Le déclin du Parti des Travailleurs, l’ascension de la droite et la gauche orpheline

 | Par Rosana Pinheiro-Machado

Source : Carta Capital - 20/05/2015
Traduction pour Autres Brésils : Anapaula VAZ CORREA MAIA
(Relecture : Roger GUILLOUX)

José Cruz/Agência Brasil

Après avoir apporté notre soutien à Dilma pour assurer les conquêtes sociales, il est nécessaire de revenir à la critique d’un gouvernement dont la politique est indéfendable.

Je suis de Porto Alegre, une ville où l’utopie du Parti des Travailleurs a atteint son apogée à la fin du millénaire. Jusqu’à présent, le budget participatif est une référence dans le monde entier. Cette pratique ne résulte pas d’une conception révolutionnaire idéale mais plutôt des solutions qui se mettaient en place dans la pratique au quotidien.

Au micro, des gens pauvres privés de représentants, prenaient le pouvoir à travers leur parole et leur participation. Le Parti des Travailleurs qui a ses origines dans les mouvements sociaux, a investi dans une vaste structure de formation d’acteurs politiques.

La politique de base voulait se séparer d’une longue histoire de clientélisme, de liens pauvres en capital social qui dépouillaient les plus pauvres de l’autonomie et de l’ambition sociale. Cet empowerment arrivait par la qualification du capital social, par la décentralisation du pouvoir, et par conséquent, par l’expansion de la maitrise capabilité politique.

Les années lulistes [1] ont changé le cap des choses. Il y a eu un déplacement d’intérêt dans la base : on a choisi l’empowerment économique plutôt que le politique. Au moment même où les projets d’intégration sociale ont débouché sur plusieurs des plus importantes conquêtes de notre histoire - la réduction de la pauvreté, par exemple - le projet de mobilité sociale ne fait plus partie de l’agenda politique et idéologique.

Le lulisme met en évidence le « droit au plaisir » : les politiques d’intégration financière et d’insertion des groupes à faibles revenus dans le monde de la consommation. Je considère que le programme « Bolsa Família » [2] est une des plus importantes conquêtes brésiliennes. Je crois également que le plaisir de consommer est un droit.

Par conséquent, ma prise de position exalte les conquêtes historiques provenant des programmes sociaux. Toutefois, elle marque sa distance vis-à-vis d’une intégration plus quantitative que qualitative. Il s’agit d’un projet dont les effets extraordinaires pour résoudre des questions critiques se font sentir à court et moyen terme. Cependant, à long terme, ce projet perd sa force à cause du manque de programme politique émancipateur.

Le choix de l’empowerment économique au détriment de l’empowerment politique a des conséquences directes sur la formation du citoyen brésilien. Ce n’est pas un hasard si, à l’heure actuelle, ces mêmes gens qui ont réussi cette ascension hissent un drapeau de haine irrationnelle contre le Parti des Travailleurs. L’intégration par la consommation encourage l’alignement sur des valeurs néolibérales. Tout cela dans un contexte de capitalisme à l’état pur, d’une société de valeurs aristocratiques et d’une démocratie fragile.

Actuellement, il est possible d’acheter plus, de la nourriture en passant par le frigo. Mais, quelles sont les valeurs de ces groupes qui ont réussi leur ascension ? Les préjugés de classe sociale, de couleur et d’orientation sexuelle sont plus affichés que jamais. Cette violence à tendance fasciste semble s’étendre des élites aux classes les plus pauvres. Il manque donc un projet qui valorise les droits de l’homme et les droits fondamentaux, qui encourage la pensée critique et renforce le capital politique à la base.

Ce n’est pas un hasard si l’appauvrissement idéologique du Parti des Travailleurs se produit au moment même où le parti souffre d’une profonde crise éthique. Les noms des figures emblématiques apparaissent sur des listes à scandales - du « Mensalão » à la Petrobras [3]. C’est de cette manière que le parti a trouvé des moyens de se maintenir au pouvoir. Nous savons que les détournements du PSDB (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne) ont été de la même importance. Bien que certains membres du PT aient une certaine difficulté à comprendre, le centre de la discussion n’est pas de savoir qui a volé le plus. Ce qui est impardonnable c’est le fait que le Parti des Travailleurs a été élu sous le drapeau de l’éthique.

