Brésil : la démocratie au bord du chaos et les dangers des désordres juridiques

 | Par Boaventura de Sousa Santos

Source : Sul 21 – 22 mars 2016,
Par Boaventura de Sousa Santos
Traduction : Roger GUILLOUX
Relecture : Léa Vinay

Quand, il y a près de 30 ans, je commençais mes études des systèmes judiciaires de plusieurs pays, l’administration de la justice représentait la dimension institutionnelle de l’État qui avait le moins de visibilité publique. La grande exception était les États-Unis en raison du rôle central du Tribunal Suprême concernant les définitions des politiques publiques les plus importantes. C’est la seule entité souveraine non élue, ayant un caractère réactif (ne pouvant pas, en général, se mobiliser de sa propre initiative) et dépendant des autres institutions de l’État pour faire appliquer ses décisions (services pénitentiaires, administration publique). Pour ces raisons, les tribunaux avaient une fonction relativement modeste dans la vie organique de la séparation des pouvoirs, instaurée par le libéralisme politique moderne, à tel point que la fonction judiciaire était considérée comme apolitique. Contribuait également à cet effacement, le fait que les tribunaux ne s’occupaient que des conflits individuels et qu’ils avaient été conçus de manière à ne pas s’immiscer dans la vie des élites dirigeantes, celles-ci étant protégées par des immunités et d’autres privilèges. On savait très peu de choses sur le mode de fonctionnement du système judiciaire, sur les personnes qui faisaient appel à ce service et pour quelles raisons, elles le faisaient. De cette époque à nos jours, tout a changé. Ce qui a, entre autres, contribué à ce changement, c’est la crise politique qui a atteint les institutions de la souveraineté dirigées par des élus, la conscience plus aigüe que les citoyens ont de leurs droits et le fait que les élites politiques, confrontées à certaines impasses sur des thèmes controversés, ont commencé à voir dans le recours sélectif aux tribunaux, une manière de se dégager du poids politique de certaines décisions. Ce qui a encore aggravé la situation, c’est le fait que le néo-constitutionalisme, apparu à la fin de la deuxième guerre mondiale, a donné aux tribunaux constitutionnels un rôle majeur dans le contrôle de la constitutionalité. Cette innovation a fait l’objet de deux lectures opposées. Pour certains, il s’agissait de soumettre la législation ordinaire à un contrôle qui empêche que celle-ci soit facilement instrumentalisée par les forces politiques tentées de faire table rase des dispositions constitutionnelles comme cela s’était produit, de manière extrême, sous les régimes dictatoriaux nazis et fascistes. Pour d’autres, le contrôle de la constitutionalité était un instrument dont se servaient les classes politiques dominantes pour se défendre des possibles menaces à leurs intérêts, menaces découlant / résultant des vicissitudes de la politique démocratique et de la « tyrannie des majorités ». De toute manière et pour toutes ces raisons, un nouveau type d’activisme juridique est apparu et a été perçu comme une forme de la judiciarisation de la politique, laquelle a conduit inéluctablement à la politisation de la justice.
La grande visibilité publique qu’ont acquis les tribunaux au cours des dernières décennies, est en grande partie, la conséquence de situations judiciaires où se trouvaient impliqués des membres des élites politiques et économiques. Le grand tournant fut la série de procès criminels qui atteignit toute la classe politique et une bonne partie de l’élite économique en Italie, l’opération Mains propres. Lancée en avril 1992, elle prit la forme d’enquêtes et de condamnations à la prison visant des ministres, des dirigeants de partis, des membres du Parlement (à un certain moment, près d’un tiers des députés), des entrepreneurs, des fonctionnaires publics, des journalistes et des membres des services secrets. Ils furent accusés de crimes de corruption, d’abus de pouvoir, de fraudes, de faillites frauduleuses, de comptabilité truquée et de financements publics illicites. Deux ans plus tard, 633 personnes avaient été emprisonnées à Naples, 623 à Milan et 444 à Rome. Dans la mesure où elle atteignit toute la classe politique qui avait exercé des responsabilités gouvernementales dans un passé récent, l’opération Mains propres ébranla les fondements du régime politique italien et fut à l’origine de l’arrivée, quelques années plus tard, du « phénomène » Berlusconi. Au cours des années, pour ces raisons et d’autres encore, les tribunaux acquirent une grande notoriété publique dans de nombreux pays. Le cas le plus récent et peut-être le plus dramatique de tous ceux que je connais, est l’opération Lava Jato [1], au Brésil.

