Ce n’est pas seulement le modèle néolibéral, mais aussi le modèle brésilien qu’il faut changer (2)

Fallait il rompre avec le FMI ?

L’accord avec le FMI, tout d’abord, signé fin 2002 par le précédent gouvernement mais avec l’aval du PT. La première question serait de savoir tout simplement si les conditions en étaient vraiment négociables. Avec 106 milliards de dollars de déficit pour 10 milliards en réserves, une dette publique de 57% du PIB, des taux directeurs à 26%, une inflation de 30% sur douze mois, un Etat ayant perdu par les privatisations la plupart de ses ressources productives, un des risques pays les plus élevés du monde à 2000 points, un déficit commercial constant depuis six ans, une stagnation des exportations et de la production industrielle, un chômage à 19% et une monnaie menacée de descendre à sa valeur papier, l’alternative était d’obtenir, quoi qu’il en coûte, le renouvellement des lignes de crédit et le maintien dans les organismes multilatéraux, ou bien d’inaugurer le mandat de Lula par une faillite nationale à la manière argentine... multipliée par dix.

Il fallait rompre, dit en substance Daniel Ben Saïd, dans la foulée de trois députés de l’extrême gauche « pétiste », et « constituer avec l’Argentine et le Venezuela un front des pays débiteurs » face aux puissances et institutions internationales créancières. Passons sur la contre-puissance d’un tel « front », appuyé sur deux pays plongés dans un chaos incertain et qui ne surnagent, à vrai dire, que grâce aux bouées lancées par... le Brésil. Rompre, signifiait, ipso facto, doubler la banqueroute économique d’une crise politique frontale immédiate qui, en tout état de cause et au simple vu des rapports de forces dans l’ensemble des institutions, aurait fait du gouvernement Lula l’otage pur et simple des oligarchies politiques et paternalistes du pays.

Le gouvernement a donc accepté sans barguigner l’austérité imposée, non comme un bienfait mais comme une contrainte, sans rien dissimuler du retard et du coût social que cela faisait peser sur la société. Un exemple évitera une avalanche d’indices économiques : sur les seules six principales capitales côtières (26 millions d’habitants), les chiffres du travail infantile sont passés de 88 000 à 132 000 en un an ! La différence marquée avec les politiques antérieures tient par contre à l’objectif immédiat cette fois ci poursuivi : jusque là, il ne s’agissait, à chaque accord et nouveau crédit du FMI, que d’échanger la dépendance financière, indéfiniment aggravée, contre l’assurance de la pérennité du modèle d’accumulation et d’exploitation du pays : les déficits couraient, la dette s’accumulait, la société sombrait, mais le modèle brésilien demeurait. Cette fois-ci, l’objectif est de dégager l’économie de sa vulnérabilité financière internationale pour l’engager sur un développement durable. Aussi, l’interprétation de l’accord par le gouvernement préservait-il un aspect essentiel, souligné par le ministre de l’économie, Antonio Palocci : « Dès la première rencontre, nous avons dit clairement au FMI que nous entendions préserver notre autonomie pour décider de notre politique macro économique . Le gouvernement n’entend discuter que chiffres et statistiques, c’est à dire de sa capacité à retrouver crédit au plan international. » Pas question de discuter du contenu des réformes fiscales ou des retraites, de la politique d’investissement des compagnies nationales, de la destination des investissements publics ou de l’usage des budgets sociaux. Sur ces sujets, les demandes du FMI se sont heurté à une courtoise mais invariable fin de non recevoir.

Pour Palocci, comme pour l’entourage de Lula, le respect de cet accord, malgré ses conséquences amères, n’avait pas pour seule ni même principale raison le maintien d’une ligne de crédit de 30 milliards de dollars sur un an. Le but était de rétablir la confiance internationale des Etats partenaires et des investisseurs, pour pouvoir notamment baisser des taux directeurs suffocants pour la croissance, retrouver un équilibre monétaire, relancer l’investissement intérieur et l’emprunt industriel, redonner à l’Etat la disposition de ses ressources... bref, engager dans des conditions favorables en termes de souveraineté, la transition vers le modèle de développement dont le gouvernement continue de proclamer l’urgence : réforme agraire, autosuffisance alimentaire, orientation des investissements et redistribution des revenus vers un marché de 175 millions de Brésiliens et non pas de 35 millions comme actuellement [1], intériorisation du pays, inclusion sociale, démocratie participative dans un Etat universaliste et redistributif...

L’accord avec le FMI portait sur un programme d’un an. Nous y sommes. Et de fait, la fermeté du gouvernement dans l’application de cette politique, semble porter les fruits espérés. Le risque pays est redescendu à un niveau banal en dessous de 500 points, la balance commerciale a retrouvé son excédent d’il y a quinze ans, le réal a repris 30% de sa valeur, l’inflation se situe en dessous de 7% sur les douze mois écoulés, les taux directeurs ont régulièrement baissé depuis août perdant déjà dix points et devraient descendre en dessous des 10% en 2004, ce qui serait une première depuis quinze ans, la consommation reprend, les partenaires internationaux sont confiants, FMI et Banque Mondiale n’ont eu qu’à donner leur quitus.

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Notes :

[1] Alors que le pays, une des dix premières économies mondiales, est le seul d’Amérique latine à disposer d’une gamme complète d’industries et de technologies diversifiées, ainsi que de toutes les matières premières nécessaires, la plupart des investissements pour la production des biens d’usages sont dimensionnés et orientés vers un marché de 30 à 50 millions de consommateurs considéré comme porteur. A titre d’exemple, l’industrie automobile, une des plus emblématiques, déjà dimensionnée pour seulement 3 millions de véhicules a vu sa production tomber à 1,4 millions dans la stagnation industrielle de 2002.

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