La promesse faite au peuple

 | Par Ivan du Roy

Par Ivan du Roy avec Irène de Paula

Pour faire respirer São Paulo, la municipalité accorde réformes urbaines et participation populaire.

Des premiers pas difficiles, mais encourageants...

Avant, le terrain vague servait de dépôt d’ordures aux habitants de la favela. Les bandes rivales s’y affrontaient pour le contrôle du trafic de drogue. Régulièrement, la police, à la demande du propriétaire du terrain, faisait des descentes n’hésitant pas à incendier des maisons pour faire fuir les habitants. Aujourd’hui, c’est une sympathique place colorée bordée de petits commerces. Les rues ont été goudronnées. Les trafiquants se font plus discrets. Les bus municipaux, désormais, s’y arrêtent. Surtout, les habitants sont devenus propriétaires de leurs maisons. Un îlot de tranquillité dans un océan de détresse. La Cité de la nouvelle espérance porte bien son nom. Située sur une colline, elle domine une partie du district pauliste de Brasilandia, un immense quartier pauvre de 600 000 âmes, à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest du centre ville. L’aménagement du quartier est l’un des premiers effets visibles des politiques initiées par le PT à São Paulo. Il symbolise aussi l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir.

3 millions de mal lotis

L’occupation du terrain commence au début des années 90. Vingt familles, puis bientôt deux cents, s’installent progressivement sur la colline. « La majorité venait du Nordeste mais habitait déjà à São Paulo. Soit ils étaient expulsés des propriétés voisines, soit ils quittaient le centre ville où ils ne pouvaient plus payer leur loyer à cause de l’inflation et de la spéculation immobilière », raconte José Aureliano, ancien séminariste, aujourd’hui président de l’association des habitants du quartier. « Les gens étaient terrorisés à cause des descentes de police. » Il en veut encore à l’ancienne maire PT (de 1988 à 1992), Luiza Erundina : « C’est elle qui nous a envoyés ici. Nous sommes venus dans les camions de la mairie. Nous lui faisions confiance. Elle n’aurait pas dû faire cela. » La représentante de la mairie, qui l’écoute, est gênée. Les choses ont désormais changé, assure-t-elle. José Aureliano poursuit son histoire. En 1995, la communauté se cotise pour acquérir le terrain. Mais la vente est illégale car, selon la loi brésilienne, une zone urbanisée doit remplir certains critères pour être vendue : distribution d’eau et d’électricité, canalisations pour les égouts, espace libre pour construire des infrastructures. À la Cité de la nouvelle espérance, c’était loin d’être le cas. À São Paulo, trois millions de personnes vivent dans un « lotissement irrégulier » comme celui-ci. 17 % du territoire de la commune a ainsi été monnayé illégalement.

Diminution de la criminalité

Arrive 2001 et le changement de majorité. Le quartier de José Aureliano bénéficie du programme lancé par la nouvelle équipe municipale : « Quartier légal » (en portugais legal signifie à la fois « légal » et « cool »). Avant tout aménagement, il faut régulariser les droits de propriété. Un véritable casse-tête pour Evangelina Pinho, en charge de ce dossier à la mairie. « Dans certains cas, un propriétaire a choisi une personne de confiance pour céder son terrain illégalement aux habitants. Puis le propriétaire lance une action en justice, obligeant les habitants à payer une seconde fois. Au moins, dans ce cas, nous ne sommes pas obligés de l’indemniser », explique-t-elle. Lors d’occupations pures et simples (qui concernent un million de personnes à São Paulo), une loi fédérale prévoit d’accorder un titre de propriété aux occupants au bout de cinq ans si une fonction sociale a été reconnue à l’immeuble ou au terrain squatté. Et si, bien sûr, le propriétaire n’a jamais tenté de récupérer son bien. Face à cette avalanche d’actions judiciaires, la mairie a conclu un accord avec l’ordre des avocats brésiliens pour qu’ils plaident gratuitement. Une fois le quartier régularisé, les travaux ont commencé : places, terrains de sport, crèche. « Les relations entre les gens se sont apaisées. La criminalité a diminué. La qualité de la vie a augmenté. C’est devenu un espace de convivialité », reconnaît José Aureliano, encore tout étonné que les promesses faites par Marta Suplicy lors de sa campagne électorale aient été tenues.
« Les bénéfices de ce programme de régularisation sont énormes. Les gens sont contents, cela donne une image positive de leur quartier. » Certains ont pris la peine d’améliorer leur maison, de repeindre la façade. L’ancien séminariste reste cependant dubitatif quand à la construction de l’école qui n’a pas encore commencé. « Huit cents enfants attendent d’être scolarisés », insiste-t-il.

