« Je ne parlerai pas ! » (2)

 | Par Marilena Chaui

1. Les deux premières observations m’amènent à une troisième, que je crois la plus importante. Vous savez que, parmi les principes qui régissent la vie démocratique, le droit à l’information est un des plus fondamentaux. En effet, dans la mesure où la démocratie affirme l’égalité politique des citoyens, elle affirme par là même que tous sont également compétents en politique. Or, cette compétence citoyenne dépend de la qualité de l’information dont l’absence nous rend politiquement incompétents. Ainsi, ce droit démocratique est inséparable de la vie républicaine, c’est-à-dire de l’existence d’un espace public des opinions. En termes démocratiques et républicains, la sphère de l’opinion publique institue le champ public des discussions, des débats, de la production et de la réception des informations par les citoyens. Et un droit, comme vous le savez, est toujours universel, en se distinguant de l’intérêt, qui lui est toujours particulier. Alors quel est le problème ?

Dans la société capitaliste, les médias sont des entreprises privées et, par conséquent, appartiennent à un espace privé d’intérêt de marché ; par conséquent, ils ne sont pas propices à la sphère publique d’opinions, en amenant les citoyens, en général, et les intellectuels, en particulier, à une véritable aporie, car ils opèrent comme moyen d’accès à la sphère publique, mais ce moyen est régi par des impératifs privés. En d’autres termes, nous sommes devant un champ public de droits régi par un champ d’intérêts privés. Et ce sont toujours eux qui gagnent.

Malgré tout ce que je viens de vous dire, j’ai fait, comme tout le monde (dans le monde entier d’ailleurs), usage des médias, consciente des limites et des problèmes qui leurs sont inhérents. C’est exactement pour ça, aujourd’hui, que vous vous demandez pourquoi je ne m’en suis pas servie pour débattre de la difficile conjoncture brésilienne. Il y a quatre raisons principales.

La première est d’ordre strictement personnelle. Ceux qui ont suivi mon cours le semestre dernier savent que j’ai eu du mal à l’assurer à cause des graves problèmes de santé de ma mère. A 91 ans, ma mère, le 24 février dernier, a fait une hémorragie cérébrale, elle est restée dans le coma pendant deux mois, et quand elle s’est réveillée, elle était aphasique, hémiplégique, avec des problèmes rhénaux et pulmonaires. Entre février et le début du mois de juin, je suis restée à l’hôpital, lui tenant compagnie 24 heures sur 24. J’ai annulé tous mes engagements nationaux et internationaux, je n’ai pas participé aux activités de l’année du Brésil en France, je n’ai pas assisté aux réunions du Conseil National de l’Education, je n’ai pas participé aux réunions mensuelles du groupe de discussion politique et je n’ai pas fait attention à ce qui se passait dans le pays. Ainsi, pendant la phase initiale de la crise politique, je n’avais pas la moindre possibilité, ni la moindre envie, de me manifester publiquement.

La seconde raison a été, et est, la conscience de la désinformation. En voyant certaines sessions des CPI [Commission parlementaire d’investigation] et bulletins d’information, en écoutant les radios et en lisant les journaux, je me rendais compte du bombardement d’informations contradictoires qui ne permettaient pas de se donner un cadre de références minimales pour émettre un jugement quelconque. Au-delà de ça, petit à petit, il est devenu clair que non seulement les informations étaient contradictoires mais qu’en plus elles étaient présentées comme la surprise du jour : ce qu’on croyait savoir la veille était démenti le lendemain. Mais ce n’est pas tout. On pouvait également observer, surtout dans le cas des journaux et des chaînes de télévision, que les gros titres ne correspondaient pas exactement au contenu de l’information, ce qui faisait qu’on se méfiait des deux choses. La désinformation (comme a dit quelqu’un l’autre jour : « on ne connaît que la moitié de la messe »), ne permettant pas l’analyse et la réflexion, peut amener à des avis légers, à un moment qui au contraire est plutôt grave.

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