Analyse de la conjoncture brésilienne (3)

 | Par Geraldo Majella Agnelo, José Maria Mayrink

Le texte suivant se divise en deux parties : l’interview du président de la Conférence Nationale des Evêques du Brésil (CNBB), le cardinal Geraldo Majella Agnelo, suivie d’un article du journaliste José Maria Mayrink.

Troisième partie de notre série « Analyse de la conjoncture brésilienne » : La position des évêques


LA CNBB DEMANDE L’ACCELERATION DE LA REFORME AGRAIRE

Le président de la Conférence Nationale des Evêques du Brésil (CNBB), le cardinal Geraldo Majella Agnelo, exige de Lula une accélération dans la conduite des réformes, spécialement la réforme agraire. « C’est la plus importante que le gouvernement puisse faire car elle concerne les racines de l’injustice sociale. » Archevêque de Salvador et primat du Brésil, il ne tarit pas d’éloges sur l’action du gouvernement dans son combat de la corruption et manifeste l’espoir que Lula mène a bien ses réformes en 2004.


Comment évaluez-vous l’attitude de Lula ?

<img1102|left> Geraldo Majella Agnelo - Lula continue à jouir d’un énorme prestige populaire. Cela signifie qu’il correspond aux expectatives de l’électorat. Il faut prendre en compte le fait que sa biographie est emblématique et que la nouveauté d’un ouvrier au Planalto [siège de la Présidence] est chargée d’un grand pouvoir symbolique. Bien que beaucoup de gens ne comprennent pas les décisions du gouvernement, ils ont confiance en Lula du fait de son passé. J’espère donc que les orientations politiques du Brésil changeront dès que les conditions économiques seront favorables.

Les actions du gouvernement pour affronter les problèmes sociaux sont-elles suffisantes ?

Agnelo - Il n’ y a aucun doute que, dans son programme et ses discours, Lula met en avant la priorité des solutions aux problèmes sociaux. Je crois pourtant que ses actions ne sont pas encore aussi fortes que ses propositions. Il aurait pu réaliser beaucoup plus dans le domaine des politiques sociales s’il avait contenu avec plus de rigueur la voracité des créanciers et renégocié les conditions de paiement des intérêts de la dette. La dette sociale a priorité sur toute autre dette financière.

Comment analysez-vous l’action du gouvernement en ce qui concerne la réforme agraire ?

Agnelo - La réforme agraire est, à mon avis, la plus importante que ce gouvernement puisse faire, car c’est celle qui atteint au plus profondément les racines de l’injustice sociale dans notre pays. Elle doit être ample et capable de casser l’épine dorsale de cette structure injuste qu’est la concentration de la propriété foncière. Il ne s’agit pas d’intensifier la politique d’assentamentos, mais de changer les priorités : l’agrobusiness pour l’exportation doit être le complément naturel de l’agriculture familiale. Le Mouvement des Sans Terre (MST) a une position ferme sur le Programme National de la Réforma Agraire (PNRA) et mérite le respect.

Le gouvernement fait - il assez contre la corruption ?

Agnelo - C’est un des points les plus positifs du gouvernement Lula. L’action du Ministère de la Justice, la nomination du nouveau procurateur général de la République et la fermeté du Ministère Public dans l’investigation de toute suspicion d’action nuisible au bien public amènent une grande dimension éthique à notre société.

Quelle est l’évaluation de l’Eglise sur le programme Faim Zéro ?

Agnelo - A l’Eglise revient la mobilisation des personnes et des groupes, à travers des actions de sensibilisation de la société sur le problème de la faim, ainsi que l’organisation de débats sur les meilleures voies à emprunter pour sa solution. A l’Etat reviennent la formulation et l’exécution de politiques publiques qui assurent à tout citoyen et citoyenne la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Ni l’un ni l’autre ne peuvent se contenter de la distribution d’aliments. Le gouvernement doit dépasser la phase des actions d’urgence et mettre en place les programmes prévus par Faim Zéro.

Le gouvernement a bien avancé dans les réformes ?

Agnelo - Non. Sans entrer dans le débat sur le mérite des réformes, je critique leur rythme d’urgence. La société aurait du avoir plus de moyens de débattre sur ces questions, à partir d’un éventail d’informations sûres, de manière à former une vraie opinion publique. Le gouvernement s’est servi du marketing, ce qui simplifie les diagnostics et montre seulement la solution qu’il propose.

Le gouvernement a-t-il omis un domaine qui exige des mesures d’urgence ou met-il du temps a aborder certains problèmes ?

Agnelo - Oui, dans deux domaines très sensibles. La réforme agraire, qui selon moi est prioritaire par rapport à celle de la Sécurité Sociale, et la promotion d’un débat national sur comment engager une négociation souveraine sur la dette publique, négociation à laquelle on ne pourra pas échapper.

Qu’est-ce que vous attendez du gouvernement ?