Lancée en mars 2014, cette opération judiciaire et policière de combat contre la corruption où sont impliqués plus d’une centaine de personnalités politiques, d’entrepreneurs et de gestionnaires, a occupé progressivement le centre de la vie politique brésilienne. Alors qu’elle entrait dans sa 24ème phase, avec l’implication de l’ex-président Lula da Silva et étant donné la manière dont elle fut exécutée, elle provoquera une crise politique aux proportions semblables à celle qui a précédé le coup d’État qui, en 1964, instaurait une dictature militaire odieuse qui allait durer jusqu’en 1985. Le système judiciaire dont l’une des responsabilités est la défense et la garantie de l’ordre juridique est en train de se transformer en un dangereux facteur de désordre juridique. Les mesures judiciaires ouvertement illégales et anticonstitutionnelles, la sélectivité grossière du harcèlement judiciaire, la promiscuité aberrante avec les médias au service des élites politiques conservatrices, l’hyper-activisme judiciaire, apparemment anarchique, qui se traduit, par exemple, par 27 demandes judiciaires concernant la même action politique, tout cela crée une situation de chaos judiciaire. Cette situation augmente l’insécurité juridique, creuse la polarisation sociale et politique et conduit la démocratie brésilienne elle-même, au bord du chaos. Avec un ordre juridique transformé en désordre juridique, avec une démocratie séquestrée par une entité souveraine non élue, la vie politique et sociale se transforme en un champ potentiel de dépouilles à la merci d’aventuriers et de vautours politiques. A ce stade, plusieurs questions s’imposent. Comment en est-on arrivé là ? A qui profite cette situation ? Que doit-on faire pour sauver la démocratie brésilienne et les institutions qui la soutiennent, nommément, les 4 tribunaux ? Comment attaquer cette hydre aux nombreuses têtes de manière à ce que de chaque tête coupée ne naissent pas davantage de têtes ? Dans le texte qui suit, je tente d’identifier plusieurs pistes de réponse.

Comment en est-on arrivé là ?

Pour quelle raison l’opération Lava Jato est-elle en train de dépasser toutes les limites de la polémique que suscitent normalement tous les cas les plus marquants d’activisme judiciaire. Notons que la ressemblance avec le procès Mains propres en Italie a souvent été évoquée pour justifier la notoriété et l’inquiétude publiques causées par l’activisme judiciaire. Mais les ressemblances sont plus apparentes que réelles. Il y a, au contraire, deux différences décisives entre ces deux opérations. D’un côté, les magistrats italiens ont toujours respecté scrupuleusement le processus pénal et tout au plus, se sont limités à appliquer des normes qui avait été stratégiquement oubliées par un système judiciaire routinier et complice des privilèges accordés aux élites dominant la vie politique italienne de l’après-guerre. De l’autre, ils ont tenté d’enquêter avec un même zèle les crimes de dirigeants politiques des différents partis ayant eu des responsabilités au niveau gouvernemental. Ils ont assumé une position politiquement neutre, précisément pour défendre le système judiciaire des attaques dont il ferait certainement l’objet de la part des personnes visées par ces enquêtes et ces accusations. Tout ceci est aux antipodes du triste spectacle qu’un secteur du système judiciaire brésilien est en train de montrer au monde. L’impact de l’activisme des magistrats italiens a été tel qu’on a parlé de République des juges. Dans le cas de l’activisme du secteur judiciaire responsable de Lava jato, on peut parler, tout au plus, de République judiciaire bananière. Pourquoi ? En raison des pressions externes qui, de manière très évidente, sont à l’action derrière cette instance spécifique d’activisme judiciaire brésilien alors qu’elles ont été en grande partie absentes dans le cas italien. Ces forces dictent la sélectivité éhontée du zèle au niveau des investigations et des accusations. Alors que des dirigeants de différents partis sont impliqués, l’opération Lava jato, avec la complicité des medias, ne s’est intéressée qu’aux exactions des dirigeants du PT dans le but, aujourd’hui indéniable, de provoquer la mort politique de la Présidente Dilma Rousseff et de l’ex-Président Lula da Silva.

