Black Blocks, le meurtre de Douglas et l’enfer annoncé

 | Par Renato Rovai

Source : Carta Maior

Traduction pour Autres Brésils : Ana Santos (Relecture : Sifa Longomba)

C’est à partir d’histoires comme celle du meurtre de Douglas que de nombreuses actions des black blocks dans les rues de Rio de Janeiro et de São Paulo doivent être comprises.

Crédit photo : Racismo Ambiental

Le 3 janvier au soir, bien avant les Journées de Juin, un massacre a choqué São Paulo. Laércio de Souza Grimas, le DJ Lah, 33 ans, membre du groupe Conexão do Morro [1] a été assassiné avec six autres personnes dans un bar à Campo Limpo, dans la zone sud de São Paulo. Ce bar était situé en face du lieu où le maçon Paulo Batista do Nascimento avait été abattu, dans une exécution, enregistrée, qui avait fini dans l’émission Fantástico de Rede Globo [2].

Le 7 janvier, alors que j’étais encore en vacances, j’ai écrit un post sur le sujet. En voici un extrait : « Voici un rapport-reportage, réalisé à ma demande par le reporter Igor Carvalho à propos du massacre de Campo Limpo et de son contexte. Igor s’est rendu hier sur place et a parlé à une série de personnes qui ont préféré témoigner anonymement : « L’ambiance à Campo Limpo et dans d’autres quartiers de banlieue est terrible. Un mélange de révolte et de peur. Parfait pour produire des réactions extrêmes. Ceux qui pensent que la situation actuelle est mauvaise, pourraient en être nostalgiques. São Paulo peut devenir un enfer. Je le reproche moi-même à Alckmin [3]. C’est lui qui a déclaré que ceux qui n’ont pas réagi sont toujours vivants. Et qui ont, d’une certaine façon, autorisé la barbarie. »

Ce texte n’était pas prémonitoire. Il s’agissait d’une simple analyse journalistique ayant pour bases les informations recueillies par le reporter Igor Carvalho et par moi-même. Environ soixante jours après l’avoir écrit, j’ai rencontré un personnage important dans la sphère périphérique de São Paulo. Au milieu de l’entretien, il m’a demandé d’éteindre l’enregistreur et m’a plus ou moins dit cela : « le peuple va réagir, les jeunes s’agitent déjà et vont partir à l’attaque… Ça va être chaud. »

Je m’en suis rappelé le 6 juin, lorsque je me suis retrouvé, par hasard, au milieu du conflit du premier acte du Mouvement Passe Livre [4] dans le centre de São Paulo. J’ai été saisi par la colère dans le regard de ces garçons et filles qui cachaient leurs visages sous des morceaux de tissu. Je l’ai noté dans un post, dont voici un extrait : « C’étaient des gamins pauvres, pleins de colère. Des garçons et des filles indignés et révoltés. Et qui ne semblaient pas être là uniquement à cause de la hausse du prix des tickets de transport, mais qui semblaient avoir besoin de crier leur existence. (…)

La banlieue brésilienne est en mouvement et en contestation. Et si la ville ne commence pas à être pensée pour ces millions de jeunes, quelque chose de beaucoup plus grand que ce que nous avons vu ce jour-là (le jeudi) va bientôt éclater. »

Le dimanche, Douglas Rodrigues, 17 ans, a été lâchement abattu par un officier de la Police Militaire. Et selon son frère de 12 ans, il a demandé avant de mourir : « Monsieur, pourquoi vous m’avez tiré dessus ? ». Ce même dimanche, les rues de la Vila Medeiros ont été envahies par des personnes révoltées par cet évènement. Hier soir, c’est l’autoroute Fernão Dias qui a littéralement pris feu. On a braqué des voitures, des camions, des bâtiments... Une révolte généralisée écrite sur du sang par les dernières paroles d’un gamin de 17 ans : « Monsieur, pourquoi vous m’avez tiré dessus ? »

C’est à partir d’histoires comme celle-ci que les scènes d’agression du colonel Reynaldo Rossi, qui ont suscité l’acharnement des médias, doivent être comprises. Faites bien attention, je ne dis pas qu’elles doivent être justifiées.