Agnelo - Notre attente est que Lula, fidèle à son origine pauvre et à sa biographie marquée par une noble lutte pour la justice sociale, assume courageusement le programme de réformes qui tirera le Brésil de sa position subalterne face au capital financier, et réalise le désir populaire qui l’a conduit à la présidence : un gouvernement de transition vers un autre modèle socio-économique, avec comme bases un développement durable, la démocratie et la redistribution des richesses.


LES EVEQUES NE TARISSENT PAS D’ELOGES MAIS EXIGENT LA CONCRETISATION DES PROMESSES

L’Eglise espère qu’en 2004 le gouvernement sortira du discours et passera à la pratique. Encore impressionnés par la bonne performance du président a Itaici, où il a parlé de son programme à l’assemblée générale de l’épiscopat, dans la nuit du 1er mai 2003, les évêques sont unanimes dans leurs éloges sur la conduite et les bonnes intentions de Luiz Inacio Lula da Silva. Mais, une fois faites ces éloges, tous en appellent à des mesures plus concrètes du gouvernement, car ils trouvent qu’il est temps d’accomplir les promesses de la campagne.
En commençant par Dom Geraldo Majella Agnelo, président de la Conférence Nationale des Evêques du Brésil (CNBB), qui exige une accélération dans les réformes, et plus particulièrement dans la réforme agraire. Les questions de la terre, de la faim, du chômage et de la violence sont les principaux problèmes qui, selon les évêques, indépendamment de la tendance idéologique, vont défier le gouvernement en 2004.

« Lula va perdre sa crédibilité s’il ne relance pas la croissance économique qui a été inexistante en 2003 » prévient Dom Demetrio Valentini, évêque de Jales (SP) et membre de la Commission Episcopale de la Pastorale pour le Service de Charité de la Justice et de la Paix de la CNBB. Dom Demetrio relève le sérieux et la transparence du gouvernement comme étant des qualités que l’on ne peut nier, il loue la politique extérieure et dit comprendre que Lula ait opté d’abord pour le choc de la crédibilité, afin de récupérer le contrôle monétaire et celui des dépenses. Mais il regrette que cela ait été fait aux dépens des programmes sociaux.

C’est aussi l’opinion de l’évêque de São Felix (MT), Dom Pedro Casaldaliga, un représentant de la gauche de l’épiscopat. « Cela peut se comprendre qu’il y ait eu nécessite pour Lula de se tourner vers l’extérieur, du fait de la préoccupation à sauver la situation économique du pays, mais cette seconde année, il faut se recentrer sur l’intérieur et affronter les questions de la réforme agraire, du chômage, et des revenus internes » dit-il. Pour lui, la violence dans les campagnes est le fruit de problèmes non résolus. « La réforme agraire est une dette de cinq siècles » prévient-il.

Pour l’évêque de Jundiai (SP), Dom Amaury Castanho, les résultats de la première année ne correspondent pas aux attentes créées par les projets qui, selon lui, correspondaient aux propositions de la CNBB. « La croissance quasi zéro du PIB et le chômage sont des problèmes sérieux auxquels Lula est confronté sur le plan intérieur » observe Dom Amaury, un représentant de la ligne plus modérée de l’épiscopat, qui ne cache pas l’enthousiasme provoqué par la visite du président à Itaici.

Un tournant

Dom Paulo Evaristo Arns, ami de Lula, qu’il considère sincère et capable, est dur dans l’évaluation du gouvernement. « Cela a été une année indifférente puisque le gouvernement n’a progressé ni régressé en rien » évalue le cardinal, rajoutant que, faisant confiance à Lula, il espère qu’en 2004 il sera plus réaliste et pas seulement un homme de discours. « Il se peut que la situation ait empiré pour beaucoup de gens par rapport aux promesses faites le jour de l’investiture » observe-t-il.

« J’espère qu’il va y avoir un tournant en 2004 car le peuple ne peut plus attendre » ajoute l’évêque de Blumenau (SC), Dom Angélico Sandalo Bernardinho, insistant sur les mêmes questions. « Réforme agraire, emploi, pouvoir d’achat ; je ne propose pas de radicalisme mais j’alerte sur le contraste entre opulence et misère » dit-il, applaudissant la politique extérieure mais critiquant la soumission du pays aux banques internationales.

Pour l’évêque de Petrópolis, Dom José Carlos de Lima Vaz, l’Eglise doit reconnaître l’effort du gouvernement dans le combat contre la corruption et la mobilisation de Lula sur le problème de la faim. Mais il prévient que la solution définitive est l’emploi. « Le programme Faim Zéro est ponctuel, ce n’est pas un changement de structure ».

« Le peuple continue à espérer beaucoup du président, un homme digne, correct, idéaliste, mais pour l’instant nous n’avons vu que très peu de choses en l’Amazonie » dit l’archevêque de Belém (PA), Dom Vicente Zico. Sans rendre directement Lula responsable, car il pense que le problème réside également au niveau des états et des communes, il dénonce l’aggravation de la violence dans les villes et les campagnes. « Faim Zéro ? Peut-être dans d’autres régions, mais ici nous attendons toujours le programme » se plaint Dom Vicente. Un autre problème dans l’état du Pará est la précarité des routes fédérales. « C’est une honte mais personne ne paraît se préoccuper des routes ».