En raison de l’importance de cette pression externe et de la sélectivité de l’action judiciaire qu’elle s’emploie à provoquer, l’opération Lava jato présente davantage de similarités avec une autre opération survenue en Allemagne, sous la république de Weimar, après l’échec de la révolution allemande de 1918. A partir de cette année-là et dans un contexte de violence politique provenant autant de l’extrême gauche que de l’extrême droite, les tribunaux allemands ont montré une dualité choquante de critères, punissant d’une panière sévère la violence de l’extrême gauche et traitant avec bienveillance la violence de l’extrême droite, celle-là même qui plusieurs années plus tard allait conduire Hitler au pouvoir.

Dans le cas brésilien, cette pression externe vient des élites économiques et des forces politiques à leur service qui n’ont pas accepté l’échec aux élections de 2014. Dans un contexte global de crise d’accumulation du capital, elles se sont senties fortement menacées par la perspective de quatre années supplémentaires sans pouvoir contrôler la partie des ressources du pays directement liées à l’État sur lequel leur pouvoir a toujours reposé. Cette menace a atteint son paroxysme avec la perspective de voir Lula da Silva - considéré comme le meilleur Président du Brésil depuis 1988 et qui a terminé son mandat avec un taux d’approbation de 80% - se porter candidat aux élections présidentielles de 2018. A partir de ce moment-là, la démocratie brésilienne a cessé d’être fonctionnelle pour ce bloc politique conservateur et la déstabilisation politique a commencé. Le signe le plus évident de cette pulsion anti-démocratique a été le mouvement en faveur de la destitution de la Présidente Dilma, quelques mois seulement après le début de son mandat, quelque chose d’inédit ou tout au moins peu courant dans l’histoire démocratique des trois dernières décennies. Arrêtés par l’application de la règle démocratique de la majorité (la « tyrannie des majorités »), dans leur lutte pour le pouvoir, ces forces ont cherché à mettre à leur service une institution souveraine moins dépendante du jeu démocratique et spécialement conçue pour protéger les minorités, le pouvoir judiciaire. L’opération Lava jato, opération très méritoire en soi, a été l’instrument utilisé. Pouvant compter sur une culture juridique dominante de type conservateur au sein du système judiciaire, dans les facultés de droit et dans le pays d’une manière générale et disposant également d’une arme médiatique de forte puissance et précision, ce bloc conservateur a tout fait pour dénaturer l’opération Lava jato. Il l’a détournée de ses objectifs judiciaires qui sont pourtant fondamentaux pour l’approfondissement démocratique, et l’a transformée en une opération d’extermination politique. Ce détournement a consisté à maintenir la façade institutionnelle de l’opération Lava jato tout en altérant profondément la structure fonctionnelle qui l’animait, en superposant la logique politique à la logique judiciaire. Alors que la logique judiciaire se fonde sur la cohérence entre moyens et fins en s’appuyant sur les règles de procédure et les garanties constitutionnelles, la logique politique, quand elle est animée par la pulsion antidémocratique, subordonne les fins aux moyens et c’est en fonction du degré de cette subordination qu’elle définit son efficacité.

