Du scepticisme au cynisme

 | Par Emir Sader

Le scepticisme paraît un bon refuge en ces temps où l’on décrète la fin des utopies, la fin du socialisme, et même jusqu’à la fin de l’histoire. Il est bien plus simple d’affirmer qu’on ne croit plus en rien, que tout se vaut mais que rien n’en vaut la peine. Le socialisme aurait débouché sur la tyrannie, la politique sur la corruption, les idéaux, sur de purs intérêts. La nature humaine serait par essence mauvaise, égoïste, violente, sujette à la corruption.

Source : Blog do Emir - août 2011

Traduction : Autres Brésils

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Dans ce scénario, il ne nous resterait plus qu’à ne croire en rien, et pour ce faire, il faut tout disqualifier et adhérer au credo du tango Cambalache [1] : aucune option n’est meilleure qu’une autre, tout se vaut. Exercer le scepticisme signifie affirmer qu’aucune alternative n’est possible, aucune n’est crédible. Certaines sont mauvaises, d’autres impossibles. Certains organes, comme on l’a déjà été dit, sont autant de machines à briser des réputations. Parce que si quelqu’un est respectable, si une quelconque alternative démontre qu’elle peut conquérir des appuis et mener à bien le processus d’amélioration effective de la réalité, le scepticisme n’aura plus aucune raison d’être.

En fait, le scepticisme se révèle rapidement comme une forme de cynisme, c’est du pareil au même, une justification de l’inertie, pour que tout continue de la même manière. D’autant plus que le scepticisme - cynisme est au service des puissances dominantes, qui ont coutume d’utiliser ceux que j’appelle les otavinhos [2] en leur donnant à la fois un espace et un emploi.

Leur discours annonce que le monde empire et s’approche chaque jour davantage de la catastrophe écologique, que tout s’écroule, et bien d’autres cataclysmes encore - invitant à cette vision pessimiste, au scepticisme qui le dispute à l’inertie, et qui permet que les puissances dominantes continuent à dominer, les exploiteurs à exploiter, les illusionnistes - comme eux-mêmes - à nous bercer d’illusions.

Mais quoi qu’ils disent de l’aggravation de la situation et des horreurs du siècle dernier - comme si le 19ème avait été meilleur, quelle que soit leur rengaine (rien n’en vaut la peine), ils ne peuvent analyser concrètement le réel. Sans s’éloigner beaucoup, il suffit de prendre l’exemple de l’Amérique latine - thème sur lequel l’ignorance de ces personnes est particulièrement patente. Impossible ne pas considérer que le 20ème siècle a été le plus important de son histoire, le premier où la région est devenue actrice de sa propre histoire. D’économies fondées sur les exportations agricoles, le continent est passé à des économies industrialisées dans divers pays, faisant progresser au passage l’urbanisation, la construction de systèmes publics pour l’éducation et la santé, le développement du mouvement ouvrier et les droits des travailleurs.

Mais il suffirait de nous concentrer sur la période récente, dans le monde actuel, pour nous rendre compte que les sociétés latino-américaines - le continent le plus inégal du monde, ou la plupart d’entre elles avancèrent beaucoup dans la lutte pour l’éradication des inégalités et de la misère. D’autant plus si on les compare à des pays situés au coeur du capitalisme, référence centrale pour les sceptiques-cyniques qui s’agitent comme des fantoches autour de politiques que l’Amérique latine a déjà dépassées.

Les populations du Venezuela, de la Bolivie, de l’Equateur, vivent bien mieux qu’avant les gouvernements d’Hugo Chaves, d’Evo Morales et de Rafael Correa. L’Argentine des Kirchner va beaucoup mieux que celle de Menem. Le Brésil de Lula et de Dilma va beaucoup mieux que celui de FHC [3].

Mais le sceptique-cynique méconnaît la réalité concrète et ne connaît pas l’histoire. Il est pure démagogie, état d‘âme, qui couvre les puissants, le camp qu’ils ont choisi en optant pour laisser le monde tel qu‘il est. Il essaie de faire passer ses angoisses avant les problèmes du monde, mais ce n’est qu’un leurre pour mieux faire passer son engagement en faveur du statu quo, pour que le monde continue à l’identique.
Pour la simple et bonne raison que la vie leur est douce, à eux qui mangent dans la main des riches et des puissants.

Être optimiste n’est pas minimiser les graves problèmes de toute sorte que vit le monde, non parce que la nature humaine serait mauvaise par essence, mais parce que nous vivons dans un système centré sur le profit et pas sur les besoins humains - le capitalisme, dans son ère néolibérale. Ni méconnaître les racines historiques des problèmes, ne pas comprendre qu’un système est construit historiquement et qu’il peut donc être déconstruit, avec un début, un milieu et une fin possible. Que l’histoire humaine est toujours un processus ouvert d’alternatives et que triomphent celles qui parviennent à surmonter ce scepticisme - cynisme par l’action consciente, organisée, solidaire des hommes et des femmes en chair et en os.


NOTES :

[1] « Cambalache » signifie en espagnol « brocante, troc ». Lire les paroles de ce tango.

[2] « Personnages typiques du néolibéralisme » selon Emir SADER, voir post sur son blog le 13 juillet 2011

[3] FHC : Fernando Henrique Cardoso, Président de la République fédérale du Brésil (1995-2003)


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