.

Les agriculteurs produisent du lait, du maïs, des pommes de terre, du manioc, du riz, des bananes, des potirons, des oranges, des mangues, du melon, des ananas, des pastèques, des haricots, des légumes verts et d’autres types de légumes. Le travail agro-écologique de la région a commencé dans le campement en 2004. Aujourd’hui, 60 familles produisent des aliments sans pesticides.

Outre la production, l’assentamento Roseli Nunes est une référence en matière d’éducation. L’école Madre Cristina, première école rurale de l’État, est située au centre du campement et offre aux élèves, professeurs et occupants, une manière d’enseigner à la campagne et de s’intégrer à la communauté rarement vue dans d’autres écoles.

Actuellement, l’école compte près de 360 élèves de l’enseignement primaire, secondaire et du programme d’Education des Jeunes et des Adultes (EJA) de l’assentamento Roseli Nunes

A l’époque de sa fondation, en 1997, une tente en toile servait de salle de classe aux élèves ; après la création de l’assentamento, en 2002, chaque occupant a donné 50 R$ pour l’achat de matériel et un effort collectif a permis construire l’école.

Sur les 360 élèves de l’école, une centaine font partie de l’EJA. Beaucoup d’entre eux n’étaient jamais entrés dans une salle de classe.

Selon Damião, l’un des occupants ayant participé à la construction de l’école Madre Cristina : « l’importance de l’école vient du fait qu’elle est différente. Outre l’apprentissage des matières générales, les élèves apprennent la production, le respect de la nature, comment se protéger du venin qui est pour nous un grand problème ».

Au total, l’école compte sept salles de cours réparties dans deux pavillons. Quatre salles à droite, dans le plus grand pavillon, et trois à gauche, dans le plus petit. Un jardin sépare les deux pavillons, et face à chaque salle de cours, il y a une plante différente, plantée et entretenue par les élèves de chaque salle.

Dans le plus grand pavillon, il y a également un laboratoire d’informatique équipé de 19 ordinateurs, une salle de classe pour les élèves ayant des besoins particuliers et le réfectoire. Tous les aliments utilisés par l’école proviennent de l’agriculture biologique, qu’ils viennent de Roseli Nunes ou d’autres campements à proximité.

L’école sert le petit déjeuner, le déjeuner, le goûter et le dîner aux élèves. Élèves, professeurs et employés mangent ensemble dans le réfectoire. Des en-cas à base de légumes et de viande, de pâtes à la viande et de riz à la farine de manioc sont régulièrement servis.

La serveuse et occupante Nadimar travaille à l’école depuis 2001.

Riz, haricots noirs et viande

Nadimar occupe le poste de serveuse à l’école depuis 2001. Résidente de Roseli Nunes, elle a commencé à aider l’école. A l’époque, il n’était pas possible de payer une serveuse. Lorsque l’école parvint à obtenir des ressources, elle fut embauchée. Son fils a étudié jusqu’en 6e au sein de l’école, et maintenant ce sont ses petits enfants qui fréquentent la Madre Cristina. Pour Nadimar, c’est une joie de travailler à l’école.

« J’arrive à 10 heures et je travaille jusqu’à 17 heures. Quand j’arrive, je commence par cuisiner le riz, les haricots, la viande hachée. Les élèves adorent la nourriture. J’adore travailler ici, si je devais en partir, j’entrerais en dépression. Ma vie serait trop vide sans cette école, sans les professeurs, les filles du ménage, on dirait une famille. »

A côté du réfectoire, il y a un arbre entouré par un banc en bois, les élèves s’y assoient pour discuter durant la pause. En suivant le réfectoire, on arrive à la salle de coordination, la salle des professeurs et celle de la maternelle. Il y a aussi une grande salle réservée à la bibliothèque, qui possède une collection de mille livres, qui peuvent être empruntés non seulement par les élèves, mais aussi par la communauté.

L’école possède également deux terrains près de l’entrée : l’un pour les sports, et l’autre destiné au projet « +Éducation », qui réalise des ateliers de théâtre, de l’artisanat et de la danse avec les élèves.

L’école travaille avec le processus pédagogique de l’Education à la Campagne.

Pédagogie de la campagne

La structure de l’école est bien modeste et ne diffère en rien des autres. Pourtant, la Madre Cristina est une école très différente si l’on considère les cours qui y sont dispensés et sa relation à la communauté.