Tout au long de ce processus, trois facteurs importants jouent en faveur des visées du bloc conservateur. Le premier est la conséquence de la perte d’identité du PT en tant que parti démocratique de gauche. Une fois au pouvoir, le PT décida de gouverner à la mode ancienne (à la manière de l’oligarchie) pour atteindre des objectifs nouveaux et innovateurs. Ignorant la leçon de la République de Weimar, il a cru que les « irrégularités » qu’il commettrait seraient traitées avec la même bienveillance avec laquelle on traitait les irrégularités des élites et des classes politiques conservatrices qui avaient dominé le pays depuis l’indépendance. Ignorant la leçon marxiste qu’il disait avoir assimilée, il n’a pas été capable de voir que le capital ne se fie qu’aux siens pour gouverner et qu’il ne manifeste aucune gratitude envers quelqu’un n’étant pas de son bord, qui se plie à tous ses désirs. Profitant d’un contexte international de valorisation exceptionnelle des matières premières, provoqué par le développement de la Chine, le PT a incité les riches à s’enrichir et ainsi il a pu disposer des ressources nécessaires pour mener à bien les extraordinaires politiques de redistribution sociale qui ont fait du Brésil un pays nettement moins injuste en tirant plus de 45 millions de Brésiliens du joug endémique de la pauvreté. Le contexte économique international favorable touchant à sa fin, il ne restait qu’une seule politique de « type nouveau » capable de donner une base à la redistribution sociale, en clair, une politique qui, entre autres composantes, se fonde sur une réforme politique visant à neutraliser la promiscuité entre le pouvoir politique et le pouvoir économique, sur une réforme fiscale permettant d’imposer les riches et ainsi de financer la redistribution sociale après la fin du boom des matières premières et enfin sur une réforme des médias, non pas pour censurer mais pour garantir une médiatisation de la pluralité des opinions. Il était cependant trop tard pour réaliser toutes ces réformes. Elles n’auraient pu être menées à bien qu’à un moment plus propice et en dehors d’un contexte de crise.

Le deuxième facteur, en lien avec le précédent, est la crise économique globale et le contrôle inflexible qu’exerce sur celle-ci, celui qui en est la cause, le capital financier, livré à sa voracité autodestructive, détruisant la richesse sous prétexte de la créer, transformant l’argent, par le biais d’échange, en marchandise par excellence de l’économie de spéculation. L’hypertrophie des marchés financiers ne permet pas la croissance économique et tout au contraire, demande la mise en place de politiques d’austérité par lesquelles les pauvres sont investis du devoir d’aider les riches à maintenir leur richesse et, si possible, à s’enrichir. Dans de telles conditions, les classes moyennes précaires, apparues lors de la phase antérieure, se retrouvent, sans crier gare, au bord de l’abime de pauvreté. Manipulées par les médias conservateurs, elles ont tendance à transformer les gouvernements responsables de ce qu’elles sont devenues aujourd’hui en responsables de ce qui peut leur arriver demain. Et cela est d’autant plus probable que ce parcours de l’état de pauvreté antérieur aux conditions de vie de classe moyenne a été réalisé avec le ticket donnant l’accès à la société de consommation et non avec celui de la citoyenneté.

Le troisième facteur favorable au bloc conservateur est le fait que l’impérialisme nord-américain est de retour sur le continent après ses aventures au Moyen-Orient. Il y a 50 ans, les intérêts impérialistes ne connaissaient d’autres moyens que les dictatures militaires pour aligner les pays du continent sur leurs intérêts. Aujourd’hui, ils disposent d’autres moyens qui consistent essentiellement à financer des projets de développement locaux, des organisations non gouvernementales où la défense de la démocratie est la façade pour attaquer de forme agressive et provocatrice les gouvernements progressistes (« à bas le communisme », « à bas le marxisme », « à bas Paulo Freire », « nous ne sommes pas le Venezuela », etc., etc.) A une époque où il n’est plus nécessaire de recourir à la dictature si la démocratie peut servir les intérêts économiques dominants et si les militaires, encore traumatisés par les expériences antérieures, paraissent indisponibles pour mener de nouvelles aventures autoritaires, ces formes de déstabilisation sont considérées comme étant plus efficaces car elles permettent de remplacer des gouvernements progressistes par des gouvernements conservateurs tout en maintenant une façade démocratique. Les financements qui circulent abondamment au Brésil aujourd’hui proviennent d’une multiplicité de fonds (nouvelle forme d’un impérialisme plus diffus), allant des organisations traditionnelles liées à la CIA, aux frères Koch qui, aux USA financent la politique la plus conservatrice et qui ont des intérêts financiers notamment dans le secteur pétrolier et aux organisations évangéliques nord-américaines.

