Marta sous les tirs

 | Par Marta Suplicy

Dans la bataille pour les élections de 2006, l’ex-maire de São Paulo, Marta Suplicy, a fait l’objet d’une fronde menée par les « toucans » [surnom donné aux membres du PSDB d’après l’emblème du parti], soutenus par la presse pauliste. En campagne pour obtenir l’investiture de son parti pour se présenter aux élections au gouvernement de l’état, Marta a été accusée par le maire José Serra d’avoir laissé une dette de 8 milliards de dollars et de ne pas respecter la loi sur la Responsabilité Fiscale. Dans l’interview accordée à Caros Amigos, elle donne sa version et accuse le maire de se forger une image de « grand administrateur » au lieu de payer les créditeurs, et elle parle du traitement privilégié que reçoivent les « toucans » dans la presse écrite.

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Natalia Viana - Marta, on commence toujours par parler de l’enfance de la personne interviewée. Où êtes-vous née, ...

Je suis née à São Paulo, j’ai grandi à São Paulo, j’ai vécu quelques années à l’étranger mais je suis super pauliste.

Natalia Viana - De quel quartier ?

Je suis née dans le Jardim Paulista.

Natalia Viana - Comment était votre enfance ?

Je suis l’aînée de quatre enfants, nous ne sommes plus que trois. Nous étions trois filles et un garçon et, dès toute petite, je crois que j’avais déjà le sentiment que je serais féministe. Je percevais déjà que mon frère, bien qu’il soit plus jeune, avait des privilèges que les filles n’avaient pas, c’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. Ma mère était assez soumise, calme et, même sans savoir comment s’appelait ce que j’éprouvais, je savais que je ne voulais pas être comme elle, que je ne voulais pas une vie comme la sienne. Sauf que j’étais très surveillée, j’étais une petite fille qu’on emmenait et qu’on allait chercher au collège Des Oiseaux, je n’avais pas la vie de la majorité des enfants, j’étais assez protégée.

Marina Amaral - Quand avez-vous su ? A l’adolescence ?

J’ai su assez tard, vous savez. Au secondaire, j’ai changé d’école et je suis allée au collège Sion, ce qui, pour la plupart des enfants n’aurait fait aucune différence, mais, pour moi, voir que les pères de mes camarades n’étaient pas des chefs d’entreprises était déjà une situation différente. J’étais curieuse aussi, j’en voulais davantage, alors j’ai demandé à ne pas rentrer directement de l’école parce que je voulais apprendre à taper à la machine. Après j’ai demandé à apprendre l’italien, alors de l’école j’allais au Circolo Italiano, qui était dans le centre ; ça m’a donné la possibilité de connaître d’autres personnes et de circuler dans le centre. J’ai franchi une autre étape quand j’ai rencontré Eduardo [Eduardo Suplicy]. Il menait déjà une action politique, il était déjà président du siège de la FGV (Fondation Getúlio Vargas).

<img301|left> Sérgio de Souza - C’était votre premier amour ?

Non. C’est à ce moment que j’ai commencé à m’intéresser davantage à la politique, j’ai fondé le club du Sion, j’ai commencé à faire un peu de militantisme en tant qu’étudiante dans le secondaire, mais tout était encore à l’état embryonnaire, très protégé. J’étais très affectée par la pauvreté que je voyais, la disparité, le fait que d’avoir tout et pas les autres, mais tout était faussé parce que, à l’époque, s’engager contre la pauvreté c’était mettre un voile sur la favela. Je n’avais pas été éduquée dans l’idée que cela pouvait être résolu. Mon père était un industriel très conservateur. C’était aussi quelqu’un de très cultivé, qui donnait la possibilité de débattre sur la politique, sur le monde, de controverser, mais il est évident qu’il avait un arsenal d’arguments bien supérieur au mien. J’étais déjà, entre guillemets, rebelle. Je n’admettais pas ses positions.

Sérgio de Souza - Comment êtes-vous arrivée au PT ?

A l’époque, je m’intéressais beaucoup à la condition de la femme, aux campagnes féministes, j’y mettais beaucoup d’énergie. Je ne me préoccupais pas des partis, mais je me souviens de la première fois où Eduardo a invité Lula à une réunion publique dans le centre ville. Je me souviens aussi des réunions politiques à la maison, ma participation consistait à servir le café, mais j’étais toujours attentive à ce qui se passait. Dans une de ces réunions, il y avait Fernando Henrique et quelques autres personnes de la USP, pas beaucoup, cinq peut-être, et Lula et moi au milieu.

Sérgio de Souza - Que des hommes, non ?

Ça a toujours été, et même encore aujourd’hui. Même s’il paraît que ça a beaucoup évolué...
Ils parlaient tous beaucoup, des choses ennuyeuses, difficiles à comprendre, très abstraites. Et moi j’écoutais. Et quand Lula a parlé, j’ai été très impressionnée parce que, de la façon la plus claire, il a résumé tout ce qu’ils avaient dit en ajoutant un petit quelque chose. Quand tout le monde est parti, j’ai dit : « Eduardo ce type là il est super ? Qui est-ce ? » Et il m’a expliqué qui était Lula.

<img303|left> Wagner Nabuco - Quelle a été la cause première de votre défaite conte José Serra ?

Je crois que ça a été les impôts, de ne pas avoir réussi à réagir au surnom qu’ils m’avaient donné, « Martaxe », d’avoir les médias totalement contre moi à me discréditer tout le temps.

