Les fronts parlementaires transpartis

 | Par Bruno Fonseca, Étore Medeiros

Les principaux groupes parlementaires de la Chambre des députés sont liés aux intérêts corporatistes ou conservateurs ou aux deux à la fois. Nous avons établi la cartographie de qui défend quoi.

Pública - Agence de reportage et de journalisme d’investigation
par Étore Medeiros et Bruno Fonseca – 18 février 2016
Traduction par Autres Brésils : Roger Guilloux
Relecture : Piera Simon-Chaix

Les députés fédéraux du Front parlementaire de l’agrobusiness (FPA) [1] - l’un des regroupements trans-partis de la Chambre des Députés les plus importants et les mieux organisés – se réunissent chaque semaine autour d’un déjeuner dans une grande villa du quartier Sud, quartier noble de Brasilia. Diffusé un peu avant, y compris par voie de presse, le « menu » - nom donné par le propre secrétariat du FPA aux thèmes composant l’ordre du jour et qui feront l’objet de débats ce mardi 16 février – incluait la fiscalité des produits agricoles, l’indemnisation des propriétés quand celles-ci ont étés désappropriées et l’indication de membres des commissions permanentes de la Chambre des Députés dont la composition est renouvelée chaque année. Au-delà de leurs intérêts propres, les « ruralistes » [2] suivent de près le travail de deux autres groupes, celui de la Constitution, Justice et Citoyenneté (CCJ) et celui de l’Environnement.

« Nous allons tenter de placer un maximum de personnes qui sont en mesure de débattre les questions d’environnement au Brésil, non pas sur une base idéologique ni radicale mais de manière équilibrée. Oui, nous allons essayer de rallier une forte majorité » indiquait à Pública, à la suite du déjeuner, le député fédéral Nilson Leitão (PSDB –Mato Grosso). Vice-président du FPA, il est rapporteur de la Commission Parlementaire d’Investigation (CPI) qui enquête sur la Funai [3] et l’Incra [4]. Cette commission prétend retirer les questions relatives aux indiens et à l’agriculture de la tutelle des organismes fédéraux. Nilson Leitão a également présidé la Commission spéciale qui en 2015 a approuvé la Proposition d’Amendement Constitutionnel (PEC) 215 proposant d’intégrer le Congrès national au processus de démarcation des terres indigènes. « Nous allons gagner au niveau de la commission, maintenant nous devons présenter la question en séance plénière et voir ce que la Chambre des députés va décider et faire en sorte que le Sénat puisse accélérer le processus » nous dit-il, au sujet de cette PEC 215 dont l’approbation définitive est l’un des principaux objectifs de ce regroupement pour l’année 2016, même si de nombreux juristes la considèrent anticonstitutionnelle.

En plus du FPA, d’autres fronts interviennent quotidiennement au Congrès. Ils réunissent des députés aux idéologies, motivations et objectifs semblables ou encore des députés ayant accès aux financeurs du même secteur. La dynamique de fonctionnement de ces regroupements thématiques est hétérogène. Ils ne disposent pas tous d’une structure ni d’une stratégie semblables à celles des ruralistes - lesquels disposent de coordinateurs, d’agitateurs et de négociateurs parmi leur membres – et très souvent, on ne connaît les membres de ces regroupements que lors de la réalisation d’actions spécifiques ou encore avec l’aide des données concernant les dons de campagne.

Pour mettre en évidence quels sont les intérêts défendus et par quels parlementaires, Pública a procédé à un relevé de la composition des onze fronts les plus actifs. En plus des 207 députés ruralistes, nous avons fait la cartographie d’autres géants de la Chambre des députés : le front évangéliste (196), celui de l’entreprise (208), celui des entrepreneurs et des entreprises de BTP (226) et celui de la famille (238), le plus important de la Chambre. Cette cartographie a confirmé l’augmentation du nombre de députés ayant des membres de leur famille en politique comme Pública l’a montré récemment.