Elle existe uniquement grâce à la mobilisation des employés et des habitants. « Il y a toujours eu beaucoup de préjugés du fait que ce soit une école de campagne. On a tenté de la fermer plusieurs fois, et pour que nous puissions ouvrir de nouvelles classes, il a toujours fallu nous mobiliser », affirme la directrice Maria José de Souza Gomes.

Aujourd’hui, l’école dépend de l’État fédéral et non plus de la municipalité, changement qui a aidé dans les négociations à la réalisation de projets, l’acquisition des équipements et à son fonctionnement journalier.

Pour Maria de Lurdes Paixão, conseillère pédagogique du Secrétariat de l’Education de l’Etat (SEDUC), l’école « donne aux jeunes les moyens de poursuivre leurs études à la campagne. En effet, sa vie est liée profondément à la vie des occupants. L’histoire du campement et du Mouvement entre dans la salle de cours. »

Il y a encore des difficultés à dépasser, mais Maria de Lurdes est convaincue qu’avec le temps, l’équipe parviendra à les résoudre. « Ici, on me dit que cette école est de la campagne et pour la campagne. Et la méthodologie est réellement différente. Travailler avec l’équipe est paisible. Ils élaborent eux-mêmes la ligne et la méthode des projets et c’est à nous d’accompagner et de conseiller ».

De la même manière, les professeurs ont la liberté de créer des projets et leurs propres méthodologies de cours, mais certains réalisent des activités ensemble. Ronaldo de Queiróz, professeur de mathématiques, a remarqué que les élèves avaient besoin d’améliorer leurs capacités de raisonnement.

« Nous allons couper un tronc pour faire un plateau ; dans le cours d’arts plastiques, les élèves vont faire des pièces de jeu de dames et nous allons organiser un tournoi de dames, entre les élèves de toutes les classes. Cela stimulera le raisonnement de manière divertissante ».

Renata Cristiane, professeure de physique, pense que la manière d’enseigner la discipline dans les écoles est mauvaise. « Le MEC (Ministère de l’Education) réduit la physique au mouvement en CE1, à la chaleur en CE2 et à l’électricité en CM1. Mais ces choses sont inextricablement liées, les séparer ne fait que rendre l’enseignement plus difficile. Alors souvent j’arrive dans la salle et je commence à parler de physique aux élèves, ils posent des questions et nous discutons ».

La professeure défie également ses élèves, qui, pour se former, doivent rendre une monographie sur l’un des thèmes de son cours. « Nous étudions dans les cours les normes de l’ABNT (Association Brésilienne des Normes Techniques), et les travaux qui en résultent sont généralement très bons ». Renata apporte également des manuels universitaires pour faire les exercices avec les élèves.

« Je le fais pour qu’ils comprennent qu’ils sont aussi capables que les élèves des villes, car parfois, ils ont cette impression d’être moins bons, et en faisant cela, nous leur ôtons cette idée de la tête. »

De la salle de cours au jardin potager

L’école a lancé, cette année, un cursus d’agro-écologie pour les lycéens. Le cursus dure trois ans et les élèves étudient le fonctionnement des industries agricoles, de l’agriculture et de l’élevage écologiques de base ; de plus, la mise en pratique des techniques de l’agro-écologie se fait à travers la gestion d’un potager de appartenant à l’école.

Selon Sidney Martins, ingénieur agronome et habitant de Roseli Nunes, qui dirige le cours : « c’est un apprentissage important, à rapporter chez soi, car au-delà du fait que ce soit une manière de produire des aliments sains, cela ouvre une opportunité de commerce pour les familles ».

Sidney Martins est le directeur du cursus technique d’agro-écologie.

La vie culturelle au sein de l’école est également intense. L’année dernière, les étudiants de l’EJA ont réalisé un festival culinaire, où chacun a apporté un plat différent. « Nous avons réservé une table du réfectoire, mais comme les plats n’en finissaient pas d’arriver, nous avons dû en occuper plusieurs », déclare Maria José en riant.

L’école a également réalisé, en mai, une nuit culturelle durant laquelle les poésies et les travaux artistiques des élèves ont été présentés.

« Les occupants participent à la routine de l’école. Les assemblées principales de l’assentamento ont lieu ici, elles accompagnent les élèves dans leur évolution et évaluent aussi les professeurs », dit Maria José.

L’EJA (Education des Jeunes et des Adultes)

Outre l’enseignement primaire et secondaire, l’école Madre Cristina accorde une grande attention à l’EJA. Près de 100 élèves sur 360 font partie de l’EJA et nombre d’entre eux n’étaient jamais entrés dans une salle de cours de leur vie.

