Trahison brésilienne à l’OMC (2)

 | Par Walden Bello

BF - Les leaders politiques brésiliens et indiens ont marqué des points. Mais qu’ont gagné les populations de ces pays ?

Bello - Peu de chose. On peut même se demander si elles ont gagné quelque chose. Dans le cas du Brésil, l’agrobusiness est sorti gagnant, mais on ne peut pas dire pour autant que cela soit une bonne nouvelle pour la population brésilienne. En effet, les négociations sur l’ANMA et les services ont des conséquences négatives pour le Brésil. Si on fait le bilan des gains et des pertes, le Brésil est sorti diminué des négociations de l’OMC. Mais il a gagné en force dans la structure de pouvoir en participant au groupe qui détermine l’agenda des négociations de l’OMC : le nouveau Quatuor qui compte, en plus du Brésil, l’Inde, les Etats-Unis et l’Union Européenne.

BF - Comment Amorim et Nath ont-ils réussi à convaincre les pays en voie de développement d’accepter des négociations qui leurs portaient préjudice ?

Bello - Ils ont convaincu les pays moins développés d’accepter une série d’accords commerciaux qu’ils ont appelé « paquet de développement » [1], en affirmant que cela stimulerait la croissance économique. Mais c’est un mécanisme qui augmente l’endettement des pays pauvres, donc la dépendance envers les pays riches. Le Brésil et l’Inde ont utilisé leur prestige : ils ont fait pression pour convaincre les pays en voie de développement d’accepter les termes des négociations et pour faire taire les mécontents comme l’Indonésie, l’Afrique du Sud et le Venezuela.


BF - Comme si les gouvernements brésiliens et indiens avaient trahi les pays pauvres qui comptaient sur eux...

Bello - Oui, ceci est très clair. Le Brésil et l’Inde ont neutralisé les voix des mécontents qui s’élevaient au cours des négociations, notamment à propos du "Nama 11" [2] qui exigeait des concessions dans le domaine de l’agriculture de la part des pays développés en contrepartie d’une libéralisation accrue de l’industrie et de la pêche. En ce qui concerne les services, l’Afrique du Sud et l’Indonésie, réticents aux négociations, ont du accepter les accords sous la pression. Le Brésil et l’Inde ont trahi les intérêts du G-20. Ils ont également isolé Cuba et le Venezuela de manière à ce que les prises de positions de ces pays - contraires aux concessions déséquilibrées - n’aient pas d’impact.

BF - Quelles sont les prochaines étapes des négociations ?

Bello - En 2006, il s’agit de consolider l’appareil institutionnel pour permettre la poursuite du cycle de Doha. Il y aura des pressions pour que les pays en voie de développement fassent de nouvelles concessions. La rencontre de Hong Kong va provoquer des réalignements aussi bien dans les relations de pouvoir au sein de l’OMC que dans la politique internationale. Comme le Brésil et l’Inde ont décidé de devenir des tenants du statu quo, d’autres pays vont prendre la tête du groupe des pays sous-développés.

BF - Quel sera le rôle du nouveau Quatuor dans cette conjoncture ?

Bello - Il déterminera l’agenda des négociations et fera pression pour que celui-ci soit accepté. Il exposera les limites de la politique commerciale internationale.

BF - Cette nouvelle donne, à l’OMC et en politique internationale, a-t-elle des conséquences sur la stratégie des mouvements sociaux ?

Bello - Les mouvements sociaux, particulièrement en Inde et au Brésil, doivent perfectionner leurs techniques d’opposition à l’OMC. Ils doivent évaluer la ligne de conduite de leurs représentants politiques au sein de l’organisation. Les mouvements sociaux brésiliens ont accordé beaucoup d’attention à la lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques (ALCA, sigle en portugais) [3] mais peu d’attention aux négociations de l’OMC. Avec pour résultat, la ligne d’action adopté par Amorim à Hong Kong. Le gouvernement brésilien aurait agi d’une manière différente, plus défensive, s’il avait été sous la pression des mouvements sociaux et des ONG. Plus que jamais, la société brésilienne doit se préparer pour résister aux négociations de l’OMC : elle est la seule à pouvoir empêcher l’alignement du Brésil sur les intérêts des grandes puissances.

Par João Alexandre Peschanski

Source : Brasil de fato - semaine du 17-22 janvier 2006

Traduction : Anais Fléchet pour Autres Brésils, revue par l’équipe de RISAL.


Notes :


[1]
[NDLR] Le « paquet de développement » n’inclut que des promesses creuses en matière d’aide au commerce (celles-ci incluant très peu de nouveaux budgets), et une disposition revue à la baisse sur l’accès sans quota ni droit de douane qui permet aux pays riches d’exclure certains produits vitaux pour les conditions d’existence de millions de pauvres.

[2][NDLR] L’AMNA a entraîné la création, dans le contexte de la réunion ministérielle, d’un nouveau groupe appelé le ‘Core Group’, qui comprend neuf pays, sous l’égide de l’Inde et de l’Afrique, avec l’Argentine, le Brésil, l’Egypte, l’Indonésie, les Philippines, la Namibie et le Venezuela.

[3][NDLR] Área de Livre Comércio das Américas - ALCA ; Free Trade Area of the Americas - FTAA ; Zone de libre-échange des Amériques - ZLEA.
Consultez nos articles sur la "Zone de libre-échange des Amériques".


Professeur de sociologie et administration publique à l’Université des Philippines, Walden Bello est directeur de l’ONG Focus on the Global South qui mène des recherche sur les conséquences de la globalisation sur les pays en voie de développement. Il est l’auteur de divers ouvrages dont Desglobalização (Editora Vozes, 2003).

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