« Je ne parlerai pas ! » (1)

 | Par Marilena Chaui

Lettre de la philosophe Marilena Chaui, 63 ans, adressée à ses élèves de l’Université de São Paulo (USP) le 31 août 2005 et publié ensuite par le quotidien A Folha de São Paulo le 21 septembre 2005.

Elle y parle de son comportement face au scandale du "mensalão" [1] et de son "silence". Elle y attaque surtout les médias et les journalistes. Depuis la rédaction de cette lettre, Marilena Chaui a réaffirmé publiquement son soutien au PT en tant que grand responsable de la démocratie au Brésil, et par conséquent, victime de la "haine" de la droite.

Marielena Chaui est affiliée au PT depuis les années 80, dont elle est devenue l’un des principaux et influents théoriciens.

(Note de Autres Brésils)


<img374|left> Chers élèves,

J’ai appris par certains collègues professeurs que beaucoup d’entre vous sont intrigués ou perplexes devant mon supposé « silence ». Je dis supposé parce que, comme je vais vous le montrer, cette image a été fabriquée par les médias et surtout par la presse écrite. En réalité, j’ai participé à de nombreux groupes de discussions politiques à travers le pays, mais j’ai évité les médias pour des raisons que je vais vous expliquer. Cependant, auparavant, je veux faire quelques observations d’ordre général.

1. Vous devez vous rappeler que, pendant le second tour des élections présidentielles, les médias (la presse, la radio et la télévision) assuraient que Lula ne pourrait pas gouverner à cause des radicaux du PT [Parti des TRavailleurs], c’est-à-dire des gens comme Heloisa Helena, Babá et Luciana Genro. Vous ne trouvez pas curieux que, depuis le milieu de l’année 2003 et surtout aujourd’hui, ces personnes ont été transformées par ces mêmes médias en détenteurs de la pensée et de l’éthique, véritables porte-parole d’un PT trahi et qui aurait disparu ? Comme se demandait le poète : « Du monde ou de moi, lequel a changé ? ». Ou bien devrions-nous nous demander : est-ce que la presse est volatile ou est-ce qu’elle a des intérêts très clairs en instrumentalisant ceux qui peuvent lui être utiles selon la direction du vent ?

2. Vous devez vous rappeler que, dès les premiers jours du gouvernement Lula, une partie des médias, selon un préjugé de classe, affirmait que le président de la République, n’ayant pas fait d’études universitaires et ne sachant pas parler plusieurs langues, n’avait pas les compétences pour gouverner ? Lassé de cet argument, qui ne donnait aucun résultat, on s’est mis à ironiser et à critiquer les discours de Lula et ses improvisations. Comme ça ne donnait aucun résultat, on s’est mis à parler du populisme présidentiel, c’est-à-dire, de la forme archaïque du gouvernement. Comme ça non plus ne donnait aucun résultat, on s’est mis à parler d’un pays au bord de la crise, certains allant même jusqu’à dire que nous étions dans une situation semblable à celle de mars 1964 et, par conséquent, à la veille d’un coup d’état ! Comme il n’y a pas eu de coup d’état (il y en a eu un maintenant sous forme d’un coup d’état blanc), on s’est mis à parler de crise au gouvernement (les divergences entre Parocci et Dirceu) et de crise au PT (les divergences entre les courants).

Je crois qu’un des points culminants de cette période a été un article d’un journaliste qui disait que, dans l’arme du policier qui a tué un Brésilien à Londres, il y avait la main de Lula car, en ne créant pas d’emploi il obligeait à l’émigration ! En plus d’être délirante, cette affirmation occultait que : a) ce Brésilien vivait en Angleterre depuis cinq ans (il avait émigré pendant le gouvernement FHC) ; b) les chiffres montrant l’augmentation de l’offre d’emploi au Brésil pendant ces deux dernières années avaient été publiés. Je pourrai poursuivre, mais je crois que ce que j’ai dis est suffisant pour qu’on comprenne qu’on évolue sur un terrain complètement miné.

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Notes :

[1] Le scandale des mensualités est le nom donné à la crise politique qui a traversé le gouvernement brésilien en 2005. En portugais, le nom mensalão (popularisé par le député brésilien Roberto Jefferson dans l’interview qui a fait éclater le scandale), est une variante du mot « mensualité ». Ce mot fait référence à l’accusation de paiement de pots-de-vin à quelques députés en échange de leur vote en faveur des projets de loi du pouvoir exécutif. Voir l’article de Wikipedia pour plus de détails.

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