Les mouvements sociaux réagissent aux déclarations de Kátia Abreu

 | Par Najla Passos

Source : Carta Maior - 05/01/2015

Traduction pour Autres Brésils : Pascale VIGIER (Relecture : Nina ALMBERG)

Les mouvements sociaux brésiliens ont réagi avec indignation aux déclarations de la Ministre de l’Agriculture nouvellement investie, Kátia Abreu, qui, dans une interview au journal Folha de São Paulo, parue le 5 janvier [1], a affirmé qu’au Brésil, « le latifundium n’existe plus » et que les conflits entre agriculteurs et autochtones se produisent parce que « les indiens sont sortis de la forêt et se sont mis à descendre dans les zones de production ».

Dans cette interview polémique, la ministre, choisie selon les media parmi « les proches de Dilma Rousseff », dit avoir reçu de la présidente réélue, la mission de « révolutionner » l’agronégoce. Elle a promis de « créer une nouvelle classe moyenne rurale », même si elle doit « la prendre sous son aile, décider ce qu’elle produira ». Et elle a affirmé que le gouvernement construirait des voies fluviales pour stimuler l’initiative privée. « Nous devons tout miser sur la privatisation », a-t-elle insisté.

La réaction fut immédiate. Le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST) a bloqué les principales routes du Mato Grosso du Sud (les BRs 163, 267 et 262), prenant part à la mobilisation initiée depuis l’investiture de la nouvelle ministre, le 1er janvier. Outre qu’il revendique une réforme agraire immédiate, le mouvement conteste la nomination de l’agricultrice, ancienne présidente de la Confédération Nationale de l’Agriculture (CNA), qui, selon lui, représente ce que le Brésil comporte de plus attardé dans ce secteur [2].

Selon le MST, Kátia Abreu vient d’une classe sociale qui considère la terre comme un instrument de pouvoir et une réserve de patrimoine, sans vocation pour la production, sans aucune responsabilité envers la préservation de l’environnement et qui voit dans la consolidation de l’agriculture une opportunité pour la spéculation, aussi bien pour vendre la propriété que pour le rendement.

« Actuellement 90 000 familles du MST campent dans tout le pays, plus de 3000 dans l’état (du Mato Grosso do Sul), des hectares sans fin de latifundium qui peuvent devenir des assentamentos [3]. Nous ne pouvons pas fermer les yeux devant la nécessité d’aller dans les rues exiger la réforme agraire populaire et démocratique. Nous voulons la terre et des conditions dignes pour produire », a expliqué Marina Ricardo Nunes, de la coordination nationale du MST.

Le latifundium existe et s’accroît

Dans son texte officiel, le MST argumente contre la position de la nouvelle ministre, selon laquelle il n’y a plus de latifundium dans le pays. D’après le mouvement, le cadastre des biens immobiliers de l’Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire (Incra) démontre que la concentration de la terre et l’improductivité vont croissant. Selon cette enquête, faite à partir des déclarations des propriétaires eux-mêmes, les latifundia occupent 55,8% du total des zones, nombre qui a augmenté de 48,4% entre 2003 et 2010. Les données les plus récentes montrent que 130 000 propriétaires de terres concentrent 318 millions d’hectares. En 2003, ils étaient 112 000 propriétaires avec 215 millions d’hectares. Ainsi donc, plus de 100 millions d’hectares sont aux mains d’une minorité.

En concordance encore avec cette étude, les propriétaires de latifundia possèdent, en moyenne, 2400 hectares de terres chacun. Et un hectare de terre correspond à un peu plus qu’un terrain de football. C’est donc, en effet, beaucoup. Le sondage montre aussi que, parmi ce total de terres concentrées dans les grandes propriétés, 40% sont improductives.

Refus indigène

Dans une note, le Conseil Indigène Missionnaire (CIMI) [4] a réfuté l’affirmation de la nouvelle ministre selon laquelle ce sont les indiens qui envahissent les terres productives, la qualifiant de « ridicule », « extravagante » et « tellement hors de propos et déconnectée de la réalité de notre pays qu’elle ne peut qu’être le fruit d’une totale ignorance et d’une profonde mauvaise foi ».

« Celui qui connaît réellement l’histoire de notre pays sait que ce ne sont pas les peuples indigènes qui sont partis ou partent des forêts. Ce sont les agents du latifundium, du ruralisme, de l’agronégoce, qui envahissent et volent les forêts, expulsent et assassinent les populations qui y vivent », dit le document.

Le CIMI a également condamné les affirmations de Kátia Abreu qui nient la nécessité d’une réforme agraire. « Non contente, dès le début du « nouveau » gouvernement Dilma, d’attaquer les peuples indigènes, la représentante du latifundium essaie encore de bâillonner le processus inexistant de réforme agraire au Brésil et brandit sans scrupule la thèse selon laquelle il n’existerait plus au Brésil de latifundium », déclare-t-il.

Selon l’estimation du mouvement, « la ministre Kátia Abreu, outre qu’elle affiche autoritarisme et cynisme, démontre clairement qu’elle est au gouvernement de Dilma pour écraser les droits de ceux qui luttent pour la répartition égalitaire des terres, pour les droits des peuples indigènes, des habitants des quilombos, des communautés traditionnelles, des paysans et [de ceux qui luttent] pour l’environnement ».

Le CIMI critique également la présidente réélue, Dilma Rousseff, de ne pas donner de réponse aux manifestations de larges secteurs de la société brésilienne qui se sont prononcés contre la nomination de Kátia Abreu et invitent les mouvements sociaux à lutter. « Le latifundium, le ruralisme et l’agronégoce n’ont pas de limites. Face à une telle absurdité et indifférence, il ne reste pas d’alternative aux peuples sinon de continuer le processus de discussion, de mobilisation et de lutte pour défendre leurs terres et leurs vies », conclut la note [du CIMI].

Notes de la traduction :
[1] Article en portugais
[2] Kátia Abreu est éleveuse de bétail et a été députée fédérale du Tocantins de 2003 à 2007, puis sénatrice du Tocantins de 2007 à 2014. Depuis 2008, elle est présidente du CNA, réputé défendre les gros éleveurs, chercher le maintien de terrains improductifs et adopter des pratiques anti-écologiques.
[3] Les assentamentos sont des lots de terre gérés par l’INCRA [Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire] sur lesquels sont installés des Sans Terre à des fins d’agriculture.
[4] Le CIMI, créé en 1972, est lié à la Conférence Nationale des Évêques du Brésil. Son objectif est d’apporter son appui aux communautés indigènes en suivant 3 principes : respecter les traditions et l’histoire indigène ; être l’allié de ces peuples dans les luttes pour garantir leurs droits historiques ; œuvrer dans la perspective d’une société démocratique et juste, pluriethnique et pluriculturelle.

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