L’AI-5 s’installe déjà en Amazonie (et en périphérie des villes)

 | Par Eliane Brum

Cette chronique d’Eliane Brum nous rappelle l’importance de l’évènement Amazonie au centre du Monde. Elle appelle à la solidarité, à la protection des personnes et de la société civile qui défendent les droits humains.

C’est une prise de consciente urgente ! Immédiate.

Eliane Brum a autorisé la traduction de ce texte, et nous lui sommes très reconnaissantes de sa solidarité et confiance.

Traduction pour Autres Brésils : Philippe ALDON
Relecture : Du DUFFLES

Incendies en Amazonie vus de la station spatiale le 24 août 2019. LUCA PARMITANO - El País

Les actions d’autoritarisme explicite se multiplient dans le pays et accélèrent la dé-protection de la forêt, de ses populations et des environnementalistes.

27 nov. 2019

Le bolsonarisme est habile dans son utilisation de la stratégie de contrôle de l’information et de maintien de la société et de la presse en réaction et reproduction seulement. Quand le ministre de l’Économie, Paulo Guedes, évoque l’AI-5 [1], et avant lui le « zérotrois » Eduardo Bolsonaro (PSL), ils sont juste là à aboyer alors que la meute est, elle, déjà ailleurs en train de mordre. C’est en Amazonie et en périphérie des villes que l’autoritarisme s’est déjà installé. [2] Comment appeler un pays dans lequel la police de l’état de Rio de Janeiro a déjà tué, en octobre 2019, plus de gens qu’au cours de toute autre année durant les deux dernières décennies ? Si l’on devait aligner les 1546 victimes de la police, cela ferait plus de deux kilomètres de cadavres. Cette violence, qui tue des noirs et des pauvres et fait craindre aux enfants, qui sont aussi pauvres et noirs, le bruit des hélicoptères parce que, rien que cette année à Rio, six d’entre eux sont déjà morts, victimes d’une balle "perdue", est liée à la violence qui fait des victimes dans la forêt amazonienne. Les amazoniens et les « périphériques » ne se connaissent pas, mais ils ont le même visage, celui de ceux qui meurent au Brésil : noirs et indigènes. C’est contre ces peuples, contre ces visages, que la violence est en hausse. Les organisations non gouvernementales (ONG), cible de l’offensive du bolsonarisme, sont attaquées parce qu’elles défendent ces peuples, ces visages.

Depuis le début novembre, des signes indiquent que le projet autoritaire s’accélère et s’intensifie. Le mois a commencé avec la mort d’un des gardiens de la forêt, Paulo Paulino Guajajajara. Et il se termine avec la criminalisation de l’une des organisations les plus respectées, les plus primées et les plus appréciées d’Amazonie, Saúde e Alegria, qui opère dans le bassin du Tapajós depuis des décennies. Mardi 26 novembre, l’ONG a vu ses documents et ses ordinateurs saisis par la police civile à Santarém. Le même jour, quatre volontaires de la brigade Alter do Chão, créée pour lutter contre les incendies de forêt en partenariat avec les pompiers, ont été arrêtés, soupçonnés d’avoir mis le feu en septembre dans la région de Santarém à une zone équivalente à 1600 terrains de football. Être emprisonné, même si la prison s’avère abusive, remplit déjà l’objectif de ceux qui veulent démoraliser les agents qui luttent contre la destruction de la forêt. Le mal est déjà fait, surtout dans une population effrayée et mal informée.

Quand, à Washington, Guedes évoque l’AI-5, les autorités et la société réagissent, les réseaux sociaux s’enflamment. Mais il faut savoir que l’AI-5 est déjà là et qu’en première ligne, les plus faibles, quasiment seuls, résistent. Et perdent. Le principal projet du bolsonarisme est l’ouverture à l’exploitation de l’Amazonie. Le combat inégal est mené dans la forêt et dans les villes qui la bordent. Ceux qui vivent et travaillent en Amazonie ont déjà compris qu’ils peuvent être arrêtés sans raison parce que l’État est arbitraire, les preuves forgées de toute pièce. C’est ce que montrent les événements de Santarém. Les ONG sont ciblées parce que, dans un pays précaire comme le Brésil, où le gouvernement a décidé de ne pas respecter la loi et où les institutions sont défaillantes, ce sont les ONG qui font barrière contre la destruction de la forêt et des corps des peuples de la forêt. Les écologistes blancs ont commencé à être arrêtés. Les morts continuent d’avoir le même visage : noir et indigène.

