Ce n’est pas seulement le modèle néolibéral, mais aussi le modèle brésilien qu’il faut changer (4)

La réforme des retraites

Derrière cette idée que le gouvernement Lula, plutôt qu’accepter le plan du FMI, aurait dû libérer le pays de la reconnaissance de sa dette, il y a une lecture récurrente des traditions de la gauche nationaliste et populiste brésilienne. En gros, récupérer les richesses injustement spoliées à la nation par le capital étranger qui, par sa prédation serait responsable de la crise sociale et de la grande exclusion. On y retrouve aussi des traits de l’idéologie de « libération nationale » qui fait de l’Etat et de la nation des entités désincarnées victimes de l’impérialisme. C’est oublier que le Brésil n’est le résultat d’aucune domination « étrangère » et n’a jamais été colonisé que par les Brésiliens eux mêmes ! Cette lecture est aveugle sur l’analyse de la formation sociale et, notamment, de la place, tout à fait particulière au Brésil, de l’Etat dans la reproduction des rapports sociaux de domination et d’exploitation, qui différencie pourtant profondément la société brésilienne des formations sociales capitalistes d’Europe ou d’Amérique du Nord.

L’analogie tracée par Ben Saïd entre la réforme des retraites de Lula et les réformes européennes actuelles, - « la réforme des retraites(...) s’inscrit docilement (...) dans le modèle des réformes en cours dans plusieurs pays du monde » -, ou les contre-mesures proposées par Jean Puyade dans Carré Rouge, « aligner tous les travailleurs sur les acquis des fonctionnaires », sont de ce point de vue significatives. La question est assez sensible en France pour qu’on s’y arrête, d’autant que le simple énoncé des faits est éloquent.

Quels étaient donc ces acquis du régime de retraite des fonctionnaires brésiliens ? Sans aucun plafonnement, tout fonctionnaire ayant dix ans de service pouvait partir de plein droit à la retraite à 48 ans pour les femmes et 53 ans pour les hommes, avec l’intégralité de son dernier traitement augmenté à l’échelon supérieur ; en cas de décès du retraité, les ayants droit directs continuaient de toucher l’intégralité de la retraite du défunt sous forme de pension. L’âge moyen d’entrée dans la fonction publique est de 34 ans, celui du départ en retraite de 54 ans, et la mortalité moyenne à 77 ans. Ce régime concerne actuellement environs 5 millions de fonctionnaires, fédéraux, des Etats, et municipaux, répartis globalement entre une moitié d’actifs et une autre moitié de retraités. 13 milliards d’Euros sont consacrés par la contribution publique à financer les seules retraites de 3,2 millions d’ex fonctionnaires en y incluant les militaires. C’est aussi la contribution publique qui finance les retraites du régime général, le secteur privé, mais pour un montant total de 5 milliards d’Euros seulement, répartis entre 21 millions de salariés du privé qui, eux, partent à 60 et 65 ans, pour une mortalité moyenne à 70 ans, avec une retraite de 70% de la moyenne salariale calculée sur 40 ans, et plafonnée à 350 Euros, soit 3,5 SMIC. Un « complément » est possible dans le privé, en fonction des applications financières volontaires de chacun. Comme on le voit, l’inégalité est criante, et cela honore Jean Puyade de vouloir « aligner tous les salariés sur les acquis des fonctionnaires » ; mais pourquoi ne propose-t-il pas plus simplement l’abolition du salariat pour sortir du néolibéralisme ?

En quoi consiste, principalement, la réforme du gouvernement Lula ? Tout d’abord, l’établissement, pour le public et le privé, d’un plafond commun unique des retraites financées par l’Etat, d’un montant de 800 Euros, soit 8 SMIC, c’est à dire précisément le niveau de revenus à partir duquel commencent les 30% de Brésiliens les plus aisés. Ensuite, l’établissement, pour le privé et le public, du plein droit à la retraite à partir de 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes, sur la base de 30 et 35 ans d’activité, et 20 ans de service pour les fonctionnaires. Enfin, l’intégralité du dernier traitement pour la retraite des fonctionnaires est maintenu, jusqu’au plafond des 8 SMIC, les compléments, au-delà de ce plafond, pouvant être pris en charge par des fonds de pension exclusifs et publics, investis par l’Etat dans les budgets sociaux et d’équipement. Quant aux pensions des ayants droit, elles ne seront plus que de 70% du montant de la retraite du défunt. Outre l’économie de 2 milliards d’Euros sur les budgets publics, et de l’extension prévue du système aux salariés jusque-là sans couverture vieillesse, la réforme permet une forte amélioration des retraites du privé et une répartition plus équitable des contributions par l’impôt de chacun, à la protection sociale de tous. Il reste de la marge avant de parler de réforme néolibérale. Il y a, c’est vrai, la question des fonds de pension, qui ne concerne que les hauts revenus ; mais ils existaient déjà, sous une forme totalement sauvage, et l’Etat ne vient qu’intervenir pour en réglementer et orienter l’utilisation. En clair, si pour le guichetier les choses ne changent guère sauf l’âge de son départ, le juge à la retraite, lui, par exemple, au lieu d’investir son revenu dans l’immobilier à Miami Beach, devra, pour garder l’intégralité de sa retraite, investir durant sa carrière dans la construction des viaducs reliant les régions rurales enclavées aux métropoles de la côte.

Il y aurait sans doute à s’interroger sur le choix par nos amis trotskistes, de ce cheval de bataille, la réforme des retraites, pour lancer une campagne internationale, pétition à la clef, dénonçant pêle-mêle le « néo-blairisme » du gouvernement Lula accusé de fomenter « une agression généralisée ( !) contre les conquêtes sociales ». La place manque ici pour s’y appesantir. Les difficultés politiques de leurs amis brésiliens y ont sans doute leur part.

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