L’image du parti se dégrade sous le gouvernement de Dilma. Le projet de développement débute avec le massacre des peuples indigènes, continue avec l’affaire Kátia Abreu [4] et fini avec un plan d’austérité fiscale. Nous nous souvenons bien que la présidente a promis qu’il n’y aurait pas de plan de rigueur !

En plein milieu de la crise économique, certaines conquêtes historiques de projets sociaux démontrent leur fragilité. La paralysation du programme Fies (Fond de Financement pour les Étudiants) [5] par exemple, a mis les étudiants à faible revenu dans une situation d’humiliation et de découragement. La sous-traitance aggrave la mauvaise gestion du Parti des (Semi-) Travailleurs. Les membres du parti prétendent que leurs représentants ont voté contre ce programme. Mais être l’otage de la gouvernabilité c’est aussi une honte, n’est-ce pas ? Un gouvernement soumis au Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB).

Quelles sont les chances d’un retour aux origines ? Elles sont limitées, si l’on considère qu’il n’y a pas de nouveaux leaders dans le parti et que la tentative de relancer Lula est désespérée.

La crise du Parti des Travailleurs produit dans un des pires scénarios de post-démocratisation. C’est-à-dire, en pleine croissance du conservatisme d’extrême droite qui émerge des brèches de la saturation. Le sentiment irrationnel de haine envers le PT remplit les vides structuraux du mécontentement de la population et réussit à s’étendre au-delà de l’élite auto-proclamée.

Le fascisme tropical propose des solutions simplistes qui répondent aux questions de ceux qui ne savent plus que faire. Par conséquent, l’augmentation du conservatisme trouve sa place face au vide moral, éthique et politique laissé par le Parti des Travailleurs.

Quel est le rôle de la gauche dans ce scénario ? Elle se trouve face à un dilemme, au milieu d’une polarisation stupide entre une droite enragée et un PT désespéré. Une partie de la gauche est prisonnière d’un chantage émotionnel, qui voit dans la critique du parti, un service rendu à la droite. Cet argument est manipulateur, abrutissant et réducteur. Il empêche l’autocritique qui était jadis un des principes qui guidait le Parti des Travailleurs.

Après avoir soutenu la candidature de Dilma au deuxième tour des élections, de manière à assurer les conquêtes historiques des programmes sociaux, il faut revenir à la critique d’un gouvernement qui est devenu indéfendable.

Au moment même où nous assistons à la fois la défaite du Parti des Travailleurs et au développement de l’extrême droite, aucun projet provenant de la gauche n’apparaît. La gauche orpheline a besoin de payer ses pots cassés, de lécher ses blessures, de faire son autocritique et de penser collectivement. Pendant les périodes de normalité démocratique, la diversité de la pensée de gauche s’enrichit, alors que pendant les périodes de crise éthique et de vide politique, il faut donner la priorité à l’unité.

Les partis de gauche, les collectifs, les intellectuels, les activistes et les groupes indépendants ont besoin de construire un vaste front de gauche qui – comme le disait le Professeur Marcos Nobre récemment lors d’un colloque à l’Unicamp [6] - soit capable d’accueillir, sans restriction, toutes les forces politiques intéressées à penser de manière collective sur des alternatives de gauche pour le Brésil, y incluant le PT.

Il faut revenir à l’utopie. Et la liste des tâches urgentes à réaliser est longue : reconquérir et reconstruire la base, politiser la pauvreté (au lieu de célébrer la consommation), décentraliser le pouvoir, et finalement, donner plus de pouvoir aux acteurs politiques qui peuvent arrêter cet élan conservateur et lutter afin de garantir les droits démocratiques.

Notes de la traduction :

[1Luliste : adjectif créé à partir du nom de l’ancien président Lula.

[2Bolsa familia. Programme social brésilien destiné à lutter contre la pauvreté et mis en place sous la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva

[3Mensalão. Scandale politique concernant le paiement de pot-de-vin à certains députés.

[4Ministre de l’agriculture du gouvernent de la présidente Dilma depuis le 1er janvier 2015.

[5Programme du Ministère de l’Éducation pour financer les études universitaires

[6Unicamp  : université de Campinas

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