La réforme de l’enseignement secondaire : un recul social de plus

 | Par Cleomar Manhas

Source : Outras Palavras (http://outraspalavras.net/brasil/508961/)
Par Cléo Manhas

Traduction pour Autres Brésils : Piera Simon-Chaix
Relecture : Marion Daugeard

Les élèves du secondaire mobilisés : ils veulent un nouvel enseignement, de nouvelles méthodes, de nouveaux savoirs – pas la fumisterie approuvée par le gouvernement.

Approuvée sans aucun débat, la « réforme » veut confiner les pauvres dans des écoles sans financements ni esprit critique, uniquement tournées vers les formations professionnelles.

La « réforme » de l’enseignement secondaire vient d’être approuvée, proposée sous la forme de mesure provisoire, par legouvernement en exercice. Est-il possible de modifier significativement une politique publique par une mesure provisoire ? Qu’est-ce qui justifie d’y avoir recours ? Parmi les multiples raisons, l’urgence serait la justification majeure. Les modifications dans l’enseignement secondaire sont-elles donc urgentes ? D’aucuns affirment qu’il en est question depuis des années en vase clos, et que c’est pour cela que le Ministère de l’Éducation a défendu ce format.

Lorsque nous affirmons qu’il ne devrait pas être fait usage de ce passe-droit dans l’éducation, parce que la politique est nécessairement participative, certains répondent : mais le Prouni [1], du gouvernement de Lula, a été instauré par une mesure provisoire. C’est un fait indéniable – mais une erreur n’en justifie pas une autre et il est question de politiques très différentes. L’une a été mise en place pour augmenter le nombre de places dans l’enseignement supérieur, puisque les universités publiques n’avaient pas les capacités suffisantes pour répondre à toutes les demandes. Et la « réforme » de l’enseignement secondaire est fondamentale, elle concerne la structure du système d’enseignement : il est donc nécessaire que tous les groupes impliqués puissent débattre des modifications.

Différentes organisations qui agissent pour défendre le droit à l’éducation de qualité, en partenariat avec des étudiants, discutent depuis longtemps des modifications de l’enseignement secondaire. Nul ne s’opposait à la nécessité de nouvelles méthodologies et de nouveaux contenus, de nouvelles manières de mettre en œuvre cette étape de formation intermédiaire entre l’enfance, l’adolescence et la jeunesse. Elle correspond à la phase des choix professionnels mais aussi à la période pendant laquelle l’abandon scolaire est le plus élevé.

Différentes méthodologies avaient déjà été utilisées pour parvenir à un consensus sur les changements à apporter ; différentes voiess’avéraient possibles. L’Inesc (Instituto de Estudos Sócioeconômicos – Institut d’Études Socioéconomiques), en partenariat avec l’Unicef, avait organisé il a trois ans un échange avec des élèves des écoles publiques du secondaire et de l’enseignement primaire, en leur posant deux questions : quel enseignement secondaire voulons-nous ? Et pour ceux qui n’ont pas encore atteint ce niveau, quelles sont nos attentes pour l’enseignement secondaire ?

L’idée était de confronter les impressions recueillies avec d’autres, provenant de lieux et d’organisations différentes, puis de faire parvenir le tout au Ministère de l’Éducation et au Congrès, pour présenterce que ses usagers pensent de l’enseignement secondaire et quels changements ils souhaiteraient lui apporter. C’était une discussion courante dans de nombreuses autres organisations. Il existait déjà quelques consensus et sans doute, assez vite, une proposition aurait pu être présentée au vote.

La réforme approuvée va de l’avant sur certains aspects, quand elle propose que cette étape de l’enseignement soit plus fluide, ce qui répond à l’un des problèmes soulevés par les élèves : le « contenu avant tout » et le trop grand nombre de disciplines a un effet décourageant. Un certain nombre de questions n’a cependant pas trouvé d’échos dans le cadre de la réforme, tel quele harcèlement lié à la LGBTphobie, le racisme, la grossesse à l’adolescence ou la nécessité de travailler de façon précoce. D’ailleurs, le gouvernement lui-même engage ses efforts dans le sens d’une éducation non-critique. Ce qui donne l’impression de répondre aux appels de l’ « École sans parti » [2].

