La crise et le Brésil : les deux réponses de Dilma Rousseff

 | Par Antonio Martins

Outras Palavras - http://www.outraspalavras.net - 12/08/2011

Traduction : Autres Brésils

<img2158|left> Les crises permettent de mieux connaître ceux qui nous gouvernent. La phase brillante du gouvernement Lula a précisément commencé en 2008, lors de la première vague de tempêtes financières. Quand Lula a compris que les idées supposément « sérieuses » et prônant la nécessité de « respecter les marchés » avaient conduit le monde vers l’abîme, il a opté pour des politiques audacieuses. Au lieu de couper les dépenses, comme le demandaient les économistes « prudents », il a augmenté le salaire minimum, intensifié le programme Bourse Famille, et stimulé les secteurs qui commençaient à licencier. Ces décisions ont soutenu l’emploi et la production et ont maintenu le Brésil à flot. Barack Obama, lui, paraît moins fort face aux difficultés. Intensément pressionné par les extrémistes du Parti républicain et du Tea Party, il a admis, il y a environ un an, un agenda de coupes dans les services publics et d’abaissement de l’impôt pour les riches. De concession en concession, on a abouti, au début du mois, à un accord désastreux sur la dette américaine. Le compromis, qui rend l’Etat presque impuissant devant la crise, a miné la confiance portant sur la coordination politique aux USA et a été le déclencheur d’une nouvelle série de tempêtes dont on ne peut prévoir encore tous les dégâts.

Pour toutes ces raisons, il est stimulant d’examiner le discours proféré par la présidente Dilma Roussef le 10 août dernier à São Paulo, discours pratiquement ignoré par la presse. Lors d’un évènement à accès restreint (l’ouverture des Rencontres nationales de l’industrie de la construction), elle s’est explicitement référée à la deuxième vague de la crise, et a indiqué un cap. Elle a ouvertement critiqué les politiques d’attaque des droits sociaux qui ont commencé à être adoptées il y a un an environ, d’abord en Europe, puis aux Etats-Unis. « Certains pays, dit-elle, ont sauvé les banques et abandonné leur population, qui était endettée avec les subprime, sans aucun appui ou moyen de se sauver. »

Elle a assuré que la posture du Brésil sera différente. « Nous n’entrerons pas en récession. (…) Cela ne veut pas dire que nous sommes immunisés. Mais nous ne serons des proies faciles que si nous ne réagissons pas. » Elle a souligné que cette attitude a fait que le Brésil soit « le premier pays à sortir de la crise en 2008 » et a promis de procéder de la même manière : « Nous sommes décidés à préserver nos forces productives, notre emploi et notre revenu (…) Ce que nous faisons est correct moralement et éthiquement mais aussi économiquement. »

Ce sont des mots importants, entre autres parce que la crise financière coïncide avec un moment d’immense affaiblissement de la démocratie représentative. Profondément influencés par la finance, la majorité des parlements, gouvernements et médias sont devenus sourds à la société, ce qui entraîne fréquemment des politiques proches de l’irrationnel. Il est bon de savoir que, dans les mots, le gouvernement brésilien ne suit pas ce chemin.

Cette lucidité de la présidente, mobilisée par les turbulences, l’aidera peut-être à corriger un gravissime problème dans son gouvernement. La politique économique suivie dans les 7 premiers mois représente un retour en arrière en relation à son prédécesseur, et fait penser à la stupidité que Dilma perçoit dans les autres pays.

Bien que sur un mode moins intense, le gouvernement a dérivé, depuis janvier, vers la même direction : favoriser les marchés financiers et laisser tomber les services publics. D’un côté, la Banque centrale a élevé les taux d’intérêts 5 fois de suite. Ils sont passés de 10,75% à 12,5% à l’année. Sur les 58 pays suivis par la revue The Economist, ils se situent parmi les 5 plus élevés. Adoptées sous prétexte de combattre l’inflation, ces hausses sont un bien mauvais remède pour faire face au mal. Par ailleurs, elles provoquent deux effets collatéraux dévastateurs.

Elles transfèrent le revenu (à travers le paiement des intérêts) de l’ensemble de la société vers une minorité qui possède l’argent nécessaire pour le placer dans les marchés financiers. Et elles dévastent l’industrie : la perspective de revenus incomparables attire au Brésil une meute de capitaux spéculatifs du monde entier, ce qui fait que le réal devient plus cher par rapport aux autres monnaies et rend la production nationale non-compétitive.

Conformé à alimenter l’agitation spéculative, le gouvernement restreint les investissements importants. Le volume des ressources retiré des autres secteurs du Budget de l’Union pour le paiement des intérêts (le mal-nommé « excédent fiscal primaire ») bat des records. Pour les 6 premiers mois, il s’élève déjà à 78 milliards de réaux. Cela fait 4 fois la valeur destinée annuellement au programme « Brésil sans misère », et plus de 2,5 fois le budget global du TGV Rio-São Paulo (33 milliards).

Pour arriver à cette somme, on a adopté en début d’année un blocage (« contingencement ») des ressources du Budget qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Cela paralyse les initiatives publiques qui ont un énorme impact sur la garantie des conditions de vie, la création d’emplois et le maintien de la capacité de consommation. Mais cela liquide également des projets à long terme. Ce blocage est ainsi responsable, entre autres effets, de la coupure drastique des ressources du Ministère de la Culture et de la profonde léthargie du Plan national de Haut-Débit – une initiative que la société civile voit comme stratégique et que la présidente prétendait présenter comme un des héritages de son gouvernement.

Les allégations présentées pour ce « contingencement » sont fragiles. On parle d’« austérité » et d’« efficacité ». Ce sont, en principe, des valeurs très positives. Mais on pratique une coupure brutale des ressources sans définir de critère quant aux dépenses qui doivent être éliminées (l’Etat continue à acheter des logiciels qui auraient pu être obtenus gratuitement et à importer des médicaments de laboratoires transnationaux au lieu de produire des génériques, par exemple). En même temps, on ouvre les coffres du Trésor pour des dépenses les plus excessives et contreproductives : le paiement, à peu de personnes, des intérêts qui corrompent le parc productif et l’offre de services du Brésil.

Politiquement, on ne peut trouver qu’une seule explication pour les politiques plus conservatrices adoptées au long des 7 premiers mois du gouvernement Dilma. Un gouvernant, comme tout être humain, possède des vertus et des défauts divers. Sans le charisme, l’expérience politique et l’histoire de son prédécesseur dans les luttes sociales, la présidente ne s’est pas sentie assez sûre d’elle pour faire face aux deux menaces simultanées qui pesaient sur son début de mandat. Elle avait peur que la hausse de l’inflation ne détruise sa popularité, en rongeant le pouvoir d’achat de la nouvelle classe moyenne. Et elle ne se sentait pas assez sûre pour combattre la hausse des prix et affronter, en même temps, les marchés financiers et les médias – toujours alliés. Elle a préféré le confort peu créatif des équipes de football qui jouent le match nul.

La présidente qui a parlé le 10 août dernier était d’une tout autre nature. L’audace semblait lui avoir restitué confiance et humour. On ne sait pas encore si le changement est durable. Aujourd’hui même, il y a dans les médias des spéculations qui vont dans le sens contraire. Comme les intérêts impliqués dans la politique économique sont milliardaires, il y a forcément des tensions. Mais on ne peut nier que le discours de São Paulo pointe vers la possibilité d’une ouverture – qui dépendra de l’action des mouvements sociaux – d’une nouvelle phase du gouvernement.

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