Pourquoi les autochtones luttent-ils ?

 | Par João Mitia Antunha Barbosa

Source : Outras Palavras - 14/04/2015
Traduction pour Autres Brésils : Piera SIMON-CHAIX
(Relecture : Zita FERNANDES)

Valdenir Munduruku, chef important du peuple dont il porte le nom. Image : Jornalistas Livres [Journalistes Libres]

La Constitution Fédérale de 1988 a déjà fêté ses 26 ans, et il est temps d’effectuer une rapide réflexion pour se demander si son surnom de « Constitution Citoyenne » se justifie encore.

Le processus constitutionnel a ouvert un espace pour des innovations significatives par rapport aux Constitutions Fédérales antérieures - surtout dans le champ social, culturel et écologique -, sédimentant ou insérant dans l’ordonnance juridique brésilienne ce que certains juristes ont fini par appeler des « nouveaux droits ». Comme l’a bien fait remarquer récemment la professeur Manuela Carneiro da Cunha, la Constitution Fédérale de 1988 a eu le mérite, pour la première fois, de célébrer « la diversité en tant que valeur devant être préservée », [...] « indiquant que le pays souhaitait emprunter de nouveaux chemins. Le Brésil aspirait à être fraternel et juste. »

Des analyses récentes sur les 25 ans de Carta évaluent, cependant, que la « Constitution Citoyenne » fait montre de résultats bien plus modestes en ce qui concerne la garantie de fait des droits de divers « groupes minoritaires ». Cela devient évident lorsque nous mettons en lumière les peuples indigènes.

Selon diverses organisations indigènes et indigénistes, sur plus de mille territoires indigènes (TIs) existants dans le pays, un tiers seulement s’avèrent avoir été régularisés. Les deux autres tiers sont dans une phase du processus de démarcation ou n’ont même pas vu leurs processus de démarcation débuter.

Nous faisons également remarquer que, parmi les TIs démarqués, plus de 98% sont situés dans l’Amazonie brésilienne. Le restant, c’est-à-dire, moins de 2%, se répartissent entre les régions Nordeste, Sudeste, Sud et la portion sud du Centre-Ouest (État du Mato Grosso do Sul).

Il semble nécessaire de noter que la population indigène brésilienne - qui, selon le Recensement de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique de 2010, enregistre 896 917 personnes -, près de 433 363 vivent dans les états de l’Amazonie légale et 463 554 dans les autres états. Pour être clair, la juxtaposition de ces données nous indique que la population indigène qui habite dans les états du Sud, Sudeste, Nordeste et Mato Grosso do Sul représente plus de la moitié de la population indigène brésilienne totale, occupant, donc, moins de 2% des Terres Indigènes actuellement démarquées.

Cette disproportion met en évidence un flagrant contraste en ce qui concerne la situation agraire des Peuples Indigènes et révèle le drame humanitaire auquel sont soumis nombre d’entre eux (parmi lesquels les Guaranis et les Terenas de l’état du Mato Grosso do Sul), perpétuant des injustices, les a priori, la violence et l’absence de droits fondamentaux et de citoyenneté, qui se sont accumulés durant tout le processus de colonisation du Brésil. Où se trouverait, dans cette optique, la valorisation de la diversité et la justice sociale préconisée par la constitution citoyenne ?

Comme si un tableau politique et légal déjà traditionnellement inquiétant vis-à-vis des droits indigènes ne suffisait pas, nous assistons maintenant à une nouvelle et féroce prise de pouvoir de groupes extrêmement conservateurs de notre faune politique, parmi lesquels nombreux sont ceux attachés à la structure agraire archaïque du pays et économiquement liés à l’agrobusiness. La « bancada ruralista » [groupe ruraliste - NdT] en question, composée de plus de 200 députés et sénateurs, est responsable de nombreux projets qui sont actuellement en concertation au Congrès National brésilien. Citons seulement la Proposition d’Amendement Constitutionnel (PEC) 215/2000, qui a l’intention d’altérer la constitution afin de restreindre ou de supprimer des droits - surtout territoriaux - conquis par les peuples indigènes et reconnus par l’État brésilien après des siècles d’intenses batailles à différents niveaux. Reconnus, puisqu’il s’agit de droits préexistant à la formation de l’État lui-même. Nous parlons de droits territoriaux de peuples et de nations qui, avant la création de l’état national brésilien, étaient déjà liés à cette terre que nous habitons aujourd’hui. Ce droit, juridiquement appelé « indigenato », a été reconnu - et non pas créé -, par la CF 88.

