Dilma Rousseff ne mérite pas le soutien des mouvements sociaux

 | Par Leonardo Sakamoto

Source : Blog do Sakamoto - 14/08/2015
Traduction pour Autres Brésils : Daniela Schmid
(Relecture : Anne-Laure BONVALOT)

Manifestation de soutien au gouvernement à Brasilia. Source : Isabella Formiga/G1.

Quand les gouvernements de Lula et de Dilma Rousseff faisaient face à des moments de difficulté, plusieurs mouvements sociaux populaires sortaient dans la rue pour montrer leur soutien. D’un côté, ils croient que le Parti des Travailleurs, crée avec leur aide, est encore capable de conduire les changements dont le Brésil a besoin. D’autre part, ils craignent d’être criminalisés si un autre groupe politique prend le pouvoir, comme c’était le cas pendant le gouvernement Fernando Henrique. Et il y a aussi, évidemment, ceux qui participent de l’appareil administratif et protègent le gouvernement dans le but de se protéger eux-mêmes.

Malgré les avancées sociales tangibles obtenues au cours des dernières années, le gouvernement n’a pas répondu aux revendications historiques des mouvements sociaux – une réponse qui, de mon point de vue, ne représenterait pas une ‘révolution’, mais améliorerait la vie de millions de Brésiliens. Au contraire, le gouvernement a utilisé la ‘gouvernance’ comme excuse pour faire des alliances étranges et soutenir des forces économiques et politiques contraires aux intérêts populaires. Ce faisant, il ignore l’appui des mouvements sociaux qui pourraient créer un changement de paradigme dans son mandat.

Une fois les difficultés surmontées, le gouvernement a quasiment délaissé les mouvements sociaux de côté. La preuve : Dilma Rousseff a pris des années pour recevoir les représentants des populations indigènes, tandis qu’elle a toujours ouvert ses portes aux ‘ruralistes’ qui voulaient s’entretenir avec elle. Les ministres du ‘Palácio do Planalto’ (siège du gouvernement) ont toujours entretenu de très bonnes relations avec les mouvements sociaux pour qu’ils gardent leur calme. Pour qu’ils gardent la foi aussi, le gouvernement profitant du catholicisme présent dans la Théologie de la Libération, qui est la base de beaucoup de ses mouvements.

Ils attendent Godot. Mais Godot n’arrive jamais.

Le gouvernement est une fois plus en difficulté, piégé par ses propres erreurs de gestion, les plaintes pour corruption à son endroit et à l’endroit de sa base électorale, et une opposition à qui la démocratie importe peu. Cette dernière ne ménage pas ses efforts pour écorner la Constitution et en faire si besoin une coquille vide dans le but de renverser le pouvoir. Et une fois de plus, les mouvements se sont rapprochés de Dilma Rousseff, mais de manière critique, évidemment. Guilherme Boulos, du MTST (Mouvement des Travailleurs Sans Abri), par exemple, a affirmé ne pas avoir l’intention de défendre le gouvernement, mais éviter un coup d’État et favoriser des changements à gauche dans la conduite du pays.

Malgré la présence de certains groupes au sein du Parti des Travailleurs et d’autres partis alliés, le gouvernement n’est pas à gauche – voilà des années que je le dit. Ou, au moins, il n’appartient pas à la gauche populaire comme les mouvements l’imaginaient. Soustraction forcée des communautés traditionnelles au nom d’une idée tordue du développement, quasi-absence des réformes agraire et urbaine, « flexibilisation » du droit du travail, absence de politiques pour faire face au changement climatique ou à la concentration de la richesse – la liste et longue et n’importe quel utilisateur de WhatsApp la connaît.

La manière dont le gouvernement accepte l’Agenda Brésil, une proposition de Renan Calheiros, son nouveau garant, est compréhensible. Après tout, c’est une bouée de sauvetage – pour le gouvernement, pas pour la population la plus pauvre, qui va pâtir de la plupart des mesures qui y figurent, dommageables pour les travailleurs, pour les populations traditionnelles et pour l’environnement. Tout cela, ainsi que la manière dont certains projets attentatoires aux Droits de l’Homme ont été votés au Parlement sans la résistance d’autrefois, une fois de plus au nom de la ‘gouvernabilité’, montre que l’héritage de la Constitution de 1988, jamais pleinement appliquée, continue à se détériorer, tout comme les avancées sociales obtenues après la détestable dictature civil-militaire.

Le fait est que, au Brésil et ailleurs, les gouvernements autoproclamés progressistes ont joué un rôle fondamental dans l’adoption de réformes réactionnaires de la part de l’État, qui signifient un recul en matière de droits sociaux et de droit du travail. Quand ses mêmes groupes sont en situation d’opposition, ils agissent fortement pour empêcher ces changements conservateurs et assurer le programme de la base populaire qui les a élus. Par contre, dès qu’ils assument le pouvoir, ils embrassent les changements considérés ‘nécessaires’ en nom de la ‘gouvernabilité’ et de la ‘responsabilité’.

Ce que les gouvernants oublient, c’est que l’autodéfinition ne suffit pas à indiquer l’identité politique d’un gouvernement. Qu’il se proclame progressiste ou conservateur ne veut pas dire qu’il le soit réellement. Ce qui importe sont ses actions, sans elles, ses paroles sont lettre morte. Le discours qu’un gouvernement émet pour se désigner lui-même sert davantage à ce que la société comprenne la stratégie qu’il utilise pour conserver son électorat et se légitimer publiquement.

En attendant, les divisions de positionnement politique sont en train de disparaître. Y a-t-il une différence entre gouvernement et opposition ? Ou font-ils tous partie de cette même masse amorphe qui tente de conserver, ou de conquérir, le pouvoir ?

Comme a dit José Sarney, le politicien leader du groupe allié de toutes les administrations depuis Martim Afonso de Souza [1] : « Le gouvernement est comme un violon : vous le prenez avec la gauche, mais vous en jouez avec la droite ».

Le plus triste est que, même si le gouvernement survit au bouleversement qu’il vit aujourd’hui, il abandonnera probablement les revendications traditionnelles des mouvements sociaux, comme il l’a déjà fait pendant la campagne électorale et comme il le fait depuis longtemps.

Aux mouvements sociaux, il restera des cabanes misérables au bord de la route, le voisinage des rats dans les squatts des grandes villes, la peur d’être chassés de leur terre et les conditions de travail précaires au nom du progrès ...

Notes de la traduction

[1Martim Afonso de Souza : Le Portugais Martim Afonso de Souza a conduit la première expédition faite avec le but de coloniser le Brésil, en 1530.

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