« Quand j’ai commencé à étudier, je ne savais rien, maintenant je sais même écrire une petite lettre. Nous sommes heureux d’être en classe, avec les amies et les collègues on se sent mieux. Je n’étais jamais allée à l’école. J’ai 73 ans et je croyais que je n’allais plus rien apprendre à cause de mon âge. Mais les professeurs sont bons, ils comprennent nos difficultés et nous aident beaucoup. Ce temps pour étudier aurait dû survenir dans l’enfance, mais comme je n’en ai pas eu… », a déclaré l’occupante Araci Lourinda.

Pour les personnes qui n’ont pas complété leurs études, l’EJA n’est pas seulement une opportunité pour apprendre, c’est aussi un moyen de s’émanciper à travers la connaissance. Le meilleur exemple de cela est la « salle des marguerites », composée uniquement de femmes, qui ont abandonné leurs études à cause du mariage et qui retournent à présent sur les bancs de l’école.

« Ma vie s’est arrêtée en 4e, quand je me suis mariée. Mon mari ne comprend pas l’importance d’étudier, et il m’a été interdit de réaliser mes rêves. Maintenant, j’ai 37 ans et je planifie mon futur avec beaucoup de confiance. Si Dieu le veut, l’an prochain je vais faire le cours de cuisine pour pouvoir ouvrir mon propre restaurant », affirme Luciene Correia da Costa.

Les marguerites plaisantent : « dans cette classe, il n’y a pas eu d’homme à supporter. Aucun d’eux n’a voulu y entrer. Ils sont entrés pendant un temps, mais ils sont déjà repartis », dit-elle en riant.

Pour la professeure Iraci da Silva Pereira, enseigner à l’EJA est une expérience gratifiante. « Ils me transmettent leur expérience et je leur transmets la mienne. Cet échange de connaissances est très important. La devise qui dit que personne ne sait rien n’existe pas, tous savent quelque chose. C’est un processus d’apprentissage très lent, cinq de mes élèves ont eu besoin de cours d’alphabétisation. Mais quand ils apprennent, je suis très émue ».

Selon Maria José, la fonction de l’école est d’encourager à la persévérance et d’ouvrir les portes pour que tous puissent apprendre. « Je veux que d’autres aient la même opportunité que moi. Nous gardons les portes ouvertes aux élèves même une fois qu’ils se sont formés. »

La professeure Marinalva Paula enseigne également à ceux qui en ont le plus besoin.

Pour tous ceux qui en ont besoin et qui le veulent

La philosophie de l’école, qui veut qu’elle soit accessible à tous ceux qui en ont besoin et qui veulent apprendre, s’étend également à l’éducation spécialisée. Une salle près du laboratoire d’informatique, appelée « classe éducationnelle », accueille les cours destinés à ces élèves.

La professeure Marinalva Paula da Silva travaille dans la classe éducationnelle depuis cinq ans. Outre la formation en lettres, elle s’est formée en braille et en langage des signes, pour enseigner à ces enfants. Actuellement, il y a sept élèves dans la classe, avec des problèmes qui vont de la paralysie cérébrale à la surdité en passant par les problèmes de vue.

Les cours sont différents des cours traditionnels, privilégiant des jeux sur l’ordinateur, de l’artisanat, de la peinture, du collage et des activités de lecture. « Dans les jeux de dames et de dominos, ils me battent à plate couture. Je ne rapporte aucune activité qui soit déjà prête, je les encourage à les faire », affirme Marinalva.

Elle pense que les progrès des élèves sont minimes, mais notables. « Fábio, qui souffre d’une paralysie cérébrale, a porté un bavoir jusqu’à ses 14 ans, aujourd’hui il n’en a plus besoin, nous lui apprenons à mâcher. Il connaît ma voix, mes cheveux sont crépus, alors quand j’arrive, je passe sa main sur mon visage et mes cheveux et il sourit parce qu’il me reconnaît », dit la professeur.

Au sujet de la manière dont ces enfants sont souvent traités dans d’autres écoles qui ne sont pas préparées à gérer leurs besoins spécifiques, Marinalva estime que « beaucoup de professeurs pensent que ce n’est pas le rôle de l’école. Mais tous ont le droit d’aller à l’école et l’école se doit d’aller à leur rencontre. Les écoles doivent persévérer, car c’est un droit ».

Notes de la traduction

[1Les assentamentos sont des zones de colonisation liées à la politique de réforme agraire sur des terres expropriées ou sur des terres publiques. Divisées en plusieurs lots, ses zones abritent des familles sans terres à des fins d’agriculture.

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