Comment sauver la démocratie brésilienne ?

La tâche première et la plus urgente est de sauver le système judiciaire brésilien de l’abîme dans lequel il est sur le point de tomber. Pour cela, la partie intègre du système judiciaire qui certainement est majoritaire, doit assumer la tâche de réintroduire de l’ordre, de la sérénité et une certaine modération à l’intérieur du système. Le principe qui doit guider cette action est simple à formuler : l’indépendance des tribunaux dans l’État de droit vise à permettre à ceux-ci d’accomplir leur part de responsabilité dans la consolidation de l’ordre et de la convivialité démocratiques. Pour cela, ils ne peuvent mettre leur indépendance au service ni d’intérêts corporatistes ni d’intérêts politiques sectoriels, si puissants soient-ils. Le principe est simple à formuler mais très difficile à appliquer. La responsabilité majeure de sa mise en application réside maintenant dans deux instances. Le STF (Tribunal Suprême Fédéral) doit assumer son rôle de garant suprême de l’ordre juridique et mettre un terme à l’anarchie qui est en train de s’installer. De nombreuses décisions importantes retomberont sur les épaules du STF dans les jours à venir et elles doivent être respectées par tous quelque soit leur contenu. Le STF est en ce moment la seule institution qui peut barrer la dynamique de l’état d’exception qui se met en place. Le CNJ (Conseil National de Justice), à qui revient le pouvoir disciplinaire sur les magistrats, quant à lui, doit prendre immédiatement des mesures disciplinaires contre les abus et les manigances réitérés de procédure, non seulement contre le juge Sérgio Moro mais contre tous les autres qui ont fait usage des mêmes procédures. Sans mesures disciplinaires exemplaires, le système judiciaire brésilien court le risque de perdre tout le poids institutionnel qu’il a conquis au cours des dernières décennies, un poids qui, comme nous le savons n’a jamais été utilisé pour favoriser les forces politiques de gauche. Il n’a été conquis qu’en maintenant la cohérence et l’isonomie entre moyens et fins.

Si cette première tâche est réalisée avec succès, la séparation des pouvoirs sera garantie et le processus politique démocratique suivra son cours. La Présidente Dilma a décidé de demander à Lula de faire partie de son gouvernement. C’est son droit et aucune institution, encore moins le judiciaire, ne peut l’en empêcher. Il ne s’agit pas, de la part d’un homme politique qui n’a jamais fui le combat, de vouloir échapper la justice, étant donné qu’il sera jugé (si nécessaire) par l’instance qui le jugerait de toute manière en dernière instance, le STF. Ce serait une aberration juridique d’appliquer à cette situation la théorie du « juge naturel de la cause » [2]. On peut certainement être en désaccord avec la décision politique prise. Lula da Silva et Dilma Rousseff savent qu’ils se livrent à un jeu risqué. D’autant plus risqué si la présence de Lula ne conduit pas un changement de cap qui retire aux forces conservatrices le niveau et le rythme d’usure qu’elles exercent sur le gouvernement. Au fond, seules des élections présidentielles anticipées permettraient de revenir à la normalité. Si le pari de Lula-Dilma échoue, leur carrière politique touchera à sa fin, une fin indigne tout particulièrement indigne pour un homme politique qui a redonné tant de dignité à tant de millions de brésiliens. En plus de cela, le PT mettra de nombreuses années avant de regagner une crédibilité auprès de la majorité de la population brésilienne et pour cela, il devra passer par un processus de transformation profonde. Si cette manœuvre réussit, le nouveau gouvernement devra de toute urgence changer de politique pour ne pas frustrer la confiance de millions de Brésiliens qui sont prêts à prendre la rue contre les fomenteurs de ce coup d’état. Si le gouvernement brésilien souhaite être aidé par tant de manifestants, il doit leur donner de bonnes raisons pour le faire. En d’autres termes, que ce soit dans l’opposition ou au gouvernement, le PT est condamné à se réinventer. Et nous savons que s’il reste au gouvernement, cette tâche sera beaucoup plus difficile.

