« La démocratie multiraciale brésilienne est un mythe » (2)

 | Par Joel Zito Araujo

Est-ce un choix délibéré de la part des télévisions ?

Aucun document officiel ne précise ou n’exige cela. Au Brésil, il n’existe pas de lois ou de règles racistes mais une hiérarchie des couleurs dans l’inconscient. Le modèle de beauté préféré des télévisions correspond au stéréotype nordique : des femmes blondes aux yeux clairs. Les blancs de type nordique ne représentent pas plus de 15% de la population. Pourtant, les deux stars des très populaires programmes pour enfants sont blondes ! Et combien de blondes dans les novelas ? La société brésilienne reproduit inconsciemment les préceptes racistes du 19ème siècle.

Qu’en est-il dans la presse ?

En août 2004, mon nouveau film, Filhas do Vento, a obtenu huit oscars au festival de Gramado (l’un des festivals les plus importants du pays, dans l’Etat du Rio Grande do Sul). Pour la première fois, tous les prix ont été donnés à des acteurs noirs. Quels ont été les commentaires des grands journaux ? La qualité du festival a régressé et aucune vraie star n’a émergé... Cela prouve comment cette supériorité blanche est incrustée dans notre inconscient. Le problème est que la société brésilienne refuse d’en débattre. La presse écrite aborde la question sociale sans évoquer celle du racisme. 90% des auteurs de violences à Rio sont des jeunes Noirs. C’est la conséquence d’un passé esclavagiste et d’une absence de reconnaissance. La démocratie brésilienne multiraciale est un mythe. Les discours officiels évoquent le mélange ethnique mais celui-ci n’est pas célébré dans les novelas ou la pub. Seuls les romans de l’écrivain Jorge Amado s’y réfèrent. Et encore, les adaptations télévisées de ses livres laissent une place moindre à cette célébration.

Dans ces conditions, pourquoi des mouvements noirs brésiliens n’ont pas émergé, à l’image des Blacks Panthers aux Etats-Unis ?

Des organisations noires sont apparues dans les années 1920. Un « Front noir » a été créé à Sao Paulo et s’est développé dans tout le pays jusqu’à réunir 80 000 adhérents. Mais la manière dont le Brésil traite la question raciale n’a pas favorisé l’émergence de ces mouvements. Le Brésil n’a jamais été une société d’apartheid officiel comme aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud. L’idéologie du blanchiment est plus ou moins acceptée, toujours inconsciemment. Une expression populaire, par exemple, parle de « se nettoyer l’utérus ». Cela s’applique aux femmes noires qui n’ont de rapports sexuels qu’avec des Blancs dans le but de blanchir sa descendance. Prenez le mariage de Ronaldo et de Daniela Cicarelli (qui est blanche et blonde). Depuis Pelé, tous les grands joueurs de foot métis ont eu des petites amies blondes. Lors de la dernière coupe du monde, les commentateurs brésiliens ont réalisé un classement des joueurs les plus beaux. Beckham est arrivé en première position, les joueurs brésiliens loin derrière.

Instaurer des quotas pour les Noirs - à l’université, à la télévision, dans l’administration... - constitueraient-ils, selon vous, la solution ?

Avec les quotas, ce serait la première fois dans l’histoire du Brésil ou être Noir apporterait un avantage. Mais ce n’est qu’une partie de la solution. La question est : comment combattre la pauvreté au Brésil tout en intégrant la question raciale ? D’autres solutions existent, dans l’éducation par exemple. Le gouvernement Lula propose que l’histoire de l’Afrique soit intégré dans le cursus scolaire. De leur côté, la télévision et la publicité doivent montrer une plus grande proportion d’acteurs noirs. Si cela ne se fait pas spontanément, nous allons devoir nous battre. L’accès à la citoyenneté passe par la confiance en soi. En changeant la manière dont on montre les Noirs dans les novelas ou dans la pub, on changera la vision qu’a cette population d’elle-même. Et on pourra réduire le fossé social.

Les quotas ne risquent-ils pas de renforcer encore plus la communautarisation et la ghettoïsation ?

Je ne crois pas au risque de communautarisation. Les discours des leaders noirs portent sur l’intégration et la reconnaissance. Ils ne refusent pas le métissage à condition que ce métissage n’aie pas pour but le blanchiment. Ils combattent l’idée de la négation du non blanc - Noirs et Indiens - et militent pour un pays qui respecte la diversité. La violence sociale au Brésil a aussi pour cause le refus des forces conservatrices de respecter le droit à la terre des Indiens.

Dans votre nouveau film et première fiction, Filhas do Vento, comment vous y prenez-vous pour créer le débat autour de la question raciale ?

Il ne faut pas forcément parler directement de racisme, il y a bien d’autres manières de l’aborder. Dans Filhas do Vento, 90% des acteurs sont noirs et jouent des rôles qui sortent des stéréotypes des novelas. Dans le film Cidade de Deus (La Cité de Dieu), l’homme noir est vu soit avec une arme à la main, soit en prison. Mon projet cinématographique a pour objectif de changer le paradigme esthétique de la place des Noirs dans la société. Je ne suis donc pas intéressé pour raconter l’histoire des Noirs dans les favelas. Je montre les Noirs comme s’ils étaient n’importe quel Brésilien. On ne sent que subtilement le racisme, car c’est de cette manière, subtile, qu’il s’exerce dans la société brésilienne.

Propos recueillis par Ivan du Roy et Erika Campelo

Rio de Janeiro, le 24 février 2005

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