L’emprisonnement de membres du Mouvement des sans-terre est étroitement lié au putschisme

Source : MST - 14 juin 2016

Par Solange Engelmann
Traduction par Caroline Sordia
Relecture par Piera Simon-Chaix

Pour l’ex-ministre et ex-gouverneur de l’État du Rio Grande do Sul, la nouvelle offensive contre la démocratie s’apparente à un coup d’État contre la souveraineté populaire, avec un oligopole médiatique qui se retrouve au centre de l’organisation des partis traditionnels.

Source : photo Camila Domingues/Palácio Piratini

Dans un entretien accordé à « Página do MST » [1], l’ancien ministre de la Justice, de l’Éducation et des Relations institutionnelles du gouvernement de Dilma Roussef et ex-gouverneur de l’État du Rio Grande do Sul, Tarso Genro (Parti des travailleurs, PT), affirme que l’« espionnage » des mouvements d’opposition a toujours été employé par le pouvoir politique dominant, mais qu’en démocratie, en outrepassant les limites du cadre légal, il représente une dérive vers un régime d’« exception » et d’autoritarisme, en devenant un instrument de gouvernance.

Pour Tarso Genro, les conséquences pour la démocratie et les droits sociaux du coup d’État institutionnel [2] qui a eu lieu au Brésil dépendent de la capacité de la gauche à créer de nouvelles formes populaires et démocratiques d’organisation politique, qui doivent aller au-delà des limites du PT. Et qui doivent aussi, en s’alliant aux mouvements sociaux, promouvoir une réforme politique, faire pression pour la démocratisation des médias et pour des avancées en matière économique.

Il affirme également qu’en ce moment, il est fondamental de croire en la démocratie, pas seulement pour des raisons tactiques, mais aussi d’un point de vue stratégique, pour se projeter dans la construction d’un socialisme démocratique, supérieur aux régimes jusqu’ici en vigueur.

La revue « Página do MST » lance une série spéciale sur la criminalisation des mouvements sociaux dans le contexte du coup d’État brésilien. Cette semaine, lisez ci-dessous l’entretien accordé par Tarso Genro.

Quel est le contexte géopolitique du putschisme en Amérique latine ? Et quel rôle jouent les États-Unis dans le coup d’État brésilien ?

Genro – À la base du mouvement putschiste se trouve la question de l’« ajustement » et du coût de la crise financière mondiale, qui après s’être diffusée dans le monde entier, fait à présent sentir ses coûteux effets. Les pays qui se trouvent au cœur organique du système financier global s’inquiètent de voir potentiellement les pays d’Amérique latine passer d’une position de dépendance servile à une coopération interdépendante diversifiée sur la scène mondiale. Ceci est l’élément politique décisif pour le retour du putschisme actuellement à l’œuvre en Amérique latine. La Nouvelle banque de développement des BRICS [banque fondée par le groupe constitué du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud], le Mercosur et l’émergence de gouvernements progressistes en Amérique latine constituent une alerte pour le système financier mondial et ses représentants, en leur indiquant que les formes démocratiques traditionnelles ont commencé à servir aux pays d’Amérique latine – avec un certain leadership du Brésil – à s’opposer à la domination asservissant les États. D’où une nouvelle offensive contre la démocratie, avec, cette fois, l’oligopole médiatique qui se retrouve au centre de l’organisation des partis traditionnels. Le résultat, c’est un coup d’État contre la souveraineté populaire.

Un processus de répression et de criminalisation des mouvements populaires est actuellement en cours, et s’accentue avec le coup d’État. Quelles en sont les conséquences pour les droits que nous avons conquis et pour la démocratie ?

Genro – Le mode de fonctionnement de l’État de droit – plus ou moins démocratique – est contradictoire et répond à une corrélation de forces, et à la manière dont l’hégémonie de forces politiques réactionnaires ou conservatrices s’installe dans l’appareil étatique. La criminalisation des mouvements populaires n’est pas étrangère à l’État de droit et actuellement, elle va de pair avec la militarisation de la répression par les forces publiques de chaque État. Mais l’appareil bureaucratique de l’État n’est ni uniforme, ni insensible à ce qui se passe dans la société, dans la culture, dans les débats idéologiques. Voyez par exemple l’opération « Lava-jato  [3]. Ses procédures judiciaires commencent à présent à dépasser la seule annihilation du Parti des travailleurs et à atteindre des élites réactionnaires et néolibérales. Cela aussi, c’est une conséquence de la démocratie et de l’État de droit, qui ne doit pas être sous-estimée. Les conséquences de ce processus pour la démocratie et pour les droits sociaux dépendront de la capacité de la gauche à créer une nouvelle force politique, pour dépasser les limites du PT. Après avoir récupéré une légitimité au Parlement et à la présidence de la République, par le biais d’élections générales, ces institutions, alliées aux mouvements sociaux, peuvent faire barrage à l’autoritarisme, promouvoir une réforme politique et faire pression pour des avancées économiques.

Quel problème l’espionnage des mouvements sociaux pose-t-il à la démocratie ?

Genro – L’« espionnage » des mouvements d’opposition au pouvoir politique dominant est une constante dans tout type d’État et de régime. Mais en démocratie, en outrepassant les limites du cadre légal, il peut ouvrir la voie à un régime d’« exception » et d’autoritarisme, car il cesse d’être l’instrument de l’État de droit, dédié à son maintien et à sa valorisation, pour devenir un instrument de gouvernance bureaucratique et autoritaire.

Deux militants du MST de l’État de Goiás sont injustement détenus. Ils sont victimes d’un emprisonnement politique, qui catégorise le Mouvement comme organisation criminelle, en se fondant sur la loi nº 12.850/2013. C’est la première fois que cela arrive à un mouvement social au Brésil. Quelle relation voyez-vous entre cela et le coup d’État ?

Genro – Cela a une étroite relation avec le putschisme « institutionnel » à l’œuvre. Ce sont ici des contradictions typiques de l’État de droit qui, en temps de crise, répond aux intérêts des élites économiques qui contrôlent ses mécanismes de pouvoir. Durant tout ce processus, le MST a défendu et continue à défendre le respect de la souveraineté populaire, là où la Fédération de l’industrie de l’État de São Paulo (Fiesp), par exemple, milite pour sa rupture et son annihilation. Qui est, dès lors, l’organisation criminelle ? Par conséquent, dans pareil moment, ne pas renoncer à la démocratie n’est pas seulement une question de « tactique », mais aussi un fondement stratégique pour se projeter dans un socialisme démocratique, avec une forme d’État supérieure à celles qui ont été expérimentées jusqu’à présent.

Après le coup d’État, comment réagir à un État de surveillance qui a pour allié l’oligopole des grands médias ?

Genro – L’oligopole médiatique est aujourd’hui le parti moderne, le « prince » au sens de Gramsci, le dirigeant des fractions les plus conservatrices et réactionnaires des classes dominantes. Nous devons répondre aux nouvelles formes d’organisation politique de la droite avec de nouvelles formes populaires et démocratiques d’organisation : des fronts politiques, des réseaux d’information, de débats, de communication, qui ne soient pas contrôlés par le capital. Et démocratiser les moyens de communication dans notre pays, en renforçant la communication publique et en s’assurant que les concessions publiques respectent les finalités prévues par la Constitution.

 

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