Lettre de Jean Wyllys à Lula

Traduction : Adèle Goliot

Lettre de Jean Wyllys à Lula

Crédit : Guilherme Nogueira

Difficile de commencer cette lettre en te demandant si tu vas bien ou en espérant que mes mots te trouvent dans un moment propice. Difficile parce que je sais que, aussi fort et résistant que tu puisses être face aux injustices et aux souffrances que tu as subies au fil des ans, rien ne peut être juste ou bon dans la situation où tu te trouves. Ta fierté et ta dignité en public ne changent rien au fait que tu es un vieil homme, âgé de plus de 70 ans, que tu ne présentes aucun risque pour la société brésilienne, et que ton arrestation contredit tous les principes de justice et d’empathie, quand bien même elle reposerait sur des preuves et sur un processus compatible avec un état de droit démocratique, ce qui, nous le savons, n’est pas le cas.

Pour quiconque pourvu de bon sens, au Brésil et dans le monde (et j’ai parcouru le monde, mon cher), il n’y a aucune logique à ce que tu restes emprisonné - sans preuves et à cause de sentences scandaleusement frauduleuses, y compris mal rédigées, pleines de copiés collés d’autres sentences, prononcées par des juges qui agissent comme des politiciens vindicatifs, des intellectuels malhonnêtes et pleins de ressentiment - tout comme des corrompus notoires du monde des affaires, des marchés financiers, des médias et des partis comme le MDB, le DEM, le PP, le PSL (des rats plus petits mais pas moins dangereux) et le PSDB qui jouissent de la liberté et des fruits du pillage ; alors que pendant ce temps un idiot, qui se montre odieux envers les minorités sexuelles et ethniques et qui entretient des liens très suspects avec des organisations criminelles paramilitaires organisant des exécutions extrajudiciaires contre de l’argent, dé-gouverne le pays, révélant au monde ce qu’il peut y avoir de pire dans le caractère national.

Je t’écris cette lettre, mon vieux, parce que demain c’est l’anniversaire de ton emprisonnement injuste. Depuis un an, tu es un prisonnier politique, retiré de l’espace public, sous les accusations de la Justice et du Ministère Public fédéral à Curitiba, qui, nous le savons aujourd’hui, ne souhaitaient pas uniquement criminaliser le PT et la gauche en faveur de l’extrême droite fondamentaliste chrétienne et milicienne, mais surtout s’approprier de manière privée les fonds publiques (des milliards de reais !), c’est-à-dire attaquer les coffres publics, mais avec le raffinement d’une organisation mafieuse, le tout sous le récit mensonger du « combat contre la corruption »- dûment soutenu et reproduit par une presse historiquement anti-PT - qui plaît tant à la classe moyenne stupide et aliénée, arrogante, effrayée, envieuse et pleine de ressentiment.

Je t’écris cette lettre depuis l’exil que je me suis imposé pour échapper à la mort violente qui m’attendait au Brésil. Tu sais, Lula - et tu dois sûrement le savoir, car tu as des amis qui ont dû s’exiler pendant les années terribles de la dictature civile-militaire au Brésil - l’exil n’est pas facile. C’est une « longue insomnie », comme l’a déjà écrit l’écrivain français Victor Hugo. Je dirai que c’est un « non-lieu », pour citer un autre Français, le philosophe Marc Augé. En exil, nous sommes en permanence en chemin, sur une route sans retour et dont on ne peut apercevoir la fin. C’est un bond interminable qui cherche à atteindre l’inatteignable, au-dessus de l’abîme qui nous guette. L’exil est un au-delà, mon ami.

Cependant, l’exil vaut mieux que la prison. Cet au-delà peut encore être une vie en liberté. Le saut peut être ressenti et vu comme une envolée. On peut apprécier le paysage de ce chemin interminable. Et c’est le sens que j’ai donné ou que j’ai tenté de donner à mon exil au nom de ceux qui sont restés et qui sont menacés. Dans chaque espace qui s’ouvre à moi en Europe, aux États-Unis, au Canada et dans les pays d’Amérique latine, j’ai souligné le nuage de sauterelles qui plane sur nous et dévore déjà notre démocratie, alors qu’elle n’en est encore qu’à ses balbutiements ; j’ai dénoncé ton arrestation arbitraire et j’ai crié « Lula libre ! », collant des stickers, et j’ai fait ressurgir au présent le souvenir de notre chère Marielle Franco, exigeant que l’on découvre qui a commandité son assassinat.

Beaucoup m’ont accompagné, Lula. Tu n’es pas seul ! Et le but de cette lettre est de te dire ceci. Si tous au Brésil et dans le monde t’oubliaient - chose impossible, car tu fais déjà partie de l’histoire et tu vis dans la dignité de tous les pauvres, personnes noires, issues des favelas, issues des périphéries, gays, lesbiennes, travestis, évangéliques, catholiques, juifs, ombandistes, autochtones, paysan.ne.s, travailleurs et travailleuses déclaré.e.s ou au black, dignité qui a été conquise durant et grâce à tes gouvernements, même s’ils n’en ont pas conscience et même s’ils sont ingrats, t’insultant sur les réseaux sociaux - même si cela se produit, je serai avec toi, quel qu’en soit le prix. Je n’ai pas peur de l’impopularité. Et la gratitude et la gentillesse sont quelques-unes de mes vertus parmi mes nombreux défauts.

Depuis 1989, je te vois comme le père que mon père aurait pu être. Tu aurais sûrement eu, au début, un problème avec mon homosexualité, tout comme mon père, mais tu l’aurais sûrement surpassé et tu m’aimerais comme toujours et me protégerais des horreurs de l’homophobie. Quelque part, Lula, j’ai suivi tes pas à partir de là. Et depuis que mon père a quitté ce monde en 2001, tu es la référence paternelle de ma vie.

L’autre jour, alors que je marchais seul dans la nuit froide de Berlin dans des rues éclairées et presque vides, avec mes écouteurs et iMusic (tu sais ce que c’est ? C’est une sorte de répertoire musical du téléphone portable) en mode aléatoire, a commencé une chanson de Roberto Carlos dont les vers me touchent profondément. Parce qu’ils me parlent de mon père et, davantage encore, de toi, mon cher.

« Tes beaux cheveux blancs, ce regard profond fatigué, me racontant des choses dans un cri, m’enseignant tant du monde, et ces pas lents à présent, marchant toujours avec moi, qui ont déjà tant couru dans la vie, mon cher, mon vieux, mon ami ... ta vie pleine d’histoires et de rides marquées par le temps, des souvenirs d’anciennes victoires ou des larmes pleurées dans le vent, ta douce voix me calme et me dit beaucoup plus que ce que je dis, enfermant mon âme au plus profond de moi, mon cher, mon vieux, mon ami ! Ton passé vit au présent dans les expériences contenues dans ce cœur conscient des belles choses de la vie. Son sourire franc me redonne courage ; tes conseils avisés m’apprennent beaucoup. J’embrasse tes mains et je te dis, mon cher, mon vieux, mon ami : tout cela est peu devant ce que je ressens ».

Je veux te voir libre, guerrier.
Je t’aime.

Jean Wyllys

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