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Les fronts parlementaires transpartis
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[dans le sens horaire en partant du haut] évangelique (196) / agro-business (207) / balle (35) / syndical (43) / droits humains (24) / exploitation minière (23) / entreprise (208) / famille (238) / santé (21) / ballon rond (14) / entrepreneur et entreprise du BTP (226)
n° de députés du front // n° de députés appartenant aux deux fronts

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évangélique / agro-business / balle / syndical/droits humains / exploitation minière / entreprise / famille / santé / ballon rond / entrepreneur et entreprise du BTP

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Députés réélus (par fronts)
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[sens horaire en partant du haut] évangélique / agro-business / balle / syndical / droits humains / exploitation minière / entreprise / famille / santé / ballon rond / entrepreneur et entreprise du BTP
n° de députés réélus // n° de députés élus (y compris les suppléants)

Ajoutons à cela les fronts de l’exploitation minière et du ballon rond (respectivement 24 et 14 députés fédéraux). Il existe également des regroupements plus petits mais puissants cependant, en raison de l’impact des programmes qu’ils défendent. Nous avons ainsi reconstitué la composition des fronts de la balle favorable à l’usage de l’arme à feu, (35 députés), des droits humains (24) et de la santé (21). Pour ces petits groupes, les critères que nous avons utilisés pour les définir résultent de la manière dont chaque parlementaire a traité au quotidien les thèmes liés à ces domaines spécifiques. Pour les entreprises du bâtiment, nous nous sommes appuyés exclusivement sur le financement des campagnes politiques, méthode qui nous a permis également d’élaborer la liste du front de l’exploitation minière.

Les activités du front de l’entreprise et de celui des syndicats consistent en une actualisation des documents publiés peu après chaque élection par le Département intersyndical d’assistance parlementaire (Diap) qui réalise une radiographie des différents fronts au Congrès. Un simple remplacement de quelques titulaires par leurs suppléants - 33 d’entre eux exerçaient un mandat en janvier 2016 – a curieusement conduit à une réduction dans ces deux groupes. Le front de l’entreprise a perdu 13 membres et celui des syndicats, 8. Proportionnellement, cette réduction a été plus importante pour le front syndical qui ne compte plus que 43 députés contre 208 pour le front de l’entreprise.

Télécharger le tableau de la cartographie des fronts transparlementaires

Ruralistes inconditionnels

Pour réaliser la cartographie des défenseurs de l’agro-business, nous avons inclus tous les parlementaires qui ont souscrit à la création du FPA. D’un point de vue réglementaire, un nombre minimum de signatures est nécessaire pour la création d’un front parlementaire. On retrouve parfois des accords amicaux du genre « tu signes le mien et je signe le tien ». Cependant, ces arrangements ne s’appliquent pas au front ruraliste, selon Antônio Queiroz, directeur du Diap. « Ce copinage, cette manière de signer sans apporter un véritable soutien, vaut pour le front des droits humains, par exemple. C’est sympathique aux yeux de l’opinion publique mais quand il s’agit de s’engager, le type disparaît ou se met en retrait. Alors qu’au front ruraliste, personne ne signe s’il n’a pas un lien direct avec le secteur », explique-t-il.

Selon l’un des défenseurs les plus aguerris de l’agro-business à la Chambre des députés, le député Leitão, la taille du front ne porte pas préjudice au bon déroulement des activités. Par exemple, Leitão est personnellement favorable à la destitution de la Présidente Dilma Rousseff mais ce thème épineux suscite des débats moins consensuels entre les membres du FPA. Sur d’autres sujets, cependant, il est relativement plus simple de convaincre les 207 députés – soit 40 % de la Chambre. « Sur les sujets touchant au secteur productif au Brésil - sujets que ce front se doit de défendre, la PEC 215, par exemple - nous avons toujours une majorité qui nous permet d’obtenir la victoire nécessaire », affirme-t-il.

Villa où le front ruraliste se réunit chaque semaine pour définir les priorités et les stratégies. Photo : Étore Medeiros / Agence Pública

Interrogé sur l’orientation radicalement conservatrice des ruralistes - et dont le ton peut même être haineux dans certains cas – Leitão se justifie de la manière suivante : « Aux Etats-Unis, par exemple, un député n’a aucun problème s’il représente le secteur de l’acier, de l’agriculture, de l’automobile ou de la religion. Le Brésil traîne encore ce préjugé, qui est culturel. J’habite dans un État [le Mato Grosso] qui est éminemment agricole, qui est le plus grand producteur de tout. J’habite dans une région [Centre-Ouest] qui est la plus grande région de production agricole. Si je ne défends pas l’enrichissement et la population de ma région, je n’ai aucune raison d’être à la Chambre des députés. »