La troisième tâche est encore plus complexe car, dans les années à venir, la démocratie brésilienne va devoir être défendue aussi bien au sein des institutions que dans la rue. Dans la mesure où la politique ne se formule pas dans la rue, les institutions vont avoir la primeur qui leur revient même lors d’un moment de forte pulsion autoritaire et d’exception antidémocratique. Les manœuvres de déstabilisation vont continuer et seront d’autant plus agressives que la faiblesse du gouvernement et des forces qui l’appuient sera plus visible. Il y aura des infiltrations de provocateurs aussi bien dans les organisations et les mouvements populaires que dans les manifestations pacifiques que ces derniers réaliseront. La vigilance devra être totale dans la mesure où ce type de provocation se produit aujourd’hui de différentes manières dans le but de criminaliser les manifestations sociales, de renforcer la répression publique et de créer des états d’exception tout en maintenant une façade de normalité démocratique. D’une certaine manière, comme l’a montré Tarso Genro [3] l’état d’exception est déjà installé et donc la bannière « Il n’y aura pas de coup » doit être comprise comme une dénonciation d’un coup d’état politico-judiciaire en cours, un coup d’état d’un type nouveau qu’il faut à tout prix neutraliser.

Finalement, la démocratie brésilienne peut profiter de l’expérience récente de certains pays voisins. La manière dont les politiques progressistes ont été mises en place sur ce continent n’a pas permis de déplacer vers la gauche le centre politique à partir duquel se définissent les positions de gauche et de droite. Et donc, quand les gouvernements progressistes sont vaincus, la droite arrive au pouvoir possédée par une virulence inouïe dont l’objectif est la destruction rapide de tout ce qui a été construit au bénéfice des classes populaires dans la période qui a précédé. La droite arrive alors avec une envie de revanche visant à couper à la racine, toute possibilité d’un retour à un gouvernement progressiste. Elle bénéficie de la complicité du capital financier international qui va permettre d’inculquer aux classes populaires et aux exclus, l’idée que l’austérité n’est pas une politique qu’ils peuvent affronter mais un destin auquel ils doivent s’accommoder. Le gouvernement de Macri en Argentine est un cas exemplaire à ce sujet.

La guerre n’est pas perdue mais elle ne pourra pas être gagnée si l’on se contente d’accumuler les batailles perdues, ce qui se produira si l’on s’entête à reproduire les erreurs du passé.

Notes de la traduction :

[1Opération Lava-jato. L’opération Lava Jato (ou scandale Petrobras) est une enquête de la police fédérale qui a commencé en mars 2014, concernant une affaire de corruption et de blanchiment d’argent impliquant notamment la société pétrolière publique Petrobras. Les faits reprochés incluent des commissions pour des personnalités politiques (principalement du PT et du PMDB) en échange de leur implication dans des contrats publics surfacturés. L’affaire concernerait un volume de près de 3,5 milliards de dollars.

[2Juges naturels de la cause : Ceux que la loi assigne aux accusés, aux parties, suivant leur qualité et l’espèce de la cause (CNRTL)

[3Tarso Genro : il fut maire de Porto Alegre, gouverneur de l’Etat du Rio Grande do Sul et ministre de la justice du gouvernement Lula

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