Désintégration créative ?

 | Par Leonardo Boff

<img386|left> Je ne suis ni prophète ni fils de prophète. Je suis fils d’un enseignant d’école primaire et d’une mère analphabète. Mais, comme théologien, j’ai été formé à considérer continuellement l’histoire « sub specie aeternitatis », c’est-à-dire dans la perspective de l’éternité, manifestée par les Ecritures qui racontent l’histoire d’un peuple de référence, le peuple judéo-chrétien ; et, de plus, à travers des critères éthiques, qui aident ou rendent difficile la construction de la cité des hommes.

Quand on considère l’état de la Terre et la scène politique mondiale, ainsi que brésilienne, je suis rempli d’effroi. Nous pouvons aller au devant d’une grande désintégration. Celle-ci réside dans un fait désigné par plusieurs analystes, de Marx à l’économiste américain d’origine hongroise Karl Polanyi et, parmi nous, par le brésilien Michael Löwy : l’économie s’est détournée de la société.

Sans insertion ou lien avec un quelconque contrôle social, étatique et humain, elle a eu libre cours. Elle n’obéit qu’à sa propre logique qui est de rechercher les bénéfices, minimiser les investissements et réduire au maximum les délais. Et cela à l’échelle mondiale et sans aucun souci écologique. Tout devient un grand Big Mac, tout est mis sur le marché : la santé, la culture, les organes, la religion. C’est le signe de la « corruption généralisée et de la vénalité universelle » comme le disait Marx en 1847 (Misère de la philosophie). C’est « La grande transformation », comme le caractérise Polanyi, qui n’avait encore jamais eu lieu.

L’effet le plus désastreux de cette transformation consiste à réduire l’être humain à rien d’autre qu’un simple producteur et un simple consommateur. Le reste ne sont que de méprisables zéros économiques : les personnes, les classes, les régions et des nations entières. Le travail mort (machines, appareils, robots) remplace le travail vivant (les travailleurs). Tout est réduit à des marchés à conquérir pour pouvoir accumuler de façon illimitée. Le moteur qui régit cette logique est la compétition la plus féroce possible. Seul le fort subsiste, le faible ne résiste pas, renonce et devient inexistant.

Il arrive que cette férocité rencontre une limite : la nature avec ses ressources limitées et sa capacité limitée à supporter. Mais elle n’est pas respectée. Si elle l’était, l’économie se détruirait elle-même. C’est pour cela qu’elle doit déraciner la forêt amazonienne afin de continuer à en tirer des bénéfices. La Terre a montré dernièrement sa révolte : le réchauffement, les ouragans, les sécheresses, les inondations et, au niveau humain, la violence croissante des relations sociales. L’étude sur le climat réalisée par le Pentagone en 2004 met en garde : dans les trois prochaines décennies, le changement climatique sera beaucoup plus dangereux que le terrorisme. L’humanité peut entrer dans une anarchie généralisée. Elle doit changer d’orientation. Mais le voudra-t-elle ?

Je perçois beaucoup de sagesse dans l’affirmation : l’être humain apprend de l’histoire qu’il n’apprend rien de l’histoire mais qu’il apprend tout de la souffrance. C’est la souffrance qui le fait changer. Quand il est acculé, l’être humain s’agite et fait tout pour changer, dans le cas contraire il mourra.

De la façon où vont les choses, on nous prépare une grande souffrance soit d’ordre écologique soit d’ordre socio-économique. Si nous étions rationnels, nous pourrions l’éviter. Mais comme nous nous montrons irrationnels et déraisonnables nous ne voulons pas changer d’orientation et, ainsi, nous allons au devant d’une désintégration prévisible. Mais consolons-nous : elle est toujours créative et le chaos, génératif, comme nous l’affirment les cosmologues contemporains. S’ouvrent alors des possibilités d’un autre ordre.

Quelles sont les alternatives à la désintégration ? Lors de la prochaine réflexion nous reviendrons sur ce thème préoccupant et sinistre.


Par LEONARDO BOFF - 4/1/2006

Traduction : Monica SESSIN pour Autres Brésils

Théologien de la libération et ancien prêtre brésilien, Leonardo Boff fut condamné par l’Église catholique pour ses prises de position. Il est l’auteur de plus de soixante ouvrages.

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