Un autre archevêque d’Amazonie, Dom Moacyr Grechi, de Porto Velho (RO), fait un bilan positif. « Lula m’a surpris par sa capacité à être président et, dans ses contacts avec les autres pays et les organismes internationaux, il sait où il va ». Il n’espère pas beaucoup du gouvernement mais parie sur quelques points. A commencer par la réforme agraire qui devrait être accélérée. Il pointe le chômage et les réformes politiques comme les principaux défis.

L’archevêque de Paraiba, Dom Marcelo Pinto Carvalheira, qui travaille depuis plus de trente ans dans la région, préfère ne pas parler de la politique pour le Nordeste. « Je ne veux gêner la route de personne » dit-il, prétextant qu’il faut avoir une bonne connaissance de la situation pour pouvoir donner son opinion. « Je suis très lié à Lula et je le rencontre de temps en temps mais on n’est pas d’accord sur tout ». Dom Marcelo a des divergences sur les orientations de la Superintendance pour le Développement du Nordeste, la défunte SUDENE que le gouvernement veut réactiver.

D’un point de vue moral, l’Eglise n’est pas d’accord avec la politique de combat du Sida. « La question de la publicité pour les préservatifs est à l’initiative du Ministère de la Santé sans englober le gouvernement en tant que tel » rappelle Dom Agnelo. La CNBB a protesté en décembre contre la diffusion d’une vidéo sur l’usage du préservatif.

Depuis quatre ans, les robinets sont secs a Caetés, où Lula est né, quand la ville appartenait à la commune de Garanhuns, dans le Pernambouc. Comme cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu de fortes pluie, les réservoirs sont secs, l’approvisionnement dépend de camions-citernes. « Le peuple a cru, malgré la sécheresse, qu’il y aurait de l’eau avec l’élection d’un des leurs à la présidence, mais rien n’a changé jusqu’à maintenant » dit l’évêque de Garanhuns, Dom Irineu Roque Scherer, qui appréhende les conséquences de la sécheresse dans la région.

Dans ses visites pastorales a Caetés, une des 25 paroisses du diocèse, Dom Irineu reste admiratif devant la foi et l’espérance du peuple. 5 508 habitants dans la partie urbaine et 18 629 dans la campagne selon le recensement de 2000. « Malgré toutes les souffrances de la sécheresse, les gens ont encore confiance en Lula et le PT continue à avoir la cote » affirme l’évêque. Originaire du Sud du Brésil, il est passé par le Paraná et est arrivé dans le Nordeste en 1998.

« La situation est très grave car il n’y a définitivement plus d’eau après quatre ans de rationnement » informe le secrétaire municipal de l’agriculture, Lucivalter Santana Bernardo, confirmant la situation calamiteuse de Caetés, ville administrée par le PT. A cause de la sécheresse prolongée, les agriculteurs ont perdu 90% de leur production de maïs, d’haricots noirs et de manioc, calcule le secrétaire.

Confiance

Malgré tout, dit Dom Irineu, Lula inspire de la confiance car « il sait simplifier le langage et parler d’une manière que le peuple comprend ». Le problème c’est « qu’il a un beau discours qui enchante et convainc mais le PT ne suit pas ». Conséquence : le gouvernement promet mais les choses ne se font pas. « Le programme Faim Zéro, par exemple, devrait être plus poussé » dit l’évêque, après avoir critiqué la distribution des bourses alimentation de 50R$. Caetés, où le revenu familial par tête est de 55,8 R$, distribue 337 bourses.
« L’Eglise a collaboré au niveau national, mais je crois que ce n’est pas une solution définitive car qui reçoit l’argent perd le goût de planter et de cueillir ».
Pour montrer que cette aide peut réchauffer l’économie locale, mais est peu de choses face à la pénurie générale, il a parlé de la commune d’Itaiba, également dans son diocèse, où 2 000 familles se sont cadastrées e seulement 444 reçoivent la bourse. « Le peuple a faim mais il est content quand vient le camion-citerne » dit-il.

Violence

Garanhuns et Caruaru, les villes les plus grandes de la région, ont des problèmes de violence, avec des homicides et du trafic de drogue. « Ce sont les conséquences d’une situation de pauvreté qui doit être affrontée, même en sachant que la sécheresse ne va pas s’arrêter ». Dom Irineu attribue à
« l’industrie de la sécheresse, qui exploite les pauvres » la souffrance du Nordeste. « Garanhuns possède 40 puits creusés avec l’argent du gouvernement qui sont désactivés, et l’eau continue à être distribuée par des camions-citernes. Pourquoi ne pas ouvrir plus de puits artésiens si la terre a seulement besoin d’irrigation pour produire ? » L’évêque rappelle la collaboration de l’Eglise, à travers Caritas, structure internationale de solidarité, qui finance l’installation d’un million de citernes dans le sertão.

Par José Maria Mayrink


Source : Estado de São Paulo, 31 décembre 2003

Traduction : Emilie Sobac pour Autres Brésils


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