Pendant qu’il tente de modifier la Constitution pour ouvrir les aires protégées de la forêt amazonienne à l’exploitation, le bolsonarisme met en pratique le projet démantelant ces aires, en affaiblissant les organes de contrôle et en renforçant les destructeurs de la forêt. En Amazonie, il suffit d’arrêter de faire le peu qui se faisait et de prévenir les amis qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent car ils ne seront pas tenus responsables de leurs actes. C’est ce que fait le bolsonarisme alors que la Police Militaire de certains états se prépare à devenir une milice prenant ses propres décisions.

Le résultat est à la fois l’explosion de la déforestation, qui a augmenté de 30% entre août 2018 et juillet 2019, et les menaces et/ou assassinats de petits paysans et défenseurs des forêts : indigènes, quilombolas et riverains. Ceux qui vivent en Amazonie perçoivent clairement que l’offensive a empiré depuis novembre. Les ONG figurent parmi les principales cibles à éliminer. Dans plusieurs régions du Pará, ceux qui réclament une "Commission d’Enquête Parlementaire – CEP - des ONG" sont de notoires usurpateurs de terre, exploitants forestiers et leurs représentants. Ils se drapent de l’étendard du Brésil en invoquant le nationalisme, mais ce qu’ils veulent, c’est coller un papier à leur nom - ou celui d’un de leurs prête-noms - sur un morceau de forêt amazonienne volé à l’Union ou aux états.

Au Pará, état en tête de la déforestation au Brésil, cela vaut la peine de se pencher sur une série d’événements qui ont eu lieu en l’espace d’une semaine. Du 17 au 19 novembre, à Altamira [3], les mouvements sociaux de la région du Moyen Xingu ont organisé une rencontre intitulée Amazônia Centro do Mundo [4]. Ce qui s’est produit lors de la séance d’ouverture de la rencontre, à l’Université fédérale du Pará, est une allégorie de ce qui se passe dans la vie quotidienne de la forêt. Un groupe d’usurpateurs de terre et d’éleveurs chauffés depuis quelques jours par un homme se présentant en tant qu’anthropologue et travaillant pour la bande pourrie de l’agrobusiness, s’est délibérément positionné du côté droit du public. "Nous nous asseyons à droite, comme cela nous convient". Dès le début de la séance d’ouverture, le groupe s’est mis à crier à chaque fois qu’un invité prenait la parole, afin de l’en empêcher. C’était une provocation. Si quelqu’un réagissait, le facilitateur manipulerait les faits disant que l’orateur était l’agresseur. Il avait déjà utilisé cette astuce à d’autres occasions dans la région amazonienne. La cible privilégiée de ce groupe était Raoni, le Kayapó, devenu le principal dirigeant autochtone au Brésil, bénéficiant d’une grande reconnaissance à l’étranger, nominé pour le prix Nobel de la paix.

Les guerriers kayapos font une barrière humaine pour protéger Raoni, nominé pour le prix Nobel de la paix, lors d’un événement perturbé par des éleveurs et accapareurs de terre. LILO CLARETO

Les guerriers Kayapó qui accompagnaient Raoni se sont alors disposés en formation rituelle, fort belle comme à l’accoutumée. Dans leurs présentations publiques, les Kayapos sont fiers et impressionnants. Ils ont créé une barrière humaine permettant aux organisateurs de la réunion de prendre la parole. Ainsi donc il devint possible d’entendre les voix des intellectuels de la forêt, des intellectuels de l’académie, des leaders des mouvements sociaux. Pendant la plus grande partie de la matinée, le petit groupe d’éleveurs et d’accapareurs de terres (ils sont à différencier les uns des autres) a essayé de taire les voix des peuples de la forêt et celles des mouvements sociaux. Toujours provoquant, essayant d’étouffer la voix des invités à la séance d’ouverture. Signal faible mais révélateur des limites désormais dépassées, le fait que même l’évêque du Xingu, Dom João Muniz, n’ait pas réussi à parler sans être interrompu par des provocations. Les organisateurs avaient reçu des tentatives d’intimidation au cours des jours précédents, via les réseaux sociaux et par courriel. D’importantes présences internationales, comme celle de la princesse de Belgique Maria Esmeralda, activiste et ambassadrice du WWF, avaient annulé leur participation par peur de la violence.