La Balle et la Bible

Le front de la balle, - c’est le nom que la presse lui donne pour se référer au front regroupant les parlementaires financés par les industries des armes et des munitions – a vu, au cours de l’année passée, une « augmentation » du nombre de députés méritant effectivement d’être inclus dans ce groupe, en raison de la véhémence et de l’insistance avec lesquelles ils défendaient l’abaissement de la majorité pénale, l’augmentation des peines et plus encore la révision du Statut du désarmement. Ce front a obtenu quelques victoires partielles en 2015. Connu pour circuler dans les couloirs et la salle plénière de la Chambre des députés dans un impeccable uniforme militaire, le Capitaine Augusto, ancien officier de la Police Militaire parle avec humour de l’épithète dont on a gratifié ce front. « Ce terme qui avait un sens péjoratif, s’est finalement popularisé et a pris une connotation inverse, montrant ainsi que le Front de la balle est véritablement engagé dans les questions de sécurité, dans le durcissement de la législation pénale et du Statut de l’enfance et tout ce qui en découle. Aujourd’hui, cette expression « front de la balle » ne nous dérange plus, mais nous sommes en réalité le front de la vie. Ce que nous défendons, c’est la vie, tout particulièrement celle du bon citoyen », dit-il.

La relation entre ce front qui défend l’idée qu’« un bon bandit est un bandit mort » et le Front parlementaire évangélique est un bon exemple de la capacité d’articulation des groupes conservateurs. « Ici les fronts de la sécurité publique et évangélique travaillent ensemble. Nous partageons les mêmes valeurs. Nous nous aidons vraiment. Nous n’intégrons pas le front évangélique [front dont Augusto fait également partie] uniquement pour le nom, pour faire de la figuration, nous le faisons pour aider effectivement tous les projets qu’ils appuient », reconnaît cet ancien policier. Il récuse l’idée que ce qui unit ces deux groupes serait un conservatisme radical. « Nous apportons une attention particulière aux questions de la famille, de la morale, de l’éthique, de l’honnêteté. Avec de telles valeurs, on ne peut pas être considérés comme radicaux. Ou vous partagez ces valeurs, ou vous ne les partagez pas. Ou vous êtes honnête, bon citoyen, ou bien vous ne l’êtes pas. »

Député Capitaine Augusto (Parti Républicain – São Paulo) à droite. Fronts de la balle et de la bible – Photo Lucio Bernardo Junior / Chambre des députés.

Petits mais aguerris

Diamétralement opposé aux fronts de la bible et de la balle, on retrouve le groupe des Droits humains. Malgré le nombre réduit de députés qui militent quotidiennement dans le combat contre l’oppression des femmes, de la population LGBT, des indiens et des populations traditionnelles, contre le racisme et la violence de l’État, la mobilisation de secteurs de la société et le militantisme en faveur des causes spécifiques ont permis à ces députés d’obtenir quelques victoires partielles importantes au cours de ces dernières années, même si ce front ne dispose que de 23 députés effectivement actifs. Le processus concernant la PEC 215 elle-même, par exemple, obsession des ruralistes depuis l’année 2000 où elle fut initialement présentée, n’a pu avancer et être proposée à un vote en séance plénière que l’an dernier. « Vous pouvez avoir un front de dix membres bien aguerris qui vaut autant que 300 qui ne se mobilisent pas. Naturellement, l’influence de chaque groupe est également associée au nombre de membres, notamment au nombre de ceux qui sont véritablement engagés », explique Antônio Queiroz, le directeur du Diap.

Exerçant son premier mandat à la Chambre des députés, l’élu du Pará, Edmilson Rodrigues (PSOL [5] ) a mené plusieurs combats contre le front ruraliste dans la commission spéciale qui a analysé la PEC 215. Bien qu’il connaisse de près le radicalisme d’une bonne partie de ses membres, il croit cependant à la possibilité de pouvoir convaincre. « Bien que certains représentants ont parfois un comportement inacceptable, particulièrement ceux de l’agro-business et des grandes propriétés foncières, même parmi ceux-ci, il y a des personnes capables de dialoguer. Je suis optimiste. » Il raconte que lors d’un vote sur les droits des enfants, il a été agréablement surpris de l’attitude d’un député pasteur. « Il était à mes côtés. Il a pris la Bible et m’a cité un verset pour justifier son attitude favorable à ma position et contraire à celle de presque tous les membres du front évangélique, même si, en d’autres occasions, il suit fidèlement la ligne générale du front. »

Député Edmilson Rodrigues, (Psol-PA) du front des droits humains lors de la Commission spéciale de la PEC 215. Photo : Gabriela Korossy
Chambre des députés.

