Dilma : quelle continuité ?

 | Par Jean Tible

<img2159|left> Que dire des huit mois de gouvernement de la première présidente du Brésil ?

Lors des élections d’octobre 2010, le PT (Parti des travailleurs) et sa candidate, Dilma Rousseff, ont défendu la continuité et l’approfondissement des changements initiés par les deux mandats de Lula. Des années qui ont vu la mise en place de politiques sociales innovatrices, de crédits publics et d’investissements et ont impulsé en conséquence un dynamisme économique et social, rural et urbain, bénéficiant aux petits agriculteurs et à l’agrobusiness, aux favelados et aux grands groupes. Et, aussi, une politique étrangère « active et hautaine », consolidant une nouvelle insertion du Brésil dans le monde, devenu incontournable à propos de (presque) tous les dossiers mondiaux.

Une indéniable ouverture aux mouvements et une bien meilleure auto-estime de « ceux d’en bas » comptent aussi parmi ces résultats positifs. Cependant subsistent plusieurs nœuds : comment concilier développement et environnement, poursuivre la réduction des inégalités (en touchant aux bénéficiaires de la dette publique et à la concentration foncière, par exemple), mener la réforme financière et celle du secteur des communications, améliorer radicalement les systèmes publics de santé et d’éducation, garantir le soutien au Congrès sans ouvrir les portes à la corruption (réforme politique et autres).


Quels débuts pour le gouvernement Dilma ?

Tout d’abord, après huit années de succès – internes et externes –, un changement à la tête de l’État est positif. Et, pour la première fois, le Brésil vit une situation unique avec un ancien président (très) populaire et actif : il représente Dilma lors d’une réunion de l’Union africaine, organise des réunions avec les centrales syndicales, mobilise des soutiens pour la réforme politique, conçoit le rôle que son futur Institut pourra jouer dans les politiques de solidarité avec l’Amérique Latine et l’Afrique, donne des conférences aux entreprises...

Il y a une continuité du « gouvernement de coalition », avec plus de dix partis représentés au Congrès qui soutiennent et participent au gouvernement. Parmi les changements positifs sont à souligner la reprise par la gauche (PT) des ministères de la santé, communication et défense, ainsi qu’une présence accrue des femmes (près d’un tiers et à des postes-clés).

Lors de cette période initiale, Dilma a lancé deux programmes-clé. Le premier, lié au slogan adopté par le gouvernement « Un pays riche est un pays sans misère », s’intitule « Brésil sans faim » et se propose d’éliminer la misère, c’est-à-dire, la situation dans laquelle vivent dix-sept millions de brésiliens (soit l’équivalent de la population chilienne), ayant un revenu familial de moins de 70 reais (environ 30 euros) par mois. Une misère essentiellement féminine, noire et rurale.

Un autre secteur où Dilma est particulièrement active est l’économie. Le Brésil cherche à contrôler l’inflation sans « tuer » la croissance et le processus de redistribution des revenus, tout ceci dans un contexte délicat de crise aux États-Unis et en Europe. Un certain consensus un peu plus hétérodoxe s’est mis en place entre le ministre de l’économie (le même depuis 2005) et le nouveau président de la Banque centrale, un fonctionnaire de carrière qui a remplacé Henrique Meirelles, très lié aux marchés financiers.

Dans ce contexte, des réunions de l’Union des nations sud-américaines (Unasul) ont lieu pour trouver les moyens d’éviter la « contamination » de la crise et, en même temps une désindustrialisation, notamment avec l’entrée massive de produits chinois. Ainsi, Dilma a lancé ces derniers jours, un plan de politique industrielle nommé « Brésil plus grand », contenant toute une série de mesures initiales pour les secteurs traditionnels de l’industrie et les technologies de l’information. Elle a en parallèle renforcé, une nouvelle fois, le projet brésilien visant à valoriser les investissements – sociaux et productifs – pour faire face à la crise, comme une nette augmentation du budget alloué aux micro-crédits, annoncée ces derniers jours.

