5 sans-terre assassinés

Le 20 novembre 2004, vers midi, près de 200 familles qui occupent la Fazenda Nova Alegria depuis mai 2002 furent surprises par des tirs en rafales de 18 hommes armés commandés par Adriano Chafik Luedy et son cousin.

<img11|left> Quatre hommes furent tués sur place, le cinquième mourut avant d’arriver à l’hôpital. Vingt personnes furent blessées par balles dont un enfant de douze ans, trois sont dans un état grave. Toutes les tentes où vivaient les familles furent incendiées.

Au sujet de cette fazenda dont Adriano Chafik est propriétaire, l’Institut des Terres de Minas Gerais a fait le constat qu’au moins un tiers des terres ont été acquises illégalement et doivent être distribuées à des familles. Mais, par mauvaise volonté du Pouvoir Judiciaire de l’état de Minas Gerais, les choses traînent. Cette région du nord de l’état est violente, les fazendeiros y organisent des milices armées. Adriano Chafik était soupçonné de le faire. La police était informée et n’a rien fait pour protéger les travailleurs sans terre ou désarmer les milices (contrairement à ce qu’a fait, dans une situation semblable, la police de Pirapora, ville du même état, ce qui a probablement éloigné les risques d’assassinat).

Le Ministre du Développement Agraire, le Président de l’ INCRA, le Secrétaire d’état aux Droits de l’Homme, se sont rendus sur les lieux le lendemain. Tout semble indiquer que la justice fera son travail pour juger les assassins et le commanditaire.
Adriano Chafik et quatre des hommes armés ont été arrêtés et sont en prison.

Et pourtant... une partie de la presse brésilienne essaie de justifier un tel massacre

Ce massacre a fait l’objet de nombreux articles dans la presse brésilienne, tous condamnant la violence et demandant que justice soit faite. Certains journaux cependant et pas des moindres, ont abordé le problème de la violence d’une façon différente, encore qu’habituelle, en posant la question : « Qui a commencé ? »

En résumé, le raisonnement de cette presse qui soutient l’agro-industrie, est le suivant :

Si le gouvernement n’était pas aussi laxiste vis-à-vis des mouvements sociaux et particulièrement du MST lorsqu’ils occupent les fazendas, les propriétaires ne seraient pas tentés de se faire justice eux-mêmes et ces assassinats seraient évités. Le gouvernement ne fait que récolter ce qu’il a semé.

Ceci est particulièrement pernicieux. C’est amalgamer un grave problème social et politique à une affaire judiciaire, chercher un coupable alors qu’il s’agit d’un fait de société.

Ainsi on élimine le problème de fond, on évite de mettre à l’ordre du jour des débats qui devraient être publics, tout ce qui est concerné par la réforme agraire et le soutien à l’agriculture familiale, entre autres : le social (emplois, salaires, travail esclave), la sécurité alimentaire (OGM, semences), l’environnement (forêts, sol, eau, air).

Tant qu’il en sera ainsi, les mouvements sociaux et syndicaux en seront réduits à exploiter « à la marge » ces événements tragiques :

  • le scandale des 19 morts et 60 blessés d’Eldorado dos Carajas en 1996 a débloqué la création, par le Président Fernando Henrique Cardoso, du Ministère du Développement Agraire chargé de réaliser la réforme agraire et de soutenir l’agriculture familiale mais, faiblement doté et, une fois l’émotion apaisée, peu soutenu faute de volonté politique ;
  • l’assassinat en 1997 à Brasilia, d’un Indien membre d’une délégation venue négocier la récupération de terres indiennes a, suite au scandale qui s’en est suivi, provoqué en quelques jours une décision de justice libérant 3000 hectares ;
  • des émeutes meurtrières dans une grande prison de São Paulo furent à l’origine de la création d’autres centres pénitentiaires à la périphérie de la ville ;
    Dans l’affaire d’aujourd’hui c’est également ce qui est en train de se passer : l’Association Brésilienne de Réforme Agraire est intervenue auprès du Président de la République pour que les normes qui servent à établir si une fazenda est productive ou non et qui datent de 1974 soient revues. Elles sont dépassées et favorisent les propriétaires : aujourd’hui un fazendeiro qui a quelques animaux en liberté sur ses terres ou quelques plantations éparpillées au milieu de grandes surfaces peut prétendre que son latifundio est productif.

La même association est intervenue par ailleurs auprès des parlementaires pour proposer un projet de loi selon lequel, dès lors qu’une propriété rurale a été expropriée pour la réforme agraire, l’installation des familles soit immédiate.
Tout ceci fait un peu avancer les choses mais demeure ponctuel et occasionnel. Le fond des problèmes n’est pas abordé et les grands médias se gardent bien de parler des vraies questions (cf le précédent numéro d’Info Terra).

Combien de morts faudra-t-il encore ?

On ne peut qu’admirer les familles endeuillées de Felisburgo. Selon le directeur de l’INCRA de Minas Gerais : « ... dans un premier temps il y eut un sentiment de révolte, d’abattement, de tristesse. Rapidement il se mua en un projet de résistance, symbole de la nécessité d’élargir l’action du mouvement (ndtr : du MST). Je pense qu’en fait ils ont réagi rapidement, jugeant qu’il ne devaient pas se retirer de la lutte. Au contraire, les coups de feu se retournent contre les assassins, cet événement va constituer un jalon pour la résistance. »

Jean-Luc Pelletier

Source : Info Terra - Frère des Hommes - décembre 2004
http://www.france-fdh.org/terra/infoterra/dec2004.htm
Vous trouverez également sur le site d’Info Terra une lettre type de protestation à envoyer.

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