Brésil, épopée métisse

 | Par Michel Agier

Le Brésil représente un modèle de paix raciale. On cite souvent le Brésil pour démontrer que les expériences de métissage ne débouchent pas nécessairement sur des tensions raciales fortes. Michel Agier cite quelques repères historiques pour situer le développement de cette idée. Compte-rendu de l’intervention de Michel Agier à Sciences-Po le 15 mars 2004.

<img1263|left> Repères historiques

  • 1949-1950. Lancement du programme de l’UNESCO sur les relations raciales. Ce
    projet succède à la 2e Guerre mondiale, il a pour but de montrer qu’il peut y avoir
    des pays où la diversité de la population est très marquée sans que les conflits
    raciaux soient la règle.
  • Plusieurs spécialistes se réunissent et travaillent sur ce thème (on peut retenir le
    nom de Alfred METAUX, un anthropologue Suisse) et en viennent à la conclusion
    que le Brésil est un lieu de convivialité dans le mélange racial. Malgré l’existence
    de certaines tensions et la persistance de certains préjugés, le conflit racial n’est
    pas structurant.
  • Ce concept se fonde dans l’idée de luso-tropicalisme. Un phénomène de
    colonisation, de mélange et d’adaptation au milieu tropical qui se met en place
    dès les débuts de la colonisation brésilienne par les Portugais. Les colons qui
    arrivaient célibataires au Brésil ont immédiatement eu des relations sexuelles
    avec les femmes indigènes, créant alors les bases d’une société métissée.
  • Ce type de réflexion s’est largement inspiré des travaux de Gilberto FREYRE
    (Casa-grande & Senzala en portugais, traduit en français par « Maîtres et
    Esclaves », édition originale 1933) qui opposaient la démocratie de la convivialité
    à la démocratie politique (largement absente au Brésil à cette époque). Ses
    recherches visaient à réhabiliter le rôle des esclaves noirs dans l’Histoire et la
    culture brésilienne. Le Brésil a bénéficié selon lui des meilleurs esclaves, venus en
    grand nombre de Guinée et du Soudan. Il a ainsi figé dans sa littérature une
    « manière enchantée d’être brésilien », un éloge à la nation brésilienne. Pour
    FREYRE, l’inégalité politique qui sévit au Brésil n’empêche pas une reconnaissance
    de l’autre très prononcée dans la sphère privée qui se traduit par une certaine
    convivialité des relations interraciales dans le pays.
    L’existence historique de la
    présence noire maintient une proximité entre les races, cette proximité et ce
    métissage ont toujours gardé les blancs hors du racisme.
  • La démocratie raciale est un concept dominant dans le monde intellectuel Brésilien
    à la fin des années 40 et au début des années 50 et, selon Agier, cet éloge du
    métissage ne se fera qu’à cette époque.

Première phase : la période de l’esclavage

Pendant cette période, le citoyen est le blanc. Les Indiens et les Noirs sont privés de
citoyenneté. En 1822, la population brésilienne compte 40% d’esclaves, contre 15% en
1888.

La position africaine :

Le trafic d’esclaves fût interdit en 1850 mais, malgré cette interdiction, des vagues
illégales de trafic négrier ont lieu jusqu’en 1875. Par exemple, 35% du trafic entre 1850
et 1875 se dirige vers le Brésil. Les esclaves ont différents statuts, dépendants des
fonctions auxquelles ils sont attachés. Certains sont des travailleurs ruraux, travaillant
dans les plantations de sucre, d’autres des esclaves domestiques, travaillant dans les
maisons des seigneurs. Mais certaines tranches de la population noire forment un quasisalariat
 : ils travaillent en ville comme artisans pour le compte d’un patron et ramènent
le gain de leur travail à leur maître (ce sont des « escravos de ganho »). A partir du
XIXème siècle, les premiers affranchis ont bénéficiés de ce système car ils avaient la
possibilité de racheter leur liberté à leurs maîtres.

Deuxième phase : la période du blanchiment


Dès l’indépendance du Brésil en 1822, la Constitution affirme que tout homme naît
libre alors que 45% de la population est encore esclave
 : on ignore encore les esclaves...
Il s’agit d’une phase contemporaine de la période de l’esclavage. Jusqu’à l’abolition de
l’esclavage en 1888, des scientifiques s’adonnaient à des calculs douteux pour prévoir
dans le temps l’avènement d’un Brésil blanchit. En 1889, la République est instaurée au
Brésil. Il s’agit d’une République favorable au blanchiment de la race, utilisant le
métissage pour éliminer progressivement la race noire. Une politique très volontariste
d’aryanisation est menée au début du XXème siècle
avec le soutien de politiques publiques
favorisants l’immigration venue d’Italie, de Pologne, d’Allemagne, d’Espagne ou encore
du Japon.
Parallèlement, une coalition abolitionniste s’organise et dénonce les conditions
dégradantes de la pratique de l’esclavage (à la fois pour le maître et pour l’esclave). La
pratique de l’esclavage est condamnée car elle ne peut s’accorder avec les principes des
sociétés modernes ; l’immigration européenne doit fournir les ressources nécessaires
pour créer, au Brésil, une force de travail moderne. Ceci est notamment confirmé par
l’auteur de Os Sertoes, Euclides da Cunha : pour entrer dans la modernité il faut
abolir l’esclavage et avoir de « vrais travailleurs ».
L’abolition de l’esclavage, répond Agier suite à une question d’un étudiant, se fait
certes suite à la pression économique de la part de la Grande Bretagne, mais aussi
comme outil de blanchiment.

