« C’est à Lula de décider des orientations, pas à l’orthodoxie néo-libérale »

 | Par Frei Betto

<img203|left> A l’occasion de la visite en France du président brésilien Luiz Inacio « Lula » Da Silva, les 13 et 14 juillet, le Théologien de la libération Frei Betto, compagnon de route du président, dresse un bilan sans concession de la gauche au pouvoir. Lula, l’ancien syndicaliste métallo, est le premier président de gauche élu depuis la fin de la dictature, en 1985. Son mandat s’achève fin 2006. Les critiques contre sa politique économique sont de plus en plus virulentes, sur fond de scandales de corruption qui ont provoqué la chute de son bras droit, José Dirceu, mi-juin.


Selon vous le Brésil se porte-t-il mieux aujourd’hui qu’il y a deux ans et demi, avant l’élection de Lula ?

Beaucoup mieux. Le Brésil se trouve dans une situation économique stable, même si le partage des richesses n’est pas encore équitable. Le pays a augmenté ses exportations, a équilibré sa balance de paiement et développe des politiques sociales avancées même si le calendrier de la réforme agraire a du retard. Nous vivons aussi une période de dénonciation généralisée de la corruption. Malgré l’irresponsabilité de certains qui dénoncent la corruption à tout va, cela amène les institutions démocratiques, surtout le pouvoir législatif, à enquêter avec rigueur sur ces dénonciations.

Comment expliquez-vous le retard dans l’application de la réforme agraire ?

Le président Lula a approuvé le plan de réforme agraire nationale en 2004. Il a alors promis l’installation de 400 000 familles de petits paysans et de soutenir l’accès à la propriété de 130 000 autres familles grâce à un crédit foncier, d’ici décembre 2006. Après une marche du Mouvement des sans terres (MST) organisée en avril, la direction du MST a été reçue par le président. Celui-ci leur a assuré que le gouvernement allait atteindre ses objectifs. Ce sera difficile, à cause du retard accumulé : l’année dernière, 80 000 familles sur les 130 000 prévues ont accédé à la terre. Mais nous devons faire confiance à la parole de Lula.
Ce retard est dû à la rigueur de l’ajustement fiscal. Le ministère du Développement agraire devait bénéficier d’une enveloppe de trois milliards de réais (un milliard d’euros), principalement destinée à la réforme agraire. Plus de la moitié de ce budget est pour l’instant gelé. Cet excédent budgétaire est consacré au remboursement de la dette extérieure. C’est une politique qui menace la bonne mise en oeuvre des programmes sociaux.

Partagez-vous les critiques de ceux qui accusent Lula de mener une politique trop néo-libérale ?

Oui. Le gouvernement est plus sensible à la logique de marché qu’à l’élaboration d’un projet national. C’est le grand paradoxe de ce gouvernement qui a un agenda de réformes sociales à mener mais adopte un politique d’orthodoxie néo-libérale dans la continuité du gouvernement précédent. Nous attendons une inversion de ce processus. Beaucoup de pressions sociales s’exercent dans ce sens. Les mouvements sociaux, comme le MST ou le syndicat CUT (Centrale de l’union des travailleurs) ont adressé une lettre au gouvernement : ils le soutiennent mais critiquent sa politique économique, car celle-ci ne permet pas la réduction des inégalités économiques et sociales qui est le plus grand problème de notre pays.

Vous étiez en charge du programme Faim zéro, de lutte contre l’extrême pauvreté. Pourquoi avez-vous quitté le gouvernement fin janvier 2005 ?

Pour deux raisons : je voulais revenir à la littérature et retrouver ma liberté de penser. Ma position d’assistant spécial du président ne le permettait pas. Je désapprouvais la politique économique et partageais plutôt les critiques qui la dénonçaient sans pouvoir leur exprimer publiquement mon soutien. J’ai donc préféré retourner à la « vie civile ».

Que pensez-vous de la nouvelle ministre de la « Casa civil », Dilma Roussef ? Sera-t-elle capable d’infléchir la politique économique ?

Nous nous sommes rencontrés à trois reprises. Nous habitions dans la même rue à Belo Horizonte. Puis nous nous sommes retrouvés voisins de cellule dans la prison de Tiradentes pendant la dictature. Enfin, nous étions voisins sur l’esplanade des ministères, à Brasilia. Elle est très sensible aux questions de politique sociale.
Il existe de grandes tensions au sein même du gouvernement pour qu’interviennent des changements. C’est à Lula de décider des orientations, pas à l’orthodoxie néo-libérale du ministre de l’Economie, Antonio Palocci. Dilma Roussef a manifesté son souhait de modérer l’excédent budgétaire consacré au remboursement de la dette, actuellement fixé à 4,25% du PIB. D’ici fin 2005, le Brésil doit rembourser ses créanciers à hauteur de 155 milliards de réais (55 milliards d’euros). A titre de comparaison, les ressources financières dont le gouvernement dispose pour financer les réformes s’élèvent à 12 milliards de réais (4 milliards d’euros), soit même pas 10% de la somme consacrée au remboursement de la dette.

Qu’attendez-vous du voyage de Lula en France ?

La France et le Brésil entretiennent une relation culturelle ancienne et profonde. Je souhaite que cette relation soit encore plus étroite, qu’il y ait une plus grande visibilité de ce que le Brésil peut apporter à l’Europe. Le Brésil est un grand producteur de culture. Nous aimerions qu’elle soit mieux connue. Elle a plus de contenu que les produits « boîte de conserve » importés d’Hollywood et des Etats-Unis. J’aimerais que l’Europe affirme davantage son indépendance vis-à-vis de la Maison Blanche et qu’elle soit plus sensible au développement durable des pays du Sud.

Voterez-vous Lula en 2006 ?

Oui, parce que je trouve le Brésil mieux avec lui que sans lui, et malgré les limites de son gouvernement.


Propos recueillis par Ivan du Roy et Erika Campelo - Témoignage Chrétien - Juillet 2005


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