« Nous venons de loin » : les opportunités des femmes noires face à la machine de l’oppression.

 | Par Regiane Soares

Source : Periferia em Movimento, 18 novembre 2016
Traduction pour Autres Brésils : Groupe 6.1, 6.2, 6.3, 6.4 et FLE - Etudiants LEA Amériques - Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines - Université de la Rochelle.
Relecture : Véronique Phelut

Pourquoi les femmes noires manifestent-elles ?

Les défis de la lutte quotidienne de chaque femme noire en 2015 et 2016 ne sont pas si différents des actes de résistances et des aspirations des femmes des siècles passés.
Ces jours-ci, parmi les revendications qui reviennent dans les slogans, on entend : « Santé, éducation, bonnes conditions de travail ».

Nous ne pouvons nier les progrès obtenus, qui sont même considérables, dans les domaines de l’éducation et du marché du travail. Mais comme l’a si bien dit Jurema Wernek, « nous venons de loin ».
Et c’est cette lutte qui contribue à « noircir » l’espace, en rendant les femmes noires de plus en plus visibles.

Le 18 novembre 2015, Brasilia, l’épicentre des inégalités sociales au Brésil, cet endroit profondément blanc, machiste, sexistes et conservateur, a été le théâtre de manifestations regroupant près de 30 000 femmes noires, pleines de détermination et d’espoir, émues, prêtes à lutter sans relâche. Elles ont marché aux côtés de leur compagne de route, filles, mères et femmes…

Chaque visage, chaque corps a puisé son énergie au plus profond de lui-même en entonnant des slogans dans un objectif précis : secouer, ébranler et renverser l’ordre établi.

Pour ces femmes, lutter et survivre sont plus que de simples synonymes, ce sont leur credo. Ce jour-là, au cours de cette marche et des pas franchis symboliquement, ce sont des milliers de regards et de sourires qui se sont réunis. Femmes noires de tout le Brésil : unissez-vous !

Avoir concrétisé cette union, fait le plein d’énergie, de perspectives, l’avoir renforcée davantage en matière de représentativité, dans chaque coin de rue, nous nous sommes vues, reconnues, et nous aspirions à un seul objectif : aller de l’avant, continuer la lutte.

L’union pour la diffusion des idées

La première Marche des femmes noires en 2015 a été pour certaines l’occasion de se libérer de l’une de leur principales entraves : leur propre silence. L’émancipation de corps historiquement invisibles, un cri du cœur scandant : J’existe ! Nous existons !

L’évidence de discuter de sujets spécifiques, de démontrer que le genre doit être vu en tenant compte de l’ethnie et de la classe sociale. Genre, ethnie et classe sociale Nous parlons d’Angela Davis. De nos ancêtres. De nos expériences : femmes, noires, de banlieue. Des cris forts et puissants qui disent : machistes, racistes, classistes, vous ne passerez pas !

Cet espace de visibilité et de discussion a mis en avant, à travers leur récit, leur capacité d’organisation, la nécessité de faire face et d’être solidaire. Le pouvoir de démanteler l’ordre établi.

De ce fait, de la force émanant de ces femmes en cette année 2016 (année de la fin du monde) s’en sont suivit des manifestations faisant référence au 25 juillet (Journée Internationale de la Femme Noire latino-américaine et caribéenne), dans plusieurs états, dont ceux de São Paolo, Rio de Janeiro et Espirito Santo). Ces marches ont une fois de plus démontré leurs capacités d’organisation, de gestion et qu’elles savent se rendre visibles. La marche de 2015, en plus de s’être inscrite dans les annales, a laissé comme héritage le savoir-vivre, qui a noué des liens et vu naître des partenariats.

La fin du silence

Audre Lorde (1977) déclare : « [...] je pense surtout que nous craignions d’être visibles, sans quoi nous ne pouvons vivre véritablement. Cette visibilité qui nous rend vulnérables et aussi la source de notre plus grande force ».

Mettre en lumière l’approche intersectionnelle entre le genre, l’ethnie et la classe sociale permet de donner de la visibilité aux femmes noires qui sont toujours en bas de la pyramide sociale. Toutes les opportunités de débattre sur ce sujet représentent une forme d’opposition face à la structure sociale, misogyne et raciste.

Nos expériences sont spécifiques, nos slogans se font l’écho d’un autre point de vue. Tandis que les femmes blanches (et certaines femmes noires) ont pour priorité le droit à l’avortement, les femmes noires privilégient le droit à la vie ; puisque l’Etat est génocidaire et qu’il a le sang de ses enfants sur ses mains.

La vie marque les corps, et celui des femmes noires est marqué par le poids de ces structures oppressives qui régissent la société. La cruauté machiste s’imprime dans chaque cheveux, chaque regard, chaque bouche, chaque pied, chaque main, chaque partie du corps. Agrandir les espaces de discussions sur ces sujets signifie s’élever contre le modèle hégémonique de la société qui exclut la population et maintient les femmes noires au bas de l’échelle sociale.

Nous avons le devoir de parler et d’agir contre la violence policière, les « féminicides », sur les tentatives concrètes de l’état de nous anéantir physiquement, mentalement et socialement. Ces opportunités, comme celles des 12h de diffusion organisées par les femmes noires, sont des points d’inflexion capables de modifier la direction que la société nous force à suivre. C’est une lutte anti raciste, pour l’égalité des sexes.

Cette occupation massive des espaces par les femmes noires montre la rupture avec l’« ordre social », c’est la proposition et la concrétisation de la redéfinition de l’existence et de la valeur des corps noirs ! Le démantèlement du système oppresseur.

Et si cela pouvait nous donner de l’espoir ?
 
Je répète ce que Elza Soares nous a dit : « J’ai toujours espoir. Je pense que l’espoir ne meurt pas, il est en vie. Qu’en serait-il de moi si je pensais le contraire ? Que serais-je devenue ? »

Voir en ligne : Periferia em Movimento

Regiane Soares est diplômée en Sciences Sociales par la Fundação Escola de Sociologia e Política de São Paulo (FESPSP, école de sociologie et politique). Elle effectue des recherches dans le domaine des relations raciales à travers le féminisme intersectionnel. Professionnel des domaines de l’éducation et de la culture. Femme noire et vivant en banlieue, universitaire et militante du Féminisme Noir.

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