L’allocution de la présidente Dilma Roussef suscite la haine des élites contre le Parti des Travailleurs et les pauvres

 | Par João de Oliveira

L’allocution de Dilma Rousseff le 8 mars dernier a montré, une fois de plus, la haine des élites envers la présidente brésilienne. Pendant qu’elle s’exprimait à la télévision, une partie de l’élite de certaines capitales du Brésil frappait dans les casseroles, faisait cligner la lumière de ses appartements, criait « Dehors Dilma » en la traitant de « vache » en pleine Journée internationale de la femme. Outre le manque d’élégance, le sexisme n’était pas très loin.

J’admire le passé de la militante Dilma Rousseff, mais je n’aime pas la façon dont elle dirige le pays ! Je n’ai pas voté pour elle, mais pour le projet de gouvernement du parti auquel elle appartient. J’aime encore moins ses ministres de l’économie. Mais comment ne pas reconnaître dans ses nominations une tentative, un effort élégant de dialoguer avec les perdants de la dernière élection, d’unifier le pays ? En choisissant des ministres libéraux, la présidente a probablement souhaité envoyer un message à ceux qui, lors des dernières élections, avaient exprimé démocratiquement par le vote leur mécontentement, qu’elle ne les avait pas oubliés.

Mais comme le pragmatisme politique flirte parfois avec l’irrationnel, l’opposition brésilienne, tout comme l’opposition française a refusé de reconnaître et d’approuver le libéralisme de la Loi Macron, ne reconnaît pas les efforts de l’ouverture libérale de la présidente. Malgré le fait que les propres membres du PT l’accusent d’avoir commis, avec sa politique libérale, un "stellionat électoral", l’opposition refuse d’approuver une politique qui serait la leur si leur candidat avait été élu. Il y a, dans cette schizophrénie politique, un risque d’instabilité politique, puisque la présidente est critiquée autant à droite qu’à gauche.

Les gouvernements du PT ont-ils commis des fautes ? Nombreuses. Mais comment ne pas reconnaître les milliers de mérites ? Comment ne pas reconnaître que, pour la première fois dans l’histoire du Brésil, la Police Fédérale (PF) enquête et arrête les coupables, tandis que la Justice les juge, en toute liberté et autonomie ? Que le bureau du procureur général accuse des membres importants de l’élite politique et économique ? Que la justice et la PF sont tellement indépendantes (et politiques) qu’elles peuvent se permettre d’enquêter sur la corruption de la Petrobras seulement pendant les gouvernements du PT (comme si elle n’existait pas avant) ? Ce qui n’était jamais arrivé au Brésil. Sans parler des milliers de pauvres qui peuvent désormais accéder aux universités publiques et aux millions de personnes qui aujourd’hui peuvent faire trois repas par jour.

Récemment, l’homme d’affaires libéral Ricardo Semler a signé une tribune dans le journal Folha de São Paulo dans laquelle il défend les enquêtes au sein de Petrobras tout en déclarant que jamais on n’a volé si peu dans l’histoire de cette entreprise. Il y affirme qu’avant, les taux des pots de vin étaient infiniment supérieurs, ce qui a conduit son entreprise à cesser de travailler avec Petrobras. D’après lui, qui accuse les riches de ne pas payer leurs impôts, « c’est devenu à la mode de fuir pour aller vivre à Miami, alors que ce sont précisément les exilés de Miami qui achètent là-bas avec l’argent qu’ils auraient dû payer au fisc brésilien. C’est quoi cette farce ? [Se demande-t-il ?] Je vois des gens vociférer contre le peuple du Nordeste parce qu’il aurait assuré la victoire de la présidente Dilma Rousseff. Assurer un revenu pour ceux qui ont toujours été marginalisés du développement du pays devrait être une fierté pour tout brésilien, peu importe son affiliation politique ». Il poursuit en observant que, n’étant pas affilié au Parti des travailleurs (PT), mais au Parti social-démocrate brésilien (PSDB),il était satisfait de voir que « cette vague d’arrestation de cadres des grandes entreprises est une étape historique pour ce pays. » Pour lui, il serait « naïf celui qui pense que cela aurait pu arriver avec n’importe quel autre président. Avec une corruption encore plus significative, jamais la police fédérale n’aurait eu autant d’autonomie pour arrêter les hommes corrompus dont les tentacules conduisaient au gouvernement lui-même." C’est aussi simple que cela !

Le plus incompréhensible est de constater que la haine des élites au PT se traduit moins par une opposition intelligente et pragmatique à la politique économique du gouvernement actuel, qui effectivement ne traverse pas un bon moment, que par une aversion à sa politique de réduction des inégalités. Comme l’a si bien analysé l’économiste Bresser Pereira, l’un des fondateurs du PSDB, un ancien ministre dans les gouvernements de José Sarney et Fernando Henrique Cardoso, libéral convaincu, cette haine des classes moyennes au PT et des pauvres est devenue plus prononcée lors de la dernière élection, lorsque le candidat de l’opposition a failli remporter les élections, disons-le, davantage grâce à la tentative de manipulation des médias que par ses propres mérites. Selon l’ancien ministre, "cette haine est due au fait d’avoir, pour la première fois, un gouvernement de centre-gauche et qui a su préserver son esprit de gauche. Il a fait des compromis, mais ne s’est pas rendu. Il continue à défendre les pauvres contre les riches. Cette haine découle du fait que le gouvernement a montré une nette préférence pour les travailleurs et les pauvres ".

