L’abolition de l’esclavage : l’unique révolution sociale brésilienne

 | Par Mário Maestri

Le Brésil a été l’une des premières nations américaines à instaurer l’esclavage et la dernière à l’abolir, esclavage qui a dominé 350 de nos 507 années d’histoire. Bien que l’abolition de l’esclavage constitue le fait le plus significatif de notre passé, son anniversaire, qui a lieu le 13 mai, a été, une fois de plus cette année, quasi oublié.

Par Mário Maestri

L’Abolition [en 1888] a constitué dans le passé une date importante, commémorée et fêtée. Mais ces dernières années, elle a fait l’objet de critiques radicales et d’une véritable conspiration du silence de la part des grands médias. Paradoxalement, ces initiatives reçoivent l’appui du mouvement noir brésilien qui, au contraire, devrait s’activer pour célébrer ce jour et discuter de la signification historique réelle de cet événement.

Le caractère cordial, arrangeant et pacifique du brésilien a toujours été un grand mythe national. L’abolition de l’esclavage a donc été présentée comme la preuve de cette prétendue réalité. A l’étranger, la fin de cette institution aurait causé des luttes fratricides. La guerre de Sécession a causé cinq cent mille morts aux Etats-Unis et en Haïti, en 1804, la destruction de l’ordre négrier a provoqué la guerre sociale la plus violente du Nouveau Monde.

Au Brésil, l’on prétend que la transition se serait faite sans violences en raison d’institutions sensibles au progrès, de leaders éclairés et d’une âme populaire humaniste. Dans ce scénario idyllique de concorde brillerait également la figure d’Isabelle la Rédemptrice [la fille de Pedro II, dernier empereur du Brésil, né à Rio de Janeiro en 1825 et mort à Paris en 1891]. Ayant pris en pitié la souffrance des noirs et étant peu préoccupée du sort du trône, celle-ci aurait signé d’une plume d’or le document qui a mis fin à la captivité puis au trône impérial un peu plus tard.

C’est donc le 13 mai 1888 qu’aurait commencé la construction d’une société fraternelle et exempte de barrières infranchissables, et les inégalités subsistant encore seraient dues à des déficiences accidentelles d’une civilisation brésilienne enracinée pourtant dans une concorde structurelle entre riches et pauvres, blancs et noirs. Du moins, c’est ce que l’on disait.

Bien que considérés comme des événements patriotiques d’importance inégale, l’Indépendance, la République [1889] et l’Abolition auraient eu comme dénominateur commun le caractère pacifique de la civilisation nationale. On présentait également l’essence patriarcale de l’ordre esclavagiste comme étant le corollaire de la nature magnanime du brésilien, capable de briser les affrontements de race, de croyance et de classe.

Seuls ceux qui ne voulaient pas voir n’ont pas vu

Mais avec la fin de la dictature militaire en 1985, l’organisation populaire et les associations noires combatives ont commencé à mettre à nu la triste réalité de cette soi-disant démocratie raciale et de cette fraternité à la brésilienne. Les récits élogieux sur l’Abolition, sur l’esclavage et sur le caractère démocratique national se sont alors heurtés à la triste réalité contemporaine.

A la fin des années soixante-dix, sous les yeux même des plus myopes, l’on vivait une situation où le peuple noir constituait l’une des parties les plus souffrantes d’une population de plus en plus exploitée, où la peau sombre rendait plus difficile l’accès travail et facilitait l’accession à la prison, quand ce n’était pas au cimetière...

Dès les années soixante, les descriptions fantaisistes sur le passé du Brésil ont été réfutées par des chercheurs en sciences sociales tels que Florestan Fernandes, Octávio Ianni, Fernando Henrique Cardoso et d’autres, qui ont alors entrepris de faire des analyses plus objectives sur les 19ème et 20ème siècles en particulier. Pourtant, ces auteurs ont généralement nié la signification historique de l’Abolition. Ils ont mis l’accent sur le caractère particulièrement violent de l’esclavage brésilien, mais ont défini son abolition comme étant une « affaire de blancs », où les captifs esclaves eux-mêmes n’auraient pas joué de rôle significatif ni rien gagné de substantiel.

A la fin des années septante, le mouvement noir lui-même a repris sans critique cette thèse, pour mieux dénoncer la situation de la population d’ascendance noire. Pour disqualifier l’Abolition, il a même proposé que celle-ci se fasse sans indemnisation, avançant l’argument que le mouvement abolitionniste ne cherchait, en libérant les esclaves, que de la main-d’œuvre à bon marché et que l’émancipation avait peut-être même péjoré les conditions d’existence des masses noires. Cette thèse avait notamment déjà été défendue par Gilberto Freyre, dans son étude Sobrados e mocambos [Maître et Esclaves, Gallimard, Poche, collection Tel, 1978] datant de 1936.

Et pour mieux critiquer les mythes de l’émancipation du peuple noir en 1888, le mouvement noir est allé jusqu’à proposer la suppression de la date du 13 mai et de la remplacer par celle du 20 novembre, date de la mort en 1695 de Zumbi1, le dernier grand chef des habitants de Palmares. Cette date aurait donc dû devenir la journée nationale de la conscience noire au Brésil.

Malgré des intentions certes louables, ces lectures ont consolidé les interprétations du 13 mai faites par les idéologues des classes propriétaires, qui eux ont toujours cherché à escamoter le fait que l’Abolition a été le résultat de l’effort des esclaves alliés aux secteurs abolitionnistes radicalisés. Ces lectures ont également constitué la pierre maîtresse dans la construction de l’oubli de l’événement historique le plus important de notre histoire, à savoir la révolution abolitionniste de 1887-88.

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