Marília Melhado - Et quand vous avez été candidate au poste de gouverneur en 1998 ?

J’ai été surprise quand Lula m’a téléphoné pour me dire : « Marta, t’es d’accord pour être candidate au poste de gouverneur ? » J’ai répondu : « Bon d’accord. Mais comment je vais faire pour les primaires ? » Parce que c’était Palocci le candidat, sauf qu’il ne décollait pas dans les sondages, il n’obtenait qu’entre 4 et 6%, et moi entre 6 et 8% sans être candidate à rien. Le résultat c’est que Palocci, candidat initial, n’a pas décollé, Genoino ne voulait pas se présenter parce qu’il briguait un mandat supplémentaire au parlement fédéral et, comme je me portais bien dans les sondages, ils m’ont fait la proposition et j’ai vite accepté. La possibilité de gagner était quasi nulle mais je ne pensais pas faire une carrière politique, j’ai pensé que ça pouvait faire une campagne intéressante et voilà. J’ai perdu juste à cause d’un sondage diffusé la veille des élections. Les gens n’ont pas voté pour moi parce que le débat s’était déplacé entre Rossi et Maluf, et donc il sont voté pour Covas. Le nombre de coups de téléphone que j’ai reçus le lendemain, de gens qui regrettaient, tristes ... et un coup de téléphone de Serra qui me demandait de soutenir Covas. Je lui ai dit : « Serra, je n’ai pas encore digéré la couleuvre que vous venez de me faire avaler. Je vais le soutenir mais, au moins, laissez-moi deux jours pour digérer. » parce que je savais bien que c’était eux qui avait tout manigancé.

<img304|left> Marina Amaral - Vous avez réussi à trouver des failles dans le blindage de Alckmin ?

Alckmin est quelqu’un d’aprécié, il a une bonhommie qui plaît aux gens et il bénéficie de toute une connivence, je ne sais pas si c’est le mot, d’un blindage dans la presse de dix ans d’un gouvernement sans critique. Maintenant il a porté un coup à la Febem. Mais il y a bien d’autres choses. Le Rodoanel [périphérique] a été fait il y a très peu de temps et il faut déjà le goudronner à nouveau. Le métro de São Paulo a démarré en même temps que celui de Mexico, dans les années 70. Celui de Mexico fait 200 kilomètres et celui de São Paulo 57. Pendant la gestion d’Alckmin, du PSDB, seulement 7 kilomètres ont été construits ! Il n’y a jamais eu aucune priorité donnée aux transports en commun et personne n’en parle. Et de ces dix années de gestion de l’état de São Paulo par le PSDB, qui en feront douze à la fin du mandat, on pourra faire une analyse bien complète de ce qui a été fait - bien sûr que des choses ont été réalisées - et des grands échecs. Et c’est là que nous devons avoir des propositions, et ne pas seulement critiquer sur ce qu’ils n’ont pas fait. Je crois que celui qui gagne c’est celui qui fait des propositions, par exemple comme Serra a fait : élargir et améliorer ce que j’étais en train de faire. Nous avons perdu les élections, mais nous avons perdu avec 49 % de bonnes actions, et lui il savait cela, il ne pouvait pas proposer des choses très différentes des nôtres. Il y avait une demande de la population, que je n’ai comprise qu’à la fin, quand une dame au CEU [Centro de Extensão Universitária] m’a dit : « Je ne vais pas voter pour vous ». Je lui ai répondu : « Mais votre enfant fait ses études ici au CEU ». « Mais vous n’avez pas donné la gratuité des transports et lui si » J’ai considéré tout cela, l’Etat n’a jamais fourni l’uniforme, n’a jamais donné la gratuité des transports, n’a jamais construit aucun CEU, et elle n’allait pas voter pour moi parce que son enfant ne faisait pas partie des 100 000 jeunes qui avaient bénéficié d’un titre de transport. Ça a allumé une petite lampe. Je me suis dit « Bon sang » et j’ai compris que si cette tranche de la population pour laquelle j’ai travaillé avait été plus sensible - cette tranche de la population a voté pour moi mais j’aurais eu besoin de quelques points supplémentaires - je n’aurais pas perdu les élections.

Marcos Zibordi - Mais vous êtes psychologue, vous avez travaillé pour la télévision, vous avez été femme d’un homme politique et quand vous dites « J’étais en colère », j’ai quelque difficulté à accepter cette excuse...

Ah vous croyez que je suis parfaite, je ne le suis pas. Désolée de vous décevoir.

Marcos Zibordi - Mais je crois que...

Parce que je suis psychologue, parce que je suis l’ex-femme d’un homme politique, pour toutes ces raisons, je dois rester maîtresse de moi-même ? Moi aussi, je le crois, de ces points de vue là. Vous voudriez que je sois parfaite, que j’aie une grande résistance au stress. Moi aussi j’aimerais, mais ce n’est pas le cas.

João de Barros - Diriez-vous que vous êtes plus à droite que votre parti ?

Non, parce que j’ai composé le gouvernement le plus à gauche du PT. J’aimerais que quelqu’un vienne me dire qu’il a composé un gouvernement plus à gauche que le mien.

Marina Amaral - Qu’est-ce qu’un gouvernement de gauche ?

C’est celui dont les priorités vont vers le social, vers les personnes les plus pauvres, surtout dans une mégalopole comme São Paulo, où la majorité est démunie, mais la richesse est faite pour tous.


Source : Revue Caros Amigos - avril 2005

Traduction : Sandrine Lartoux pour Autres Brésils


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