Ce que demande le peuple

La construction de l’école a été votée en conseil participatif. Les habitants y décident où sera investie une partie du budget de la mairie. La création d’un budget participatif n’était pas gagnée d’avance à São Paulo. « Nous allons mettre en œuvre un processus. Mais il ne faut pas perdre de vue que gérer une ville de deux millions d’habitants comme Porto Alegre ou une ville de plus de dix millions, ce n’est pas la même chose », avait averti Marta Suplicy, avant son élection. Les élus du PT ont choisi de procéder par étape. En 2001, le budget participatif s’élève à 680 millions de reais (environ 200 millions d’euros) et la mairie fixe deux priorités : seuls les projets liés à l’éducation et à la santé seront financés. Aux habitants de définir leurs besoins et de choisir ces projets. L’année suivante, les crédits augmentent légèrement : 800 millions de reais. Soit 6 % du budget global de la municipalité (4 milliards d’euros). De nouveaux conseils participatifs sont créés. Les représentants de la mairie n’y disposent plus du droit de vote. Les habitants peuvent désormais y décider de la troisième priorité. Sur trente et un arrondissements (1), vingt optent pour le logement, dix pour des investissements de voiries, un pour des programmes sociaux. « Cette année, la population pourra demander ce qu’elle veut. Le choix des investissements sera totalement libre », promet Felix Sanchez, responsable du budget participatif de la ville.

S’émanciper par la participation

Point faible du processus : la participation. Trente-trois mille personnes se déplacent aux réunions des conseils la première année. Elles étaient 55 000 en 2002. Moins de 1 % de la population de São Paulo. « Porto Alegre, après quinze ans d’expérience, ne dépasse pas 5 % de participation. Il est très difficile d’imaginer que les conseils actuels rassembleront 20 ou 30 % des gens », relativise Felix Sanchez. « La seconde année, nous avons constaté un plus grand intérêt de la classe populaire, mais plus faible dans la classe moyenne. Notre objectif d’ici deux ans est d’atteindre 200 000 participants. » Pour que les habitants se sentent plus à l’aise pour intervenir en réunion, une brochure pédagogique faisant la promotion d’une « culture politique de l’émancipation » a été éditée. D’autre part, la représentation des minorités (" jeunes, noirs, personnes du troisième âge, femmes, communautés indigènes, handicapés et population de rue « ) sera favorisée au sein des conseils qui rééliront leurs délégués cette année. Les premières réunions commenceront en février. Pour l’instant, les investissements concernent en priorité la périphérie, où se trouvent les quartiers les plus pauvres. La zone ouest, la » Californie de São Paulo « , la plus riche, compte plus d’une soixantaine d’hôpitaux et de centres de santé. La zone est, aussi vaste, en compte six fois moins. » Nous sommes prêts à assumer un niveau de participation populaire important « , assure Paulo Teixera, le » secrétaire à l’habitation et au développement urbain « . Bref, le monsieur logement de Marta Suplicy. Son administration, installée dans le plus vieux building de São Paulo (édifié au début du siècle dernier), est sous pression depuis que le logement est devenu une priorité municipale. Prochaines élections obligent, les réalisations doivent être visibles rapidement, comme dans la Cité de la nouvelle espérance qu’il a visitée deux semaines plus tôt. Son équipe est sur tous les fronts : régulariser et aménager les lotissements illégaux et les favelas (qui bénéficient d’un budget encore faible de 110 millions de reais) ; réhabiliter le centre ville, déserté par la classe moyenne à cause de la spéculation immobilière (40 000 immeubles vides) ; moderniser les HLM.  » Aménager une favela, c’est tracer des rues, ouvrir des espaces pour y construire des places, reloger les habitants déplacés par les travaux, assainir, installer les services publics et développer des programmes sociaux. Il faut articuler tous ces aspects « , soupire Paulo Teixera, visiblement épuisé. Parallèlement au budget participatif, un Conseil municipal d’habitation vient d’être créé. Il réunit pouvoirs publics, société civile (ONG, associations, syndicats) et mouvements sociaux (comme le Mouvement des travailleurs sans toits) et aura pour fonction principale de contrôler la réalisation des projets.