C’est à partir d’histoires comme celle du meurtre de Douglas que nombre des actions des black blocks dans les rues de Rio de Janeiro et de São Paulo doivent être comprises. Vous voyez bien, je ne dis pas qu’elles doivent être justifiées.

Les jeunes de la banlieue ne veulent plus voir leurs frères, proches, amis, camarades ou tout simplement leurs connaissances, être enterrés pour avoir commis le crime d’être nés, en général noirs,et de vivre en banlieue. Ils disent que ça suffit.

Et notre démocratie, oui, démocratie, n’arrive pas à résoudre ce problème. Et ils n’ont plus peur de perdre leurs vies s’il le faut pour montrer qu’ils n’iront pas aveuglement creuser leurs caveaux. Assassinés par une police qui devrait protéger leurs vies.Sacrifiés par un Etat qui ne leur assure ni futur, ni paix.

L’action black block au Brésil (et elle est différente de celle dans d’autres pays), si quelqu’un en avait encore des doutes, est, aussi, le résultat de ça. Et principalement de ça. De la violence policière. Les black blocks ne se sont jamais battus pour vingt centimes, pour le transport public ou pour l’amélioration dusalaire des enseignants. Ces gamins haïssent la police à un plus haut point. Ils veulent abattre la police. Ce ne sont pas que des garçons et des filles de banlieue. Et ceux qui ne le sont pas n’acceptent pas non plus la légitimité de l’action de la police. Et ils veulent abattre la police.

Est-ce que je trouve ça bien ? Est-ce que je trouve ça mauvais ? Je n’en sais rien. Je veux tout simplement que la démocratie que nous avons construite soit capable d’aborder cette question sans chercher à éliminer physiquement ces gamins. Et sans criminaliser leurs actions et réactions.

Et que notre intelligence soit capable d’aller au-delà de simplismes comme celui de les nommer des voyous ou fascistes.

Parce que, finalement, la paresse intellectuelle est, elle aussi, un moyen de violence de ceux qui ont le pouvoir de conduire le débat dans la société. Les black blocks n’ont pas besoin que je les défende. D’ailleurs, je ne cautionne pas leurs pratiques. Mais je comprends parfaitement les jeunes qui éprouvent de la haine envers la police. Si Douglas était ton fils, ton frère, ton cousin, ton ami, est-ce que tu ne le comprendrais pas ?

« Monsieur, pourquoi vous m’avez tiré dessus… »

PS : Si vous avez encore des doutes que cette histoire n’a pas commencé en juin dernier, lisez cet article : Massacre de Carandiru, de la dictature au DJ Lah, d’Igor Carvalho

PS : Le policier militaire qui a tué Douglas affirme qu’il aurait tiré accidentellement parce que la portière du véhicule a heurté sa main. Au poste de police, il fut arrêté pour homicide involontaire. Et ses amis de la police militaire ont réuni des témoins qui ont accepté de corroborer cette version incroyable, qui est contestée par ceux qui étaient présents lorsque les faits se sont déroulés. Mais pas seulement. Alors que la mère de Douglas donnait des interviews, des véhicules de police passaient en face de sa maison, dans une claire démonstration d’intimidation. Et hier soir, 90 personnes ont été arrêtées parce qu’elles se révoltaient contre tout ça. Non, l’affaire Amarildo n’est pas une exception. Et vous trouvez cela correct de rester calme et de faire semblant que tout ça fait partie de la vie ?

Notes de la traduction :
[1] Conexão do Morro : groupe de rap légendaire au Brésil dont la thématique principale était justement la répression policière.
[2] Fantástico est une émission de télévision grand public, diffusée le dimanche soir sur Rede Globo, le réseau de télévision (privé) le plus important au Brésil.
[3] Geraldo Alckmin est l’actuel gouverneur de l’État de São Paulo, c’est son troisième mandat depuis 2001.
[4] Movimento Passe Livre : mouvement pour les transports publics gratuits qui a déclenché les mobilisations populaires au Brésil en juin dernier.

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