Rodrigues reconnaît que très souvent, certains parlementaires finissent par prendre des décisions fondées sur des motivations qui n’ont rien à voir avec le contenu du débat. « Parfois, il est possible de discuter avec ces personnes, mais, même si elles ne sont pas d’accord avec la ligne du parti, elles disent qu’elles ont un engagement vis-à-vis de celui-ci. Il arrive même que le leader du parti soit un ami personnel et le député ne veut pas le démoraliser. Dans d’autres cas, le parti occupe des postes ministériels, il est responsable pour les politiques que l’État met en place et alors le député apporte un vote d’appui au gouvernement », dit-il.

Identification

Même si les prises de position de chaque parti ou du front qui appuie le gouvernement ont une forte influence sur le vote des députés, il est fréquent que le parti ou le front libère le vote et permet aux parlementaires de voter comme ils le souhaitent et même contre les orientations reçues. « C’est une distorsion du système qui a été à la source de nombreux problèmes. Les partis n’ont pas de véritable leadership, il n’existe aucun parti ayant un programme politique bien défini, à l’exception peut-être du Psol, mais c’est parce qu’il est très petit. Les groupes d’intérêts, ici, sont plus fort que les partis. C’est pour cela que l’orientation des partis ne se reflète pas toujours dans la manière de voter », estime le député José Stédile (PSB-RS).

Dirigeant du Syndicat des Métallurgistes de Porto Alegre (RS), de 1989 à 1998, il est surpris de savoir que son nom est fréquemment cité lors de l’étude sur ce qu’on appelle le front syndical. « Il arrive à peine à 30 députés, ceux qui luttent véritablement pour la défense de la classe laborieuse, ici à la Chambre des députés. Cette situation est le reflet du mode d’élection. Vous n’avez de chances de gagner que si vous disposez de moyens, ou si vous êtes un grand leader, si vous faites partie d’un groupe important et parfois dans des situations différentes, comme dans mon cas par exemple. Les votes que j’ai obtenus ne proviennent pas seulement de ma catégorie sociale. Ils viennent également du fait que j’ai été maire [deux fois maire de Cachoerinha] et ma ville m’a aidé à être élu. » Stédile dit qu’il défend les travailleurs, les retraités, les agriculteurs et les ouvriers mais il ne s’identifie à aucun front. « Ils n’acceptent pas de perdre et on sait que, dans un pays comme le nôtre, il est impossible d’apporter des réponses à tout, alors parfois, il faut accepter de perdre certaines choses pour en gagner d’autres. »

Métallurgiste et ex-dirigeant syndical, José Stédile (PSB-RS) dit ne s’identifier au front syndical. Photo : Gustavo Lima – Chambre des députés.

Avec une pointe d’ironie, Antônio Queiroz s’interroge : « Comment pense-t-il qu’il est arrivé au poste de maire ? » Cependant, quant au lien entre le financement, les fronts thématiques et les partis, l’analyse du directeur du Diap rejoint celle de Stédile. « Chaque député essaie de convaincre le leader de son parti d’intégrer ou d’assumer la plateforme politique du front parlementaire auquel il est associé et s’il ne réussit pas, il essaie d’être libéré des obligations vis-à-vis de son parti afin de pouvoir voter en accord avec ce que le front parlementaire propose. Aussi longtemps que les partis n’auront pas acquis une certaine respectabilité et qu’il n’y aura pas une autre culture politique, ceux-ci n’auront pas la possibilité d’agir sur une base solide du point de vue idéologique et programmatique. »