Mais à quoi peut-on s’attendre de la part d’un gouvernement illégitime, qui ne respecte pas les règles démocratiques, qui prend pour argument le besoin pour le pays de changements rapides, en donnant l’impression à ses partisans qu’ils veulent satisfaire des besoins réprimés de la société. Oui, nous voulons des changements rapides, qui soient construits de façon participative, et dont les parties prenantes soient écoutées et puissent jouer un rôle dans les nouveautés.

Il existe d’autres problèmes dans la conception [de cette réforme], parmi lesquels la proposition d’une formation technique pour le marché du travail, notamment des plus pauvres, qui doivent souvent étudier et travailler en même temps. Car ce qui est proposé, c’est de compléter la formation par des cours dispensés sur les lieux de travail, sans s’arrêter à la qualité de l’enseignement. Nous obtiendrions certainement des réalités différentes pour la classe moyenne et les élites et pour la population défavorisée, car cette dernière aura très difficilement accès à l’enseignement supérieur, et en particulier aux universités publiques. C’est aller à contre-courant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ratifié par le Brésil, où il est inscrit qu’aucune restriction aux droits fondamentaux ne peut être admise.

La proposition contient encore d’autres contradictions, comme l’extension de l’éducation intégrale. Comment, alors que l’amendement constitutionnel relatif au plafonnement des dépenses publiques vient d’être approuvé, réduisant drastiquement pour les vingt prochaines années le budget de l’éducation, l’enseignement intégral pourrait-il être augmenté ? Encore une fois, il s’agit d’une politique destinée à des privilégiés, à des jeunes qui n’ont pas besoin de travailler pendant leurs études – c’est-à-dire, une part minoritaire de la population brésilienne.

Le texte indique que le gouvernement fédéral allouera des moyens supplémentaires aux écoles qui s’orienteront vers l’éducation intégrale. C’est une initiative qu’il faut saluer, car elle donne la priorité à des régions dont l’IDH (Indice de développement humain) est le plus faible. Mais la conclusion mentionne que l’allocation aura lieu si les ressources budgétaires sont disponibles, ce qui ne paraît pas à l’ordre du jour étant donnée la drastique réduction du budget public. À moins qu’il ne soit mis fin à un autre programme pour en récupérer le budget...

Les examens permettant d’être accepté dans l’enseignement supérieur [3] se baseront sur les contenus de la Base nationale pédagogique commune (Base Nacional Comum Curricular – BNCC), soit 60 % de ce qui est enseigné. Les 40 % restant varient en fonction des réalités locales de chaque région. Cela sous-entend que les connaissances préexistantes, culturelles, seront écartées des examens et des évaluations, qui continueront d’avoir un caractère national. Ce qui renforcera l’hégémonie des régions les plus riches qui imposent les modèles culturels.

Nous ne pouvons ignorer le fait que le Congrès, sous la pression des mouvements populaires, a modifié la proposition initiale, en intégrant de nouveau le caractère obligatoire des disciplines de philosophie, de sociologie, d’art et d’éducation physique dans la BNCC, améliorant ainsi le texte final.

Cependant, le caractère pragmatique des formations est encore valorisé à l’excès. Ce qui leur importe ce sont les résultats, pas les processus, ou la maturité, ou encore la formation d’une conscience critique ou la possibilité de former des athlètes et des artistes. Nous allons produire des professionnels de l’infrastructure, qui garantiront la continuité d’une société fondée sur les distinctions de classe, fragmentée, raciste, patrimonialiste, machiste, néocolonialiste.

Voir en ligne : Outras Palavras

[1Le PROUNI (Programme université pour tous) a été mis en œuvre par le gouvernement de Lula en 2004 et institutionnalisé par une loi de 2005. Il permet à des étudiants défavorisés d’obtenir des bourses pour étudier dans des institutions privées.

[2Le mouvement des « écoles sans partis » a été lancé en 2004 et ses idées ont commencé à être largement diffusées en 2015 : il s’agit de promouvoir un enseignement où les professeurs n’influencent pas idéologiquement les élèves.

[3Les lycéens qui souhaitent entrer dans l’enseignement supérieur passent des examens d’entrée (« vestibular ») pour chaque université à laquelle ils postulent, la concurrence étant évidemment plus acharnée pour les universités les mieux classées.

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