FSM : il est passé par ici…

 | Par Lucio Flavio Pinto

Lucio Flavio Pinto vit et travaille à Bélem do Para, à l’embouchure de l’immense fleuve Amazone. C’est dans cette ville d’un million et demi d’habitants qu’il publie tous les quinze jours et depuis 20 ans, le « Jornal Pessoal », une publication alternative, devenue un « must have », sans photos ni couleurs, écrite dans la grande tradition du journalisme d’investigation.

Il est le journaliste brésilien le mieux informé des problématiques amazoniennes. Pourtant, il n’a pas participé au Forum Social Mondial Amazonia 2009. Ni comme invité ni comme spectateur ! En couverture du numéro 345, il explique pourquoi il a boycotté l’évènement censé placer Belém au centre d’un « autre monde possible ». Extraits.

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FSM : il est passé par ici…

Quelle rigolade d’avoir choisi Belém pour héberger la neuvième édition du Forum Social Mondial, histoire d’amener toute la solidarité du monde jusqu’en Amazonie ! Car que reste-t-il au final de cette initiative ? La question, à vrai dire, est la seule chose qui nous reste.

Belém est l’une des capitales brésiliennes ayant le plus bas indice d’espaces vert par habitant. Pourtant elle est située à l’entrée de l’Amazonie, territoire d’un tiers des forêts tropicales de la planète. Les surfaces vertes les plus étendues de la ville sont les campus des deux universités fédérales, l’Université Fédérale Rurale d’Amazonie (Ufra) et l’Université Fédérale du Para (UFPA).

Ce sont celles-ci qui ont abrité pendant une semaine, la neuvième édition du Forum. Ces bois sont encerclés par deux des quartiers les plus populaires et les plus dangereux de la ville. Avec 10% des 1,4 millions d’habitants de Belém, les quartiers du Guama et du Terra Firme totalisent à eux seuls, 15% de la criminalité locale.

Le Guama a grandi grâce à l’apport des migrants venus de l’intérieur , expulsés de leur terres natales par l’arrivée des nouveaux colons. Ceux-ci sont venus avec leurs fazendas de bétail, leurs scieries, leurs semis agricoles et leurs mines, causes principales de la plus grande destruction de forêt dans l’histoire de l’humanité (trois fois l’Etat de Sao Paulo en quatre décennies à peine).

Le Terra Firme a enflé autour des misérables pensions installées ici pour recevoir les travailleurs ruraux, les saisonniers recrutés par les « gatos », intermédiaires de main d’œuvre bon marché utilisés pour déboiser des territoires où habitaient hier les « caboclos », aujourd’hui
urbanisés.

Dans le quartier de Terra Firme, des réunions de préparation au Forum ont été organisées et une association a même été montée par les habitants pour donner de la consistance à sa participation. Mais l’histoire a tourné court faute d’appui de l’Ong qui avait stimulé l’initiative. L’inscription de 30 reais a rendu la participation de ces habitants impossible : personne n’a pu la payer.

Le Forum n’a débattu d’aucun des problèmes de la chaotique et immense périphérie de Belém qui possède pourtant la plus grande favela horizontale du pays, le Paar, 140 000 habitants. C’est aussi, en pourcentage de population, la seconde capitale la plus violente du pays : seule Recife dans le Nordeste lui passe devant.

(…)

La rencontre thématique internationale qui s’est tenue à Belém, pour donner justement du relief à la « problématique amazonienne » qui génère tant de polémiques et débats, n’a pas réussi à dépasser le cercle de la ceinture policière qui la séparait des deux redoutables quartiers et dont les limites sont les points noirs de la ville. Il ne restait à ces habitants qu’une solution : se rendre jusqu’à la montagne pour rencontrer ces nouveaux venus un peu bizarres et à aller à leurs drôles de réunions.

Pas vraiment pour participer aux centaines de rencontres programmées, ni même pour essayer de rencontrer ces visiteurs de première catégorie mais pour leur vendre quelque chose et se faire un peu d’argent. Non sans raisons… Belém appartient au groupe de capitales brésiliennes ayant le taux d’économie informelle le plus élevé et le taux de chômage le plus fort.

La plus grande partie de ses habitants vit de petits boulots et d’emploi précaires qui n’ont pas grand chose à voir avec un emploi stable. Un contingent chaque fois plus nombreux a déjà franchi le pas qui va du travail informel à la délinquance, ouverte ou maquillée, sans beaucoup d’espoir de retour.

Les jours précédents l’inauguration officielle du FSM, les habitants ont franchi comme ils pouvaient le mur qui isole les campus, transportant avec eux chaises, tables, vaisselle, couverts et nourriture afin de les offrir à un public frustré de ces services ou en quantité insuffisante.

Puis la surveillance sur les murs s’est intensifiée et dans les quelques points d’accès (l’entrée était libre mais il fallait une accréditation), les intéressés ont commencé à voler, en particulier les 2 000 volontaires qui circulaient dans les campus de l’Université Fédérale du Para et de l’Université Fédérale Rurale d’Amazonie.

Au début, ils ont volé des badges, falsifiés dans la foulée pour franchir les barrages avec leurs plats et leurs friandises. Ensuite ils ont volé les tee-shirts car c’était un des éléments de contrôle (certains de ces T-Shirts ont même été vendus par les volontaires qui n avaient plus d’argent pour prendre le bus).

C’est ainsi que les périphéries de cette grande métropole d’Amazonie, ont tiré profit de l’événement de l’année, événement qui selon les organisateurs, aurait réuni 130 000 personnes, chiffre dont on peut douter, au regard des T-Shirts jamais sortis de leur emballage.

La nécessité de manger a ainsi créé un lien entre les 3 000 personnes qui campaient sur les campus, les milliers d’autres qui circulaient dans la journée et les exclus de la globalisation, eux-mêmes, en chair et en os, rendant presque crédible cet élan de solidarité et d’espoir en un monde meilleur.

(…)


Par Lucio Flavio Pinto - Jornal Pessoal

Traduction, introduction et édition : Kakie Roubaud pour Autres Brésils


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