Financement et idéologie

« Certains partis sont fortement dépendants des financements venant des entreprises alors que d’autres s’interdisent d’en recevoir, c’est le cas du PSOL, par exemple. Théoriquement, plus un candidat est dépendant d’une d’aide financière et plus est grande la possibilité qu’il apporte son appui aux demandes des groupes qui ont financé sa campagne » indique Dalson Britto, professeur de Sciences politiques à l’Université Fédérale du Pernambouc (UFPE). Spécialiste en comportement au niveau du pouvoir législatif, il a mené une étude en partenariat avec des chercheurs de l’Université Fédérale de Minais Gerais (UFMG) portant sur l’influence des aides financières lors des élections et sur l’élaboration de l’ordre du jour législatif. Cette étude, publiée en 2015, a analysé les votes à la Chambre des députés de 1999 à 2007 en lien avec les projets pouvant intéresser la Confédération nationale de l’industrie (CNI). Elle a confirmé que plus les appuis financiers en provenance des entreprises étaient importants pour un parlementaire et plus la coopération de celui-ci avec ce secteur était étroite. Le croisement de certaines données indique que chaque point de pourcentage additionnel de financement en provenance de l’industrie, par rapport à la somme totale recueillie par le candidat, augmente de 30,7 % la possibilité de voir l’élu voter en faveur des intérêts de l’industrie. Dans un autre modèle statistique, le résultat révèle une augmentation de 19,8 % de l’appui au secteur industriel. Cependant, ce professeur analyse ces données chiffrées avec une certaine prudence. « Un député donné a-t-il voté en faveur des intérêts du groupe X parce qu’il a reçu une contribution financière ou bien le groupe X a-t-il financé ce député parce qu’il disposait déjà d’informations sur le positionnement idéologique de celui-ci ? » se demande-t-il.

« D’un point de vue méthodologique, l’un des défis les plus importants rencontrés par les spécialistes de la relation entre les groupes d’intérêts et le comportement des élus du Congrès est de mesurer cette influence. Cette difficulté est encore plus grande en l’absence de données fiables sur le sujet », fait remarquer Britto. Il relève que le financement de campagnes politiques n’est pas une manière d’acheter les votes des députés mais garanti un accès privilégié au financeurs, aussi bien pour défendre des projets que pour en interdire le rejet. « L’interaction entre agents privés et parlementaires n’aboutit pas seulement à la formulation d’un ordre du jour favorable aux intérêts d’un secteur déterminé mais également à l’exclusion de questions qui pourraient être nuisibles à ses intérêts. »

L’idéologie, la trajectoire et la base électorale de chaque député pèsent également dans la balance, à l’heure du vote, alors que les alliances entre différents partis en vue de garantir une base à un appui aux gouvernements, conduisent à une infidélité vis-à-vis des orientations émanant de la direction des partis. « Dans une même coalition, on trouve des défenseurs acharnés des recherches scientifiques sur les cellules-souches et des opposants fermes à l’union homo-affective, par exemple. En ce qui concerne les clivages idéologiques, dans une situation donnée, on est en droit d’attendre un certain degré de cohérence entre les partis et le comportement des parlementaires. Imaginez la situation d’un député qui va devoir choisir entre voter selon les consignes du leader du parti, satisfaire sa base électorale et en même temps prendre en compte les intérêts des groupes qui ont financé sa campagne. On peut espérer une certaine consistance idéologique lors des votes. Cependant, s’il s’agit de choisir entre la fidélité aux directives idéologiques du parti et la fidélité vis-à-vis des financeurs, je pense que les parlementaires choisiront l’appui financier. En fin de compte, les campagnes électorales coûtent cher et quelqu’un doit se charger de ces dépenses. Selon le dicton, ’il n’y a pas de repas gratuit’ », fait remarquer le professeur de l’UFPE.

De l’eau et du cirque

A la Chambre des députés, la fin du financement en provenance des entreprises, déterminé par la décision du Supremo Tribunal Federal (STF) et déjà valide pour les élections municipales de 2016, conduit aux analyses les plus diverses sur ce qui peut se produire à partir de maintenant et au cours de ces élections ainsi qu’en ce qui concerne les futures compositions de groupes thématiques. Pour Nilson Leitão, vice-président du front ruraliste, amplement financé par les entreprises de l’agro-business, la fin des transferts d’argent peut conduire à une légère chute de la représentation de ce secteur au Congrès mais la base électorale ne se perdra pas avec des campagnes au coût moins élevé. « Certains défendent cette mesure car ils y croient, mais comme je l’ai indiqué, j’habite dans un État où je dois défendre la production. Cela me donne des voix et bénéficie à mon entreprise. »

