Chico Buarque : lucidité et cohérence

 | Par Chico Buarque

A chacune de ses interviews, le chanteur-compositeur Chico Buarque de Holanda surprend par sa lucidité et son incroyable cohérence. Il vient aujourd’hui encore d’en faire la preuve en évoquant, à l’occasion de la sortie de son nouvel album « Carioca », la situation politique brésilienne. La droite, nostalgique du temps de la dictature militaire où elle l’avait poursuivi et censuré, a dû être furieuse. La gauche « rancunière » a dû se sentir froissée par ses commentaires ironiques. Mais Chico Buarque vient de donner une impulsion créatrice nouvelle à tous les acteurs de la société qui, même critiques vis-à-vis des limites du gouvernement Lula, n’ont pas perdu leur sens de la perspective. Mais laissons parler le poète, en reprenant des passages de ses interviews dans la revue Carta Capital et dans le journal Folha de São Paulo.

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Sur la crise politique

Il est sûr que ce scandale a ébranlé le gouvernement, ébranlé ceux qui avaient voté pour Lula, et surtout ébranlé le PT [Parti des travailleurs]. Pour le parti, ce scandale est désastreux. Le point positif est que de tout cela peut surgir un parti plus correct, moins arrogant. Au fond, il a toujours existé au PT l’idée que : ou bien vous êtes PéTiste [1], ou bien vous êtes un pauvre type. Un peu comme au PSDB [Parti de la sociale démocratie brésilienne], on trouve que chacun est soit un toucan [2], soit un âne (rires).

Mais les critiques contre le PT se trompent de cible. Et pas uniquement celles qui visent le PT, mais surtout celles qui visent Lula. Quand l’opposition vient dire qu’il s’agit du gouvernement le plus corrompu de l’histoire du Brésil, il faut dire « attendez, là ». Quand ce sénateur toucan mauvais acteur dit qu’il va cogner Lula, lui filer une râclée, quand ils traitent Lula de vaurien, d’ignorant, là ils se trompent vraiment de cible. Le gouvernement le plus corrompu de l’histoire ? Où est le corruptomètre ? Il faut enquêter un peu, oui. Il faut punir, certes. Mais regardons-y de plus près. Chacun sait que la corruption au Brésil est partout, et c’est maintenant que ces gens du PFL [Parti du front libéral], justement eux, prennent un air offensé, indigné. Ils ne vont pas m’émouvoir...

Préjugé de classe

Le préjugé de classe contre Lula continue à exister, et s’amplifie même. Je n’ai jamais vu quelqu’un se faire insulter ainsi. Cela finit même par être contreproductif pour les agresseurs, parce que les personnes plus humbles qui entendent cela pensent « C’est quoi ces histoires d’âne ? d’ignorant !? d’imbécile !? ». Je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu quiconque parler de la sorte, même au sujet de Collor. Vaurien ! Voleur ! Assassin ! - j’ai même entendu « assassin ». Ils ont magouillé tant qu’ils ont pu pour empêcher que Lula soit président. Ils ont imaginé un plébiscite, changé la durée du mandat, créé la réélection. Finalement, comme s’il s’agissait d’une concession, ils ont laissé Lula accéder à la présidence. « Et maintenant dégage, vaurien ! ». C’est comme s’ils renvoyaient un employé à qui on avait offert le luxe d’occuper la maison des maîtres. « Maintenant retourne à la case aux esclaves ! ». Moi, je n’accepte pas que cela puisse se passer comme cela.

Je vote Lula !

La situation économique ne changera pas avec un président toucan. Tout est tellement intégré qu’honnêtement, je ne vois pas ce qui pourrait faire la différence entre un prochain gouvernement Lula et un gouvernement de l’opposition. Mais le pays a franchi un pas important en élisant Lula. Je trouve anti-éducatif le discours en vogue : « Ces mecs ne vont pas revenir de sitôt, ils ne savent pas s’y prendre, ils ne sont pas préparés, ils ne sont pas polyglottes. » Je trouve tout cela très grave.

Aujourd’hui je vote pour Lula. Voter Alckmin ? Non, je ne le ferai pas. Je crois que, même si l’économie est figée comme elle l’est, il y a encore de la marge pour investir dans le social, ce que Lula est le mieux à même de faire. Il nous devra sa réélection comme il nous doit déjà son acccession au pouvoir. Il devra alors faire ce pour quoi nous l’avons élu. « Je veux être sollicité, vous devez me solliciter, je ne veux pas rester là entouré de lèche-bottes », me disait-il la dernière fois que je l’ai vu, lors d’une rencontre ici à Rio, avant qu’il ne prenne son mandat.

A propos du Parti Socialisme et Liberté (PSOL)

Je sens dans ces groupes une rancœur qui est propre aux "ex" : ex-pétistes, ex-communistes, ex-tout. Je n’aime pas cela, ces gens qui sont très proches du fanatisme, qui se targuent d’appartenir à une famille politique et qui s’en détournent en lui crachant dessus lorsque celle-ci éclate. Si ces groupuscules parviennent à élargir leur électorat, cela se fera par-dessus le PT, voire même au profit des adversaires de Lula.

Le rôle des media

Je ne pense pas que les media aient inventé les affaires. Mais ils se sont beaucoup plus fait l’écho du scandale du « mensalão » que des affaires de Fernando Henrique Cardoso, comme l’achat de voix ou les privatisations. Fernando Henrique a toujours eu de solides défenseurs dans les media, des journalistes de fer blanc prêts à le défendre à tout prix. Lula n’en a pas. Il est au contraire victime d’un concours de passage à tabac pour voir qui frappe le plus fort.


Notes

[1] Pétiste : adhérent du PT

[2] Toucan : adhérent du PSDB


Par Altamiro Borges, journaliste, membre du comité central du PCdoB, édtieur de la revue Débat Syndical, mai 2006

Traduction : Pamela Ferra pour Autres Brésils


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