C’est comme si l’élite brésilienne ne pouvait pas supporter de répartir les sièges des restaurants, des avions, des universités publiques et des centres commerciaux avec les pauvres, en raison de l’accès récent de ces derniers au marché de la consommation. Un phénomène social auquel l’élite n’est pas encore habituée et qui peut être attribué aux trois gouvernements du PT. Malheureusement, héritage probable de la longue période d’esclavage, les pauvres au Brésil sont toujours considérés inférieurs (socialement et intellectuellement), rustiques et manquants de goût.

Cette haine sociale des élites n’est pas un phénomène nouveau au Brésil. Pendant des années, les pauvres, réduits en esclavage, ne pouvaient pas se présenter aux élections (sous l’Empire, les candidats devaient avoir un revenu minimum qui était assez élevé), n’ont pas pu voter (le vote censitaire contraignait l’électeur à prouver un revenu annuel minimum tiré d’emplois dans le commerce, l’industrie ou la propriété foncière, et les analphabètes, qui ont constitué la majorité des pauvres et des plus démunis jusque dans les années 70, n’ont pas pu voter jusqu’en 1988), ont toujours été exploités avec des salaires de misère distribués par des gouvernements qui ont gouverné seulement pour les élites (à quelques exceptions près pendant les gouvernements de Getúlio Vargas et de João Goulart).

À chaque fois qu’on a tenté de faire quelque chose pour réduire les inégalités sociales flagrantes et honteuses, il y a eu un coup d’État, une émeute, une révolte. Les esclaves furent libérés sans compensation économique (pour les planteurs bien sûr, car concernant les esclaves cela n’avait jamais été envisagé) ? L’élite a proclamé la République ! On a voulu mettre fin à l’hégémonie des oligarchies et un terme à l’Ancienne République ? L’élite de São Paulo a fait la révolution constitutionnaliste (au nom du retour à la constitutionnalité, qui avait du mal à dissimuler le mécontentement dû à la perte des privilèges et le désir de retour à l’ordre ancien). On a essayé de faire une révolution communiste ? L’élite a organisé et soutenu la dictature de l’État Nouveau ! On a voulu améliorer le sort du travailleur ? L’opposition libérale a conduit Vargas au suicide et, dix ans après, a pris le pouvoir par la force. Comment pourrait-il en être autrement maintenant que les pauvres sont aidés par le gouvernement actuel et si la politique au Brésil a toujours été le théâtre d’une lutte de classes à peine déguisée ?

Je trouve légitime et démocratiquement salutaire la manifestation d’une partie de la population contre l’actuelle présidente, à condition qu’elle n’essaie pas de renverser un gouvernement élu démocratiquement en transformant un simple mécontentement en un coup d’État. Si, au long des siècles, les plus démunis avaient essayé de renverser tous les gouvernements qui les exploitaient en leur refusant l’accès à leurs droits les plus basiques, on n’aurait eu aucune période de stabilité jusqu’à 2002 et la victoire de l’ex-président Lula.

Il est nécessaire que les élites aient un minimum de retenue, de sens du ridicule et de respect envers la démocratie, qui traverse sa plus longue période de stabilité. Quand l’histoire se répète, comme l’avait observé Marx, elle se répète la première fois en tant que tragédie et la seconde fois en tant que farce. L’idée d’un troisième tour est une farce réactionnaire et antidémocratique !

Je lis des articles écrits par des personnes sensées et par des intellectuels appelant à la destitution de la présidente et au retour des militaires. Je me demande, effrayé, incrédule, comme cela est-il possible ? Et le sentiment démocratique ? Aurait-on oublié l’horreur des 21 ans de dictature ? Il n’y a, à ce jour, aucune preuve de l’implication de la présidente Dilma Rousseff dans les scandales de corruption de la Petrobras. Alors pourquoi demander sa destitution (impeachment) ? Je m’efforce d’essayer de comprendre, en dehors de l’esprit revanchard, d’opposition aveugle, idéologique et systématique, que je considère comme une manifestation d’irrationalisme, mais j’avoue que je n’y parviens pas.

En paraphrasant le regretté sociologue Betinho, dans une phrase qui résume assez bien la pensée d’une partie des élites économiques du pays qu’il a passé toute sa vie à essayer de changer, je dirais que parfois je sens un mélange d’amour et de haine envers le Brésil. Amour, parce que je sais qu’il y a dans ce pays une population énorme, avec une immense générosité, avec une immense capacité d’entreprendre, de changer. Mais je sens de la haine aussi, parce que ses élites dirigeantes et économiques peuvent faire les choses les plus barbares, les plus atroces que l’on puisse imaginer.

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