 » En France, vous démolissez bien vos HLM ! « 
 » La société civile nous a beaucoup aidés « , reconnaît le secrétaire à l’habitation. Le PT a compris une chose, dont la gauche française ferait bien de s’inspirer : il s’appuie sur les idées et les compétences du mouvement social et associatif brésilien. Wagner Germano en est un exemple. Cet architecte de 41 ans vient d’une ONG, Usina. Dix ans plus tôt, il mettait ses compétences au service des populations pauvres pour réaliser des mutiraõ : des actions collectives entreprises par une communauté pour construire son quartier. D’abord autonomes, les mutiraõ ont été institutionnalisés par l’ancienne maire PT Luiza Erundina. » La population s’organise pour bâtir, les pouvoirs publics financent, les ONG conseillent techniquement « , détaille Wagner. Aujourd’hui, il place son savoir-faire au service de la mairie, au sein de la CAB (sociétés HLM). La première année est consacrée à la restructuration de l’entreprise publique. Il faut tout reprendre à zéro. Et pour cause : » Quand les gens voient des bâtiments pourris, détériorés, moches, ils pensent : c’est la CAB. Voilà l’image actuelle. « C’est le résultat de huit ans de mauvaise gestion et la volonté de » verticaliser « les favelas avec un projet au doux nom de Singapour. » Ils évacuaient certaines favelas, démolissaient tout et construisaient de petits lotissements où les habitants étaient relogés. Ils faisaient cela du côté visible, sur la rue. Derrière les immeubles, la favela continuait. La population relogée n’était pas préparée à ce changement radical. « Pas question, pour lui, de reproduire cela. Cette version des HLM, il n’aime pas. » En France, vous les démolissez bien ! Ici, ils sont isolés, sans infrastructures. La population doit passer beaucoup de temps dans les transports pour se rendre au travail (2). En attendant, 20 % à 30 % des immeubles du centre ville sont vides ou sous-utilisés. « Toute une mentalité administrative à changer. Désormais, l’entreprise consulte les habitants. Ceux-ci doivent également s’ouvrir à ces nouvelles pratiques, en rupture avec la culture de l’assistanat.

Les démons de la corruption
 » La pratique du budget participatif est très positive mais il n’existe pas encore de culture de la participation, déplore José Aureliano, de sa favela rénovée. Ceux qui ne sont pas organisés risquent d’être oubliés. « Acquis principal : le budget participatif met fin au clientélisme, un mal brésilien. Il se souvient encore lorsqu’un député du centre droit était venu le voir : » Si tu ne fais pas de la publicité pour moi dans ta communauté, je ne ferai pas les travaux d’assainissement d’eau « , lui avait-il déclaré. Aujourd’hui, avec le budget participatif, acheter les votes devient plus difficile. Une ombre plane encore : » Marta commence à faire des choses concrètes mais je me pose des questions sur certaines personnes de l’administration. « Pour s’assurer une majorité au conseil municipal, la maire est obligé de partager le pouvoir avec ses anciens ennemis. Elle vient de nommer à la mairie d’arrondissement de Brasilandia un membre de l’ancienne majorité municipale. » Nous avons lutté pendant huit ans pour que ce genre de gens corrompus s’en aillent, et maintenant, ils reviennent… « Le retour de la politique politicienne ruinera-t-il les efforts accomplis pour humaniser São Paulo ?

Participer au budget

La ville est divisée en 270 secteurs. Dans chacun se tient une assemblée d’habitants qui élit un délégué pour vingt participants. Leur mandat dure un an. Ces délégués désignent deux représentants au Conseil participatif de l’arrondissement. Chaque minorité y élit parallèlement un représentant. Participent également au conseil les ONG, les associations et le secrétariat de la mairie. 6 % du budget global de São Paulo
est géré par ces conseils. Les investissements décidés sont censés être réalisés l’année suivante.