Enfin, plusieurs scandales de corruption ont éclaté lors de ce premier semestre, faisant chuter le tout-puissant ministre Antonio Palocci (pour avoir touché des primes de consulting assez conséquentes au cours de l’année de la présidentielle), deux ministres (des transports et de l’agriculture) et de nombreux haut fonctionnaires. L’action de Dilma semble indiquer une intolérance envers la corruption et présage des tensions dans les relations avec les partis alliés, touchés par ces scandales mais comptant un nombre non-négligeable de voix au Congrès.


Il s’agit, néanmoins, d’une continuité qui, d’une certaine façon, se cherche encore.

L’inexplicable changement au niveau des politiques culturelles est un véritable point négatif de ce début de gouvernement. La nouvelle ministre, Ana de Hollanda, sœur du chanteur et écrivain Chico Buarque, entend restaurer la vision d’une supposée élite culturelle, anachronique face à la multiplicité des producteurs existants au Brésil. Une série de politiques menées par les anciens ministres Gilberto Gil et Juca Ferreira, tels les Pontos de cultura - « Points de culture » - (initiative décentralisée de soutien à des milliers de groupes culturels), la révision des droits d’auteur (très restrictifs au Brésil), la promotion d’une culture numérique libertaire, sont à l’arrêt ou subissent des régressions. Malgré une mobilisation importante de ces mouvements culturels – qui ont tous soutenu Dilma lors de l’élection –, le gouvernement continue à soutenir sa ministre, marquant une rupture avec la période des gouvernements Lula où fut reconnu, via les Pontos de cultura, le caractère productif de milliers d’initiatives au sein des quilombolas, collectifs indigènes, jeunes de favelas, mouvements sociaux, théâtre, communication alternative, musiciens et autres.

Un autre point apporte quelques doutes malgré de clairs signes de continuité : la politique étrangère. Si les axes sont les mêmes (intégration sud-américaine, coopération sud-sud, réforme des institutions internationales), le ton a baissé d’un cran, avec le passage d’une forte diplomatie présidentielle et d’un ministre très présent et infatigable à une présidente et un ministre plus discrets. La condamnation de la situation des droits de l’homme en Iran (non pas que cette question ne soit importante et justifiable, mais son choix reste sélectif) jette des doutes sur la position du Brésil, s’il osait aujourd’hui, accompagné de la Turquie, chercher un accord avec l’Iran pour éviter de plus grandes tensions mondiales.

Enfin, Dilma semble parfois préférer la gestion « technique » à la « politique », ce qui a provoqué notamment le refus de la CUT, centrale syndicale pourtant très liée au PT, de participer au lancement du plan de politique industrielle, étant donné qu’elle n’avait pas été entendue au cours de son élaboration. Dilma s’en est excusé depuis, mais ceci indique peut-être un goût peu prononcé pour l’articulation politique (partis et mouvements). De plus, cela peut s’avérer source de problèmes dans le futur et briser des dynamiques intéressantes mises en place lors du gouvernement précédent. Cette différence de ton se traduit aussi par une emphase plus forte vers un certain « national-développementisme », certes tempéré par des politiques sociales et économiques démocratiques.

Ce ne sont pour l’instant que quelques tendances de cette neuvième année de gouvernement fédéral du PT, les prochains mois nous en diront plus. Une bonne nouvelle régionale pour clore cette brève réflexion : le bloc de gouvernements de gauche et centre-gauche vient de gagner un nouveau membre en Amérique latine, Ollanta Humala au Pérou, élu avec un discours proche de celui de Lula (stabilité, démocratisation et combat contre les inégalités). Le mouvement régional vers la gauche continue...

Par Jean Tible, ex-membre de la commission Relations Internationales du Parti des Travailleurs.

Traduction : Autres Brésils


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