En 1930, l’identité nationale se forme et cherche à se construire en même temps que
le populisme de Vargas. Le métissage devient alors la version officielle du pays.

Des discussions ont lieu dans le monde intellectuel d’aujourd’hui : 2 positions
distinctes semblent ressortir des débats autour de l’idée du mythe de la « démocratie
raciale » :

1) Certains jugent d’un mauvais œil la référence à ce mythe pour expliquer la
situation au Brésil. Selon les tenants de cette thèse, la démocratie raciale servirait
à cacher les véritables inégalités qui persistent toujours depuis la fin de la période
de l’esclavage. Il n’y aurait pas de place pour les Noirs dans la société. C’est ce
concept qui permet de maintenir le statut quo et de ne pas aller plus loin sur les
questions des anciens esclaves et des différences de traitement qui subsistent
aujourd’hui.

2) D’autres décrivent la démocratie raciale comme le mythe fondateur d’une société.
Si cette croyance dans l’égalité raciale entre les Brésiliens se forme en même
temps que la nation, le mythe peut avoir une fonction performative et servir les
combats de l’égalité raciale et de la justice. Ce mythe peut former l’identité
nationale.

Troisième phase : la participation du Brésil dans les réparations

Dans la Constitution de 1988, le racisme est décrit comme un crime irrévocable.
Ce texte prévoit des compensations pour ceux qui ont été brimés par le passé, comme
les « quilombos » dont les terres sont aujourd’hui occupées. C’est aussi à cette occasion
que le caractère multiculturel de la nation est affirmé.
Le thème des réparations de l’esclavagisme a été aussi débattu lors de la
Conférence mondiale contre le racisme en 2001 à Durban (Afrique du Sud). A cette
occasion, il a été décidé qu’il serait possible de reconnaître le droit de certaines
populations sur des territoires, si la preuve peut en être faite.
Après 2001, d’autres programmes iront dans cette direction : reconnaissance de
droits ancestraux, attributions de terres collectives, politiques de quotas sur le marché du
travail (20% des postes sont réservés aux Noirs dans la fonction publique), à l’université
(40% des places à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro, (UFRJ)) et lancement du
programme « faim zéro » en 2003 dirigé vers les populations les plus pauvres dans les
provinces les moins nanties. Le programme « Faim zéro » a démarré dans l’état du Piauí
touchant 114.000 personnes, pour la plupart sans-terre ou descendants des
« quilombos ».

Cependant, ces programmes ne sont pas sans soulever certaines
polémiques : comment s’assurer de l’authenticité des demandes des sans-terre,
comment gérer l’auto-identification des ayants-droit ou encore comment évaluer l’impact
de telles mesures sur les relations sociales ?

Rapport entre race, culture et politique

Dans la deuxième partie de sa présentation, Michel Agier a voulu nous montrer
qu’il existait un lien étroit entre les concepts de race, de culture et la politique. Les
nouvelles problématiques liées à la construction identitaire semblent souligner les limites
de la démocratie métissée et célébrer le métissage culturel.
En matière d’identification culturelle, l’identité est souvent une fiction. Le thème
de « l’africanité » au Brésil s’est développé de cette manière. En se référant à une culture
partagée qui repose sur de fausses évidences, sur l’invention d’une tradition spécifique,
on a (re)construit un certain nombre de vérités traditionnelles pour les faire concorder
avec un bagage culturel spécifique. Quelques exemples : le thème de la famille africaine
matri-centrée n’est pas un trait culturel, il traduit plutôt une certaine précarité ;
l’invention du « capoeira angola », d’un théâtre noir, la séparation des cultes africains et
catholiques, sont des exemples de dé-métissage qui visent à affirmer la pertinence de la
culture noire. Il y a donc un ensemble de vérités qui sont créées pour valider l’existence
d’une culture noire, d’une histoire spécifique des Noirs au Brésil.

Ainsi, il existe une classification externe, stigmatisée, de la race noire, allant du
nègre à quelque chose de plus intime, « neguinho » ou encore de péjoratif/vulgaire
comme « negrinha ». Dans les années 70, on parlait de « afro-americano » dans les
milieux intellectuels, aujourd’hui on parle plutôt de « afro-descendente » pour être plus
politiquement correct.
On assiste à l’émergence de nouveaux mouvements politiques et intellectuels qui
développent le thème de la diaspora noire. La référence à l’Afrique, la terre et les
racines, est de plus en plus présente ainsi que la référence à des situations d’exclusion,
de rejet, d’évitement.
Agier conclut que le principal métissage au Brésil est avant tout culturel et que ce
pays est en quête permanente d’identité
.


Compte-rendu de l’intervention de Michel Agier à Sciences-Po le 15 mars 2004, par Marie Vidal et Genevieve Kidd-Bouchard, dans le cadre du cours "Brésil, la diversité comme identité".

Source : http://coursenligne.sciences-po.fr/2003_2004/bresil/prog_detaille.htm


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