Une mairie sous influence
 » Parfois, je pleure « devant l’ampleur des problèmes, confie Jane Casella. Elle est directrice de Polis, une ONG spécialisée dans les politiques de la ville, qui regroupe des sociologues, architectes, professeurs, désireux de » réactiver « , à la fin de la dictature, la société civile sur les questions urbaines. Polis, et d’autres, ont largement influencé les politiques menées à São Paulo : la création des mairies d’arrondissement jusqu’au projet » Faim zéro « pour éradiquer la malnutrition, repris au niveau fédéral par Lula. Cette idée vient d’une expérience que Polis a menée dans dix crèches, au sein d’une banlieue industrielle pauliste. L’ONG a découvert que 40 % des enfants y souffraient de malnutrition ! Le problème est maintenant en voie d’être résolu... À l’égard de Marta Suplicy, Polis adopte un soutien critique. » Le budget participatif demeure faible. En comparaison, à Porto Alegre, il représente 17 % du budget. Ce qui a été décidé l’année dernière n’a pas encore été réalisé. La mobilisation de la population reste limitée. Idéalement, 100 % du budget devrait être participatif ! Les citoyens
commencent à prendre conscience que créer des postes de santé ou des écoles ne signifie pas leur accorder des faveurs. Ce sont des droits, ils paient des impôts pour cela. « 
Du cyber dans les favelas
 » Avant, je ne connaissais rien à l’informatique. « Maintenant, Silas surfe librement sur la Toile. Cet étudiant habite dans les quartiers défavorisés de l’Est. Il vient régulièrement au télécentre de la » Cidade Tiradentes « qui abrite 400 000 personnes, où les favelas entourent les affreux lotissements HLM construits par la précédente majorité. Devant l’ordinateur voisin, un gamin joue à un jeu vidéo. À côté, une jeune fille de 14 ans envoie des mails à une radio locale. Ici, l’accès à Internet est totalement libre et gratuit. Nous sommes dans le premier télécentre construit en mai 2001 par le » gouvernement électronique « mis en place par Marta Suplicy pour combattre » l’exclusion numérique « . Le principe est simple : la population a accès à vingt ordinateurs. Chaque personne peut rester une heure puis doit se réinscrire. Une petite bibliothèque permet de bouquiner en attendant son tour. Des cours d’initiation à l’informatique sont offerts et seront bientôt accompagnés de cours d’alphabétisation. Trois salariés y travaillent. Le tout est contrôlé par un conseil de gestion élu par une assemblée d’habitants. » La connexion à Internet est un moyen d’accès à l’information et à la citoyenneté. Internet ne doit pas être réservé à l’élite « , précise Sergio Amadeu Da Silveira, le responsable du programme.
microsoft n’aura pas les favelas.
À São Paulo, moins de 15 % des gens ont accès à Internet. Les vingt premiers centres ont été créés en périphérie et accueillent 63 000 personnes. On en comptera cent en mars 2003. » Cela permettra d’inscrire 250 000 à 300 000 personnes. Mais pour toucher les trois millions de personnes les plus pauvres, il faudra mille centres « , soupire Sergio Amadeu. Sociologue, il vient du mouvement pour les logiciels libres (comme Linux). Et comme ils coûtent dix fois moins chers que ceux de Microsoft, les télécentres en sont équipés. » Cela a été dur de convaincre Marta Suplicy. La pression des grands groupes industriels a été forte. « Trois millions de consommateurs potentiels leur échappent ainsi. À Cidade Tiradentes, l’installation du télécentre dynamise le quartier. Les commerçants avaient fui la criminalité. Un centre de santé, une boulangerie communautaire ainsi qu’une agence bancaire ont ouvert à côté. » Nous nous sommes dits : si cela fonctionne ici, dans le pire des quartiers, cela fonctionnera partout « , raconte Sergio Amadeu. Le prix à payer : trois policiers stationnent en permanence devant. À ceux qui prétendent qu’il existe d’autres priorités dans un quartier pauvre, il répond : » Donner à manger calme la faim mais ne brise pas le cycle de la pauvreté. "

Publié dans Témoignage Chrétien , n° 3045 du 23 janvier 2003.

(1) Les mairies d’arrondissement ont été créées par le PT suite à une loi de décentralisation municipale. Avant, il n’existait qu’une mairie centrale pour toute la mégapole !
(2) Certains y consacrent six heures aller-retour

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