Les femmes noires dans les élections

 | Par Jarid Arraes

Source  : Revista Forum, 12/09/2014

Traduction pour Autres Brésils  : Cécile DESOEUVRE (Relecture : Sifa LONGOMBA)

En cette année d’élection, seulement 9,24% des 25.366 candidats et candidates aux différents mandats politiques se déclarent en tant que personnes noires- c’est ce que révèle le Tribunal Supérieur Electoral, qui pour la première fois a exigé cette informations des candidats. L’analyse selon le genre révèle que les femmes noires sont encore moins représentées en politique, une donnée alarmante si l’on considère la population auto-déclarée noire au Brésil- qui dépasse déjà les cent millions d’individus, selon les données de l’IBGE.

Pour les femmes noires, ce manque de représentativité est extrêmement significatif, puisque leurs problèmes spécifiques - par exemple, la difficulté d’accès au marché du travail ou au droit à l’avortement légalisé - sont à ce point oubliés et mis de côté. Parmi toutes les demandes et les revendications concernant les femmes, celles qui sont noires se retrouvent dans un groupe statistique des plus vulnérables, ce qui se reflète également dans l’absence de candidates noires : au final, comment garantir que les femmes noires participent à la politique au travers de fonctions et de partis politiques lorsque l’ensemble de leurs droits fondamentaux leurs sont niés ?

Les femmes noires représentent la majorité des femmes de la périphérie et sont confrontées à de grandes difficultés pour étudier et travailler, en plus d’être les principales victimes de viol et de violence domestique. Ce sont elles aussi, les mères qui doivent élever leurs enfants seules car elles n’ont pas eu la possibilité d’interrompre une grossesse non désirée ou encore parce qu’elles ont été négligées par des hommes irresponsables. Et à la fin de la journée, ce sont les femmes noires qui accomplissent une triple journée de travail, pour remplacer le revenu de leurs compagnons morts des violences policières. Sans parler du fait qu’elles occupent majoritairement des emplois informels, comme le travail domestique, qui porte encore une terrible marque socio-culturelle de la période de l’esclavage au Brésil - malgré la tentative de faire respecter le code du travail qui garantit la dignité aux employées domestiques, la PEC 72 [1] n’ayant pas encore été dûment réglementée, ces femmes sont encore une fois désemparées.

Dans cette optique, il est de fait très important que les femmes banches luttent pour plus de représentatitivité et de voix active dans la politique brésilienne ; pour autant il est essentiel de garder à l’esprit que toutes les femmes ne sont pas égales et que ces différences peuvent générer des privilèges ou encore des négligences, spécialement en fonction de la couleur de peau. Cette polarisation est faite par la propre culture brésilienne, qui est raciste et crée une hiérarchisation entre les femmes blanches et les femmes noires. De cette façon, une femme qui accède à un mandat politique, mais qui ne prend pas en considération les spécificités des femmes noires, par exemple, ne défendra dans la plupart des cas que les droits d’une petite partie des femmes.
Le Mouvement Noir et beaucoup de courants féministes ont conscience de ces questions sociales et luttent pour recentrer le débat, mais le problème est loin d’être résolu. Dans le cas des élections présidentielles de cette année, nous avons trois femmes dans la course à la victoire, deux d’entre elles étant blanches : Dilma Rousseff et Luciana Genro. Marina Silva marque un pas dans ce sens, en étant la première femme noire à briguer un mandat présidentiel. Bien qu’il soit important que sa réalité soit reconnue, Marina n’a visiblement aucune proposition particulière pour résoudre le problème du racisme brésilien, et elle semble encore moins en ce qui concerne les femmes noires comme elle.

Le fait est qu’il manque également des candidates avec des propositions solides en relation aux droits des femmes et à la lutte contre le racisme, même parmi celles qui accèdent à une certaine forme de pouvoir. La représentativité importe, mais pas seulement la représentativité physique ; les femmes noires ont besoin d’être représentées dans tous les champs des luttes sociales. Modifier cette réalité n’est pas aussi simple que de voter pour une candidate noire, car il existe de nombreuses autres barrières empêchant l’accès de ces femmes à des fonctions administratives au Brésil, en étouffant également leurs propositions, qui sont mal acceptées car elles défient l’ordre établi. Mais il est important de trouver des personnes qui représentent nos idées et qui soient investies dans les causes pour lesquelles nous luttons, en faisant un travail au sein du propre mouvement féministe pour que les demandes des femmes noires soient entendues.

La page Facebook “Vote em uma Feminista”est un excellent exemple d’engagement politique, qui ne mentionne pas spécifiquement une candidate ou un parti, mais qui démontre qu’il existe des options de vote pour des femmes engagées sur les questions féministes-et parmi elles diverses candidates noires.

En fin de compte, de nombreuses luttes seront encore nécessaires pour que les femmes noires obtiennent le même nombre et les mêmes droits que les femmes blanches possèdent déjà. Faire face à cette réalité ne crée pas de division au sein des mouvements de femmes, mais au contraire nous éveille à la réalité du machisme, qui agit par le biais de multiples mécanismes d’exclusion. Unies et conscientes de nos différences, nous pouvons affronter la misogynie et le racisme. Que pendant ces élections nous puissions joindre nos forces pour élire des femmes « de la diversité » qui ont en commun leurs projets de transformation et sont fondamentalement féministes.

Notes de la traduction :

[1] La Proposition d’Amendement à la Constitution 72 a modifié le code du travail pour les employées domestiques en leur accordant plus de droits.

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