Submergée par la vague d’information produite par Brasilia, autour des déclarations de Bolsonaro et Lula, une partie du Brésil n’a pas réalisé la grandeur de ce qui s’est passé à Altamira lors de cette rencontre. "Amazônia Centro do Mundo" a réuni des leaders de la forêt, des penseurs et des scientifiques du monde universitaire, des représentants de mouvements sociaux et de jeunes militants climatiques du Brésil et d’Europe, les mouvements Engajamundo, Extinction Rebellion et enfin Fridays For Future, inspiré par Greta Thunberg.

Une partie des participants venait d’un autre voyage du même nom, en Terra do Meio, une semaine plus tôt et dont j’étais l’une des organisatrices. Cette rencontre, au cœur de la forêt, avait réuni le grand chaman Yanomami, Davi Kopenawa, qui assiste aujourd’hui à la désappropriation du territoire de son peuple par les mineurs, et Nadya Tolokonnikova, activiste russe du mouvement Pussy Riot, qui fut emprisonnée durant presque deux ans en Sibérie pour avoir affronté le despote Vladimir Poutine. Ils étaient là pour apprendre à se connaître et créer une alliance pour la forêt. C’était un rassemblement de gens qui ne cherchent pas à voler des terres publiques pour spéculer ou en extraire du minerai. Des gens qui veulent simplement que la forêt reste sur pied, continuant à transpirer et à sauver la planète.

A Altamira, la rencontre avait été organisée par des dizaines de mouvements de la ville et de la forêt. Après la dure répression contre la construction de Belo Monte, les organisations sociales se sont réunies à nouveau pour lutter contre la destruction de l’Amazonie. Cette fois-ci, mieux préparées à identifier les astuces de ceux qui cherchent à les désunir afin de consolider leurs projets de destruction. Belo Monte et son ensemble de violations constituent une formation doctorale complète sur la façon dont les " gestionnaires de crise " agissent pour neutraliser la résistance, manipuler l’information et infiltrer la discorde. Cela reste un processus d’apprentissage continu, car il y a toujours ceux qui mettent plus de temps à apprendre. Et il y a aussi ceux qui n’apprennent jamais.

La réunion a révélé quelque chose qui semblait très difficile, voire impossible, dans le Brésil d’aujourd’hui : l’organisation d’une résistance continue à l’autoritarisme. Non seulement en réaction aux attaques, mais aussi en tant que création d’avenir, en tant que proposition pour une relation différente avec la forêt et avec le mode de vie bien au-delà de la forêt elle-même. Les mouvements sociaux urbains, les petits paysans et les scientifiques étaient aux côtés des peuples autochtones, des riverains et des quilombolas, une alliance difficile à imaginer dans un passé récent en raison de l’histoire même de chacun de ces peuples. L’espace ne pouvait pas être mieux choisi, puisque l’université publique a été l’une des principales cibles du bolsonarisme. L’alliance des savoirs de l’académie et la forêt s’est ainsi également concrétisée dans le choix du lieu.

L’un des moments les plus émouvants s’est produit lorsqu’un agriculteur de la Volta Grande do Xingu, un écosystème asséché et détruit par la centrale électrique de Belo Monte et menacé par l’installation de la compagnie minière canadienne Belo Sun, a demandé, en larmes, pardon aux peuples autochtones pour avoir un jour occupé leurs terres. Alors qu’il finissait de s’exprimer, un Kayapó a posé sa main sur la sienne, immédiatement suivi par plusieurs personnes ajoutant leurs mains. La scène advint une performance artistique non programmée de l’alliance qui était là, en train de se concrétiser.

Le moment le plus tendu de la rencontre a eu lieu avant que les éleveurs et les accapareurs de terres ne se retirent, vaincus dans leur tentative de semer le trouble et de faire taire les différentes voix. C’est aussi là qu’a émergé un leadership que la société brésilienne - celle qui défend la vie, la démocratie et la justice - doit s’organiser pour soutenir. Son nom, pour mémoire et protection : Juma Xipaya.