Et si cette supposée identification avec l’électorat ne se confirme pas ? « Ce sera peut-être un bon entraînement, maintenant en 2016 [lors des élections municipales] pour savoir si l’absence de financement de la part des entreprises – lequel existe dans les pays riches – va réellement beaucoup nous manquer. Si c’est le cas, il y aura automatiquement un changement dans la loi » se risque-t-il à dire. « Si cela ne porte pas préjudice, qui sait si nous n’allons pas tous apprendre à faire une campagne électorale beaucoup moins chère de manière à pouvoir niveler par le bas et non par le haut les sommes absurdes que beaucoup dépensent lors des campagnes électorales » affirme ce député qui a investi 2,4 millions de réaux pour se faire réélire en 2014. Les dépenses élevées prises en charge par les entreprises et les patrons sont un thème qui revient régulièrement lors des discussions entre les personnalités ruralistes les plus influentes.

Britto de l’UFPE cite la théorie hydraulique de la régulation pour comparer les moyens financiers à l’eau qui trouvera toujours un chemin. « L’interdiction des financements d’entreprises fortifie grandement le rôle des lobbies qui n’a toujours pas été réglementé au Brésil. Le résultat en est que nous allons voir apparaître plusieurs scandales impliquant des représentants gouvernementaux interinstitutionnels et des représentants politiques lors des prochaines élections. »

Pour Antônio Queiroz, même s’il est possible de voir une augmentation d’élus des petits partis comme le Psol – et donc du front des droits humains, par exemple, qui regroupe actuellement cinq députés – cette possibilité d’augmentation n’aura pas d’impact significatif. « Le quotient électoral est très élevé. Dans les Etats où il n’existe pas un fort leadership ou une alliance avec d’autres partis, même s’ils obtiennent d’excellents résultats au niveau des votes, les candidats n’atteindront pas le quotient nécessaire et les votes seront perdus », pense-t-il. Calculé sur la base de la division entre le nombre de votes valides et le nombre de postes à remplir, le quotient électoral définit le nombre minimal de votes qu’un parti ou une coalition de partis doit obtenir pour prétendre élire un candidat. Lors des élections de 2014, à São Paulo, par exemple, pour élire un candidat à la Chambre des députés, ce quotient était de 300.000 votes.

Le directeur du Diap craint que les conséquences de la fin du financement en provenance des entreprises soient désastreuses pour la démocratie brésilienne. « Vous allez avoir en première ligne, les candidats qui ont de l’argent et qui peuvent prendre en charge 100 % des frais de campagne, les célébrités et les fondamentalistes qui défendent des causes soutenues par des disciples inconditionnels. Les partis de gauche pourraient tirer profit de la fin du financement dans la mesure où ils disposent d’un atout important, le militantisme, mais la majorité d’entre eux est liée au gouvernement dont les idées sont rejetées par bon nombre de ces mouvements », dit-il.

Même si les célébrités élues ne jouent pas toujours un rôle important au cours du mandat, elles sont recherchées par les partis pour les aider à élire d’autres parlementaires. Ce fut le cas par exemple du député Tiririca [6] qui avec plus d’un million de votes a permis au Capitaine Augusto – celui de l’uniforme militaire et qui défend la vie « principalement du bon citoyen » - d’arriver au Congrès bien qu’il n’ait obtenu qu’environ 47.000 votes.

[1La majorité des quelques 30 partis représentés au Congrès n’ayant ni ligne ni de programme politiques bien définis, laissent à leur membres la faculté d’adhérer à des groupes d’intérêts appelés bancadas. Les intérêts que ces fronts représentent peuvent être d’ordre public, renvoyant à une vision le plus souvent néo-libérale et/ou conservatrice de la société. Ils peuvent être également de type corporatiste (ceux de l’agro-business, de la mine, par exemple).

[2Ruralistas : l’Union démocratique ruraliste est une association de grands propriétaires ruraux liés à l’agro-business. Les ruralistes s’opposent à la réforme agraire et demandent que la démarcation des terres réservées aux indigènes et aux quilombos soit réalisée par le Congrès où ils sont fortement représentés.

[3Funai : Fondation nationale de l’indien, organisme fédéral chargé de la défense des intérêts des indiens.

[4Incra : Institut de la réforme agraire

[5PSOL : petit parti de gauche formé, à l’origine, de dissidents du PT

[6Surtout connu pour ses spectacles d’humoriste

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