Pour que cela soit clair : le droit d’occupation des terres indigènes, assuré dans notre Constitution, est un droit originaire et, en ce sens, les démarcations sont seulement la reconnaissance, à garantie juridique, d’un droit préexistant sur les territoires en question. Le professeur Dalmo Dallari est ferme en ce sens, écartant complètement tout doute qui pourrait exister quant à la pertinence de la PEC 215. Il affirme catégoriquement que la proposition est incontestablement anticonstitutionnelle, car les démarcations et homologations des Terres Indigènes sont des attributions exclusives du Pouvoir Exécutif dans la mesure où il s’agit de processus de nature administrative.

Dans une interview à Carta Capital, l’anthropologue et fondateur de l’Institut Socio-environnemental, Beto Ricardo, affirme que « en transférant une compétence exécutive au pouvoir législatif, le groupe ruraliste prétend paralyser les processus ou découper des territoires en se basant sur des critères politiques, ce qui est incontestablement anticonstitutionnel », et il ajoute que « les indiens comprennent que le texte constitutionnel actuel constitue un pacte entre l’État brésilien et ses peuples. Modifier ce texte, de façon expéditive, sibylline et unilatérale, représenterait la rupture de ce pacte. C’est quelque chose d’inacceptable. »

Dans le même sens, selon l’évaluation de différentes organisations indigènes, ces réformes légales constituent un véritable attentat, puisque dans la pratique, elles impliqueront au final de nouvelles démarcations. Le risque n’est pas seulement pour des situations futures, il est résolument actuel ! Comme cela a déjà été dit, de nombreux territoire indigènes, en fonction de divers facteurs, se trouvent encore dans une phase du processus de démarcation ou attendent dans la liste de voir débuter le processus, et leur homologation est entre les mains du Congrès National. Les directions indigènes mobilisées en ce mois d’avril au campement TerraLivre [Terre Libre - NdT] - ATL, sont unanimes dans leurs affirmations : « comme nous comptons sur nos doigts le nombre de membres du congrès qui défendent la cause indigène, il est sûr qu’aucune terre ne sera démarquée. »

Comment justifier, donc, ce type de prise de pouvoir, en tenant compte du fait que la société brésilienne - avec l’ambition d’affronter un passif historique incontournable, comme les droits culturels et territoriaux des peuples indigènes ou de ceux trafiqués depuis l’Afrique - a déterminé de façon souveraine l’élévation et l’installation de valeurs politico-sociales déterminées à une catégorie constitutionnelle ?

Il vaut la peine de souligner, cependant, que le mouvement indigène (et ses alliés) représente un type de mouvement social vraiment particulier. Au-delà de la résistance aguerrie qui lui est propre, il est capable de s’organiser avec un dynamisme immense tout autant dans l’univers numérique que (disons) analogique. Des initiatives dispatchées dans les média numériques, ainsi que des actions directes d’affrontement et de résistance face aux défis légaux et politiques actuellement imposés sont la preuve de l’énorme capacité de résistance et de résilience des peuples indigènes au Brésil. De plus, ils possèdent une capillarité sur toute la surface du territoire brésilien. Ce qui démontre la position stratégique où ils se trouvent et la condition stratégique qui devrait leur être reconnue. Ces peuples sont les acteurs de leur histoire, ils sont les maîtres de leurs territoires, ils n’ont pas été et ne seront jamais une proie facile ! On se trompe en imaginant que ce pays pourrait exister sans eux...

Pour en revenir à notre indignation initiale, il devient évident que l’énergie prodiguée par le groupe ruraliste - configuration politique contemporaine d’une élite chargé depuis toujours du massacre des indigènes, des noirs et des paysans - dans cette tentative anticonstitutionnelle de transférer au pouvoir législatif l’attribution de démarquer les Terres Indigènes, ou de transformer en règles les exceptions au droit d’usufruit exclusif des peuples indigènes sur leurs territoires, ne représente pas seulement, en dernière analyse, une attaque aux population directement affectées, mais à la société dans son intégralité. En comptant sur une supposée ingénuité politique du peuple brésilien, les secteurs économiques et les groupes politiques insistent pour essayer de s’approprier un pouvoir et une compétence qui, constitutionnellement, ne leur ont pas été attribués par la société brésilienne.

Selon nous, cette tentative met en échec non seulement les droits spécifiques de « populations minoritaires », mais un projet de société. Et ce projet de société a lancé la re-démocratisation du pays, ce qui a généré la Constituante et a donné vie à notre Constitution actuelle. C’est-à-dire qu’il existe des droits - et les droits indigènes en font partis - sur lesquels on ne peut admettre un retour en arrière, puisqu’ils sont l’essence et la raison d’être de notre démocratie.

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