Juma Xipaya défend les peuples de la forêt et éveille la colère des accapareurs de terre lors de la rencontre "Amazonie centre du monde » le 18 novembre à Altamira. A ses côtés, Mitã Xipaya, jeune leader indigène. LILO CLARETO.

Étudiante en médecine à l’Université fédérale du Pará, à Altamira, Juma appartient à un peuple autrefois considéré comme éteint et qui a dû prouver qu’il avait survécu à la tentative d’extermination. Elle a fait une intervention percutante contre ceux qui tentaient de bloquer le déroulement de l’événement. L’un des tristement célèbres accapareurs de terre présents perdant tout contrôle l’a menacée en posant son doigt sur sa poitrine. A ses côtés, deux missionnaires, compagnes de Dorothy Stang, assassinée en 2005 par un groupe connu sous le nom de "consortium de la mort", priaient. La jeune femme indigène ne s’est pas laissé intimider :

"Je m’appelle Juma Xipaya. Je pense à ce que vous pouvez penser quand souvent vous vous opposez à nos déclarations, à nos luttes. Il semble que nous soyons vos ennemis. Je veux juste vous rappeler qu’à aucun moment nous ne disons que vous êtes nos ennemis ou que nous sommes vos ennemis. Nous défendons la vie, nous défendons la forêt. Et si vous dites que l’Amazonie est du Brésil, pourquoi ne vous battez-vous pas pour défendre l’Amazonie ?
 
Est-ce que toute cette production et ce développement sont pour les Brésiliens ou pour les étrangers ? Alors, qu’elle est cette histoire que vous prêchez, à savoir que l’Amazonie est du Brésil, alors que vous ne connaissez pas l’importance de l’Amazonie pour nous, que vous ne connaissez pas la valeur de l’Amazonie ? Vous n’êtes pas dignes de dire ça. Savez-vous pourquoi ? Vous ne savez pas ce que c’est que de perdre un enfant, vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir des maisons envahies, vous ne savez pas ce que c’est que d’être expulsé de sa terre. Respect, respect, respect. Respect de ma parole.
 
Vous devez nous entendre. Vous envahissez nos terres, vous livrez notre minerai, vous mettez fin à nos vies et vous ne voulez pas entendre notre voix. Respectez ! Respectez l’Amazonie, respectez nos peuples qui meurent tous les jours, dont les femmes sont violées tous les jours, dont les indigènes ont les mains coupées pour défendre leurs terres. Nous défendons le Brésil. Nous défendons l’Amazonie avec nos propres vies depuis des siècles !
 
Le devoir de défendre l’Amazonie ne tient pas seulement à ce que nous, les peuples autochtones, vivons sur nos terres. Le monde a le devoir, il a l’obligation de défendre l’Amazonie, parce que c’est ici qu’il puise toutes nos richesses et qu’il ne nous laisse que maux, maladies, tristesses et conflits.
 
C’est un manque de respect que de venir ici en criant, en interrompant notre parole.... Si vous êtes ici pour dialoguer, alors respectez chacun. N’agressez pas, ne violentez pas, parce que je ne suis pas là pour vous attaquer. Je défends nos droits, le droit d’exister, le droit des peuples autochtones. Nous aussi sommes propriétaires, bien plus que vous encore Le Xingu, l’Amazonie, tous les êtres que vous ne pouvez ni voir ni respecter, vous savez pourquoi ? Parce que vous n’êtes pas reliés à la terre, vous ne savez pas à quoi ressemble le lien avec la Mère nature. Parce que quel est donc ce fils qui se bat pour abattre la forêt et abattre sa mère ?
 
Quels enfants êtes-vous ? Quels Brésiliens êtes-vous ? Cela me fait pitié. Pas pour vous. Je plains les générations futures. Vos enfants et petits-enfants. Vous n’avez pas le droit de mettre fin à notre génération future. L’Amazonie et le Brésil ne sont pas seulement à vous. Ils sont aussi à nous. Vous devez, à tout le moins, respecter et apprendre à vivre ensemble."

Raoni demandera plus tard à tous ceux qui défendent l’Amazonie d’aider à protéger Juma Xipaya. La demande doit être entendue bien au-delà de la forêt. Avec un AI-5 non officiel déjà établi dans la région, la société civile doit s’organiser pour créer un réseau de protection des défenseurs de la forêt et prévenir le processus de criminalisation des ONG qui protègent ces défenseurs [5] - soit en prenant soin de leur bien-être, comme le fait Saúde e Alegria depuis plus de 30 ans, soit en aidant à mettre en œuvre l’économie forestière, celle qui produit des revenus sans déforestation comme le fait l’Institut socio- environnemental dans les réserves de Terra do Meio ou en combattant directement la déforestation, comme le font d’autres organisations. La bataille pour l’avenir se joue en ce moment même.

Malgré les illusions que tout le monde se fait sur la grandeur de son pays, si le Brésil est aujourd’hui important sur la scène mondiale c’est principalement à cause de l’Amazonie. C’est la plus grande forêt tropicale du monde qui confère une importance stratégique au Brésil. C’est parce qu’il abrite 60% d’un biome stratégique pour le contrôle de la surchauffe mondiale que le Brésil est un pays incontournable. Le problème est que le bolsonarisme, ainsi qu’une partie de l’élite économique et une partie de l’armée, continue de croire que la richesse de l’Amazonie réside dans le minerai en sous-sol et dans l’étendue des terres en spéculation. Une partie le croit parce qu’elle est stupide et mal informée, une autre parce qu’elle ne s’intéresse qu’aux profits privés et immédiats, plaçant ses intérêts au-dessus même de l’avenir de ses propres enfants.

La richesse de l’Amazonie réside dans son immense biodiversité et dans la capacité de la forêt à pomper l’eau dans l’atmosphère comme un cœur gigantesque. Sans ces deux richesses articulées, l’espèce humaine, parmi tant d’autres, sera condamnée dans les années et décennies à venir à une existence hostile sur une planète surchauffée. Comme nous le rappelle Antonio Nobre, spécialiste des sciences de la Terre, la forêt entière libère 20 milliards de litres d’eau dans l’atmosphère toutes les 24 heures. C’est ce qu’on appelle les rivières volantes. Dans ce cas, un volume supérieur à celui de l’Amazone à son embouchure dans l’Atlantique est jeté au-dessus de nos têtes tous les jours. Par transpiration, chaque grand arbre de la forêt relâche mille litres d’eau par jour dans l’atmosphère. C’est cette synapse que chacun doit avoir en tête, bien complète.

Chaque fois que quelqu’un prend sa voiture et emprunte la Transamazone, de nuit surtout, mais aussi de jour, il croise des camions chargés de grumes. Dans la région d’Altamira, la plupart d’entre eux ont été arrachés aux terres indigènes de Cachoeira Seca, l’une des plus envahies et déboisées du pays depuis la construction de Belo Monte. C’est ce que les militants de Fridays for Future et Extinction Rebellion ont vu en se rendant à Terra do Meio. Les camions grumiers sont passés devant le minibus des participants en plein jour. Pour la population locale, c’est une scène courante. Pour les militants européens, ce fut un choc.

Les camions de grumes sont courants sur la Transamazone et les routes locales, la plupart d’entre eux venant de la terre indigène de Cachoeira Seca, l’une des plus envahies et déboisées du Brésil. Lilo Clareto - ElPaís

Le calcul qu’il faut faire, c’est que chacune de ces grumes a cessé de restituer un millier de litres d’eau par jour dans l’atmosphère quand c’était un arbre vivant, debout dans la forêt. Avec chaque arbre qui tombe, des milliers d’autres êtres vivants, qui étaient connectés à sa vie et qui produisaient d’autres vies à son alentour, meurent. Sans comprendre l’ampleur du meurtre, il est difficile de comprendre la destruction de la forêt. La planète est organique. Chaque décès génère une chaîne d’événements. Certains sont visibles, la plupart sont invisibles. A la fin de la rencontre à Altamira, un étudiant commentait, visiblement secoué : « "Quand ils parlent de la forêt, les indigènes ont mal, non ? Ils ne parlent pas d’autre chose, une chose qui serait en dehors d’eux-mêmes, mais d’une seule et même chose. Ils sont forêts. Je viens de le comprendre seulement maintenant." »

Les indigènes, les quilombolas et les riverains protègent l’Amazonie avec leur propre corps, en faisant une barrière entre la forêt et ceux qui veulent la détruire. Contrairement à ce qui s’est passé lors de la cérémonie d’ouverture où, après avoir semé la confusion, les éleveurs et les accapareurs de terre se sont retirés parce qu’ils n’avaient pas réussi à faire taire les différentes voix, les leaders de la forêt meurent lors de massacres quotidiens en forêt, où aucune caméra n’est là pour enregistrer ces crimes. De petits paysans sont aussi menacés ou tués comme c’est le cas aujourd’hui à Anapu, en nombre beaucoup plus élevé que l’année du meurtre de Dorothy Stang. La société brésilienne doit décider de quel côté elle est et protéger ceux qui la protègent.

Quelques jours seulement après la réunion Amazonie Centre du Monde du 25 novembre, la sous-commission temporaire du Sénat pour la centrale de Belo Monte s’est rendue à Altamira pour "inspecter" la centrale hydroélectrique et organiser une "réunion technique". Mais la presse n’a pas pu assister à "l’inspection" effectuée dans la matinée. Dans l’après-midi, en réunion ouverte au public, les ONG ont été prises pour cibles. Le sénateur Lucas Barreto (PSD) a explicitement déclaré qu’il recommanderait l’inclusion de l’Instituto Socio-environnemental, l’une des organisations les plus actives dans la région pour la défense de la forêt et de ses peuples, dans le "CEP des ONG". L’anthropologue de la bande pourrie a alors demandé si la CEP était garantie pour l’année prochaine. Et le sénateur a confirmé. Célébrations.

L’offensive visant à éliminer les "obstacles" à la transformation de la forêt de chacun en exploitation pour quelques-uns est conçue et a déjà été lancée. L’ONG n’est peut-être que la première victime. Une partie de la presse a collaboré à cette méthode, en divulguant les emprisonnements sans vérifier le contexte ni mener d’enquête propre. Lorsqu’une personne est arrêtée au Brésil, le stigmate colle à la peau, la condamnation publique précède tout le rituel juridique. Les agents de sécurité et de justice abusent de leur pouvoir pour promouvoir le lynchage. Et c’est exactement l’objectif. Les soupçons qui pèsent sur les gens et les organisations peuvent durer éternellement, comme l’histoire l’a déjà montré.

Il est absolument nécessaire que la société, les autorités et les institutions rejettent les évocations de l’AI-5, comme celle faite par Paulo Guedes. Mais il faut aussi comprendre que l’autoritarisme s’infiltre sans papiers et sans documents avec une rapidité sans précédent en Amazonie et dans les périphéries des villes. C’est la stratégie de ce gouvernement bruyant qui, depuis son arrivée au pouvoir, contrôle l’information et fait de l’agitation publique là où il veut.

Le 25, les personnes touchées par Belo Monte se sont rendues au Centre des congrès d’Altamira. Ces familles vivaient à Bairro Independente I et n’ont pas encore été réinstallées. La plupart d’entre elles sont liées au Mouvement des personnes touchées par les barrages (MAB), qui joue un rôle important dans la région. Avant que les sénateurs n’entrent dans la réunion publique, accompagnés de ruralistes et de la direction de Norte Energia, deux policiers militaires prétendument armés ont traversé la salle pour y faire une inspection.

La scène qui s’est déroulée est incompatible avec la démocratie. Ils se sont plantés armés devant chaque personne et les ont forcées à montrer leurs affiches de protestation. C’est ainsi que l’AI-5 est établi sans document officiel aucun, ni signature ou annonce.

Policier Militaire du Pará inspectant les affiches des personnes touchées par Belo Monte lors d’un événement du Sénat au Centre des congrès d’Altamira, le 25 novembre. EL PAIS.

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Eliane Brum est écrivain, journaliste et documentariste. Autrice des livres de non-fiction Coluna Prestes - o Avesso da Lenda, A Vida Que Ninguém vê, O Olho da Rua, Avesso da Lenda, A Vida Que Ninguém vê, O Olho da Rua, A Menina Quebrada, Meus Desacontecimentos, et des romans Uma Duas. Page web : desacontecimentos.com. E-mail : elianebrum.coluna@gmail.com. Twitter : @brumelianebrum / Facebook : @brumelianebrum.